Espionnage chinois : le FBI et le MI5 lancent une alerte sans précédent… dans l’oreille de sourds ?
Les chefs du FBI et du MI5 ont fait une apparition conjointe sans précédent pour mettre en garde contre la menace que représente la Chine en matière d’espionnage.
Mercredi 6 juillet, les chefs du FBI et du MI5 ont mis en garde contre la poussée de l’espionnage commercial de la Chine en Occident lors d’un discours conjoint au siège des services de renseignement britanniques à Londres. Quelle est l’ampleur de cet espionnage et qui est concerné ?
Emmanuel Véron : La déclaration conjointe des chefs du FBI et du MI5 témoigne d’une part de l’affichage du renforcement de la coopération entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni en matière de contre-espionnage et d’autre part le ciblage, rendu public, des ingérences chinoises et espionnage sur les territoires concernés. L’on se souvient des déclarations vers la fin de l’année 2021 du chef du MI6 précisant lors d’une déclaration tout aussi officielle les priorités de son service, et plus largement des services de sécurité et de renseignement britanniques : la Chine, la Russie et l’Iran.
Suite à ces déclarations et affichage diplomatico-sécuritaire, la Chine avait répondu, en plus des habitudes protocolaires des porte-paroles des Affaires étrangères de Pékin par un clip (janvier 2022), parodiant un « James Bond » aux ordres de la CIA, ridiculisant l’iconique figure de l’agent anglais….
Le patron du MI5 avait répondu par de vifs remerciements pour la publicité ….
Derrière ces joutes médiatiques, à l’opposé des activités de renseignement qui sont a priori assigner à demeurer dans l’ombre, les britanniques comme les américains par la voix de leurs services de sécurité sont focalisés sur l’évolution de la puissance chinoise, ses modalités et formes d’influences et d’ingérences. Le tout avec un effort sans précédent, en lien avec la montée en puissance de la rivalité sino-américaine et les dynamiques stratégiques de l’ordre international.
La convergence américano-britannique montre ce renforcement des inquiétudes et de l’attention portée sur le sujet « Chine », en particulier en matière d’espionnage technologique et économique, mais aussi d’influence et d’ingérence dans les milieux politiques au Royaume-Uni.
Ken McCallum, patron du MI5, rappelait dans son discours commun du 6 juillet dernier que « le nombre d’enquêtes est sept fois plus élevé qu’en 2018 » concernant des affaires de contre-espionnage en lien avec la Chine… D’une manière générale structurelle, les activités d’espionnage, d’ingérence et d’influence de la Chine en Europe et aux Etats-Unis ne sont pas nouvelles… mais congruente de l’évolution de la place de Pékin dans le commerce mondial et dans le système international. Le sujet est donc protéiforme, très large et vise depuis 40 ans les domaines économiques, technologiques et politiques….
Quel est le véritable objectif de Pékin ? Qu’est-ce que la Chine pourrait faire de ces informations ?
Comme évoqué plus-haut, l’objectif est polymorphe, au spectre complet. Dès les années 1970, à la fin du règne de Mao, l’objectif poussé par Zhou Enlai des « Quatre modernisations » visait à moderniser le pays dans quatre directions : sciences et technologies, agriculture, défense et industrie. C’est le lancement par le régime d’un vaste plan de rattrapage dans l’ensemble de ces domaines, accompagné d’ambitions et d’intentions d’abord cachées de grande puissance… Pour ce faire, Pékin va déployer une succession de plusieurs plans de captations de savoirs, de moyens, de technologies en se basant sur des partenariats tout à fait officiels, mais aussi d’opérations plus obscures, clandestines.
Tous les secteurs industriels sont concernés et vont bénéficier de ces plans, de l’aéronautique à l’espace en passant par le secteur de l’énergie… Aujourd’hui, Pékin a mis à jour ses plans en relation avec ses nouveaux besoins : IA, quantique, énergie, puces, propriété intellectuelle, etc…D’ailleurs le FBI, dès le début des années 2000, lançait des alertes sur les activités d’espionnage chinois aux Etats-Unis par l’intermédiaire de clips retraçant le recrutement d’américain ou d’ingénieur travaillant pour des sociétés américaines dans l’optique de voler des brevets (notamment dans le domaine de l’énergie solaire)…
Aussi, l’ampleur de ses activités sera marquée par l’obsession de donner une bonne image de la Chine dans les milieux politiques et réseaux d’affaires, afin de favoriser les échanges et les coopérations…en cela, l’influence aura joué de tout son poids entres les années 1980 et 2018-2019. Depuis l’administration Trump, puis avec la pandémie de Covid-19, cette influence est à la peine.
Cela constituait un « danger complexe, durable et omniprésent » pour les États-Unis, la Grande-Bretagne et leurs alliés. Faut-il réellement s’en alarmer ? Le problème est-il suffisamment pris au sérieux par les services occidentaux ?
Le patron du FBI s’inscrit dans la continuité du travail de son institution en particulier sur le sujet « Chine » en matière d’espionnage et d’influence. Comme précisait, précédemment, le FBI a mené bon nombre d’enquêtes, certaines rendues publique et ayant fait l’objet de clips « pédagogique » pour publiciser les méthodes de recrutement des services chinois. L’on peut aussi renvoyer les lecteurs à la page internet « The China Threat » du FBI, particulièrement éloquente.
Cela témoigne aussi du poids du FBI concernant ces sujets de sécurité économique et de contre-espionnage dans le vaste dispositif de renseignement et de sécurité des Etats-Unis (17 agences…).
Ces déclarations et ces méthodes (du FBI) rendent compte de l’importance et de l’ampleur des affaires d’ingérences et d’influence, mais aussi de la volonté des Etats-Unis (celle des institutions de sécurité) d’entraîner avec elles les alliés.
Jamais les questions de sécurité, de politique intérieure et de politique internationale n’auront été aussi corrélées. Les interdépendances en lien avec la mondialisation et le poids de la Chine font bouger les lignes des relations internationales.
Les affaires de contre-espionnage ont de beaux jours devant elles, leur médiatisation d’autant plus, venant alimenter l’adaptation du fonctionnement de ces structures spéciales…
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