Les idées claires |Comment est né le mythe du complot des Juifs qui contrôlent le monde ? C’est la question au cœur des Idées Claires, notre programme hebdomadaire produit par France Culture et Franceinfo destiné à lutter contre les désordres de l’information, des fake news aux idées reçues.
Un Français sur cinq croit qu’il existe une conspiration des Juifs visant à prendre le contrôle du monde. C’est le résultat d’un sondage de l’Ifop commandé par Conspiracy Watch et la Fondation Jean-Jaurès.
Selon l’étude, rendue publique en février 2019, 22% des Français ont répondu par l’affirmative à la question « estimez-vous que Dieudonné a plutôt raison ou plutôt tort quand il dit qu’il existe un complot sioniste à l’échelle mondiale ? ».
Ce sondage intervient dans un contexte de hausse des actes antisémites en France, avec une série de profanations de tombes juives et l’apparition de croix gammées sur une oeuvre représentant Simone Veil.
Le mythe de la conspiration juive est peut-être la plus vieille théorie du complot puisqu’elle remonte aux débuts du christianisme. L’Église véhicule notamment la figure des Juifs « déicides » qui auraient livré le Christ aux Romains pour le faire crucifier. Les Juifs sont perçus avec méfiance tout au long du Moyen Âge en Europe et régulièrement accusés des fléaux de l’époque.
Au début du XXe siècle, Les Protocoles des Sages de Sion détaillent un prétendu plan de conquête des Juifs sur le monde. Ce document est rapidement identifié comme un faux, ce qui n’empêchera pas sa diffusion tout au long du XXe siècle.
Marie-Anne Matard-Bonucci, professeure d’histoire à Paris VIII et auteure de Antisémythes – L’image des juifs entre culture et politique 1848-1939 (Nouveau Monde Editions, 2005) répond à nos questions.
D’où vient le mythe d’un complot juif ?
Il n’existe pas de complot juif. On peut le montrer en en faisant l’histoire. C’est l’idée selon laquelle les Juifs auraient un projet visant à dominer la planète, au détriment des sociétés.
De quand date ce mythe ?
Le complot juif est apparu très tôt. La matrice théologique du complot juif réside dans l’accusation de peuple déicide, à savoir faire porter la responsabilité de la crucifixion sur les Juifs. L’Église, qui voulait absolument se démarquer des Juifs et du judaïsme a véhiculé un certain nombre d’accusations. Certains responsables politiques, princes, souverains, ont pu reprendre ces accusations quand ils voulaient par exemple chasser les Juifs pour s’emparer des biens d’une partie d’entre eux.
Comment est né le stéréotype sur le rapport des Juifs à l’argent ?
Ce lien s’établit dès le Moyen Âge. Certaines professions en rapport avec l’argent étaient interdites aux chrétiens, comme le prêt à intérêt. Les Juifs qui n’avaient pas accès à d’autres professions permettant de s’élever dans l’échelle sociale, comme la possession de la terre, pouvaient eux l’exercer. Au XIXe siècle, quelques familles juives de banquiers ont une grande visibilité, c’est le cas des Rothschild.
Certains textes, à gauche comme à droite à l’époque, mettent l’accent sur ces familles alors que ce n’est qu’une très petite minorité. L’immense majorité des Juifs, notamment en Europe centrale et en Russie, sont des gens extrêmement pauvres.
Comment ce mythe a-t-il contaminé toute la société ?
Le mythe du complot juif se diffuse parce qu’il sert plusieurs stratégies politiques. Une partie de la gauche jusqu’à l’affaire Dreyfus est convaincue qu’il y a un lien étroit entre la finance juive et le capitalisme. À droite, les catholiques sont convaincus du contraire, c’est-à-dire de l’idée selon laquelle les Juifs sont par nature révolutionnaires et sont à l’origine de la Révolution française. La révolution bolchevique d’ailleurs relance ce thème des Juifs révolutionnaires parce qu’il y avait parmi les bolcheviques des Juifs et parce que les Juifs seront émancipés grâce à la révolution bolchevique.
Qu’est-ce que Les protocoles des Sages de Sion ?
C’est un faux. C’est là que se structure l’idée selon laquelle un complot juif est à l’œuvre pour dominer et pour ruiner les sociétés chrétiennes. Dès 1920, on sait très bien que c’est un faux, on connaît la source puisqu’il s’agit non seulement d’un faux mais également d’un plagiat. Les États ou les partis antisémites estiment que la meilleure façon de provoquer la haine des Juifs, c’est de les présenter eux-mêmes en persécuteurs.
Comment ce mythe sert-il le fondamentalisme islamiste ?
L’islamisme a beaucoup contribué à la résurgence de l’antisémitisme, à travers la diffusion d’exemplaires des Protocoles des Sages de Sion, en utilisant, comme cela avait été fait dans le contexte des guerres israélo-arabes, le conflit israélo-palestinien, qui est devenu le symbole de l’oppression par excellence.
Pourquoi ce mythe perdure-t-il malgré la Shoah ?
On a pensé un peu trop simplement que la Shoah ayant été un crime sans comparaison, il suffisait de mentionner la mémoire de la Shoah pour faire disparaître ces préjugés. L’antisémitisme est fait d’un contenu culturel, de stéréotypes, de préjugés qui ont été diffusés par les partis, mais aussi par des supports culturels, littérature, cinéma, etc. C’est une idéologie qui s’est sédimentée sur des siècles par la religion aussi. On ne fait pas disparaître quelque chose qui s’est formé au cours des siècles simplement par “un travail de mémoire” à propos de la Shoah.