Et le système juridique en France ?

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Pendant que le conflit s’étend en Terre sainte sur les limites que doit avoir le sytème juridique local, il n’est peut-être pas sans intérêt de s’intéresser à celui de la France. Un lecteur nous a envoyé un article paru sur Figarovox, et il ne manque pas d’intérêt en effet.

«La harangue du juge Baudot reste la bible de la gauche judiciaire»

Par Hervé Lehman

Publié le 23/06/2020 à 18:32 , mis à jour le 24/06/2020 à 12:14

FIGAROVOX/TRIBUNE – En 1968, un membre du Syndicat de la magistrature (gauche et extrême-gauche) a écrit un texte ouvertement idéologique. La doctrine qu’il expose continue d’imprégner les ministres venus de la gauche, analyse l’ancien juge d’instruction Hervé Lehman (notre illustration : un livre de cette personne, « Soyez partiaux ! »).

Hervé Lehman est ancien juge d’instruction et avocat au barreau de Paris. Il a notamment publié Le Procès Fillon (éd. du Cerf, 2018) et Justice, une lenteur coupable (PUF, 2002).

Un ministre de l’Intérieur qui affirme que l’émotion dépasse les règles juridiques et qui déclare être «particulièrement à l’aise» à l’idée de poser un genou à terre devant une personne décédée lors d’une interpellation par la police, une garde des Sceaux qui se propose de recevoir une famille largement composée de délinquants récidivistes en même temps qu’elle a fait libérer 13.000 détenus… On pourrait croire qu’ils ont perdu la raison ou cédé à la panique. Il existe en réalité une explication qui tient à l’idéologie profonde de ces deux militants socialistes chevronnés. Le premier a été membre du parti socialiste de 1986 à 2016, et la seconde de 1983 à sa nomination au Conseil constitutionnel par le président socialiste du Sénat en 2013.

Une des bases idéologiques de la gauche judiciaire est «la harangue de Baudot», ce texte fondateur du Syndicat de la magistrature, écrit en 1968 par un magistrat syndiqué, Oswald Baudot, à l’attention des jeunes juges. Il fixe trois lignes directrices, dont la plus forte est la suivante: «Soyez partiaux (…) Examinez toujours où sont le fort et le faible qui ne se confondent pas nécessairement avec le délinquant et sa victime. Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l’enfant contre le père, pour le débiteur contre le créancier, pour l’ouvrier contre le patron, pour l’écrasé contre la compagnie d’assurance de l’écraseur, pour le malade contre la sécurité sociale, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice.» Pour la gauche judiciaire, entre le délinquant qui s’enfuit devant la police et cette dernière, il faut avoir un préjugé favorable pour le délinquant. C’est ce qui justifie que l’on encourage une manifestation interdite dès lors que c’est contre la police, que la ministre de la Justice souhaite recevoir la famille du délinquant, et que le ministre de l’Intérieur va jusqu’à envisager de s’agenouiller. Par bonheur, les juges d’instruction chargés de l’affaire Traoré ne sont pas des adeptes de Baudot et cherchent la vérité sans préjugé.

Emmanuel Macron avait annoncé dans son programme électoral qu’il construirait 15.000 places de prison.

Le deuxième précepte de la harangue est le refus de la prison: «Si la répression était efficace, il y a longtemps qu’elle aurait réussi. Si elle est inutile comme je le crois, n’entreprenez pas de faire carrière en vous payant la tête des autres. Ne comptez pas la prison par années ni par mois mais par minutes et par secondes, tout comme si vous deviez la subir vous-mêmes». Pour la gauche judiciaire, l’emprisonnement est néfaste, et donc à éviter. Plus érudit que l’auteur de la harangue, et plus radical, Michel Foucault a théorisé dans Surveiller et punir le refus de la prison, instrument de l’oppression bourgeoise. Pour lui, la prison produit de la délinquance pour permettre à la bourgeoisie d’en profiter et de neutraliser les luttes sociales. À son congrès de 1985, le Syndicat, très influencé par les travaux du philosophe, a adopté une motion commençant par: «Le Syndicat de la magistrature affirme la nécessité de la suppression à terme de la prison».

Emmanuel Macron avait annoncé dans son programme électoral qu’il construirait 15.000 places de prison, et tweetait le 17 février 2017: «Un principe, en matière de justice, toute peine prononcée doit être exécutée.». Et il affirmait: «Toute personne condamnée à une peine de prison inférieure ou égale à deux ans devra effectivement être incarcérée avant que ne soient envisagées des mesures d’aménagement de cette peine». Nicole Belloubet a obtenu que le nombre de places de prison construites soit réduit à 7.000, mais on les attend encore, et elle a fait voter un texte qui prohibe l’exécution des peines de moins de six mois et décourage fortement celles de moins d’un an. Surtout, à l’occasion de l’épidémie, elle a fait baisser le nombre de détenus de 20% en libérant ou n’incarcérant pas 13.000 détenus. Le Syndicat de la magistrature revendique depuis des décennies un numerus clausus: pas d’incarcération si le nombre théorique de places est atteint. Le Syndicat en rêvait, Nicole Belloubet l’a fait.

La garde des Sceaux pense qu’il ne faut pas faire un cas exagéré de la loi qui interdit au ministre de la Justice d’intervenir dans les affaires judiciaires.

Enfin la harangue invite à s’accommoder avec la loi: «Dans vos fonctions, ne faites pas un cas exagéré de la loi et méprisez généralement les coutumes, les circulaires, les décrets et la jurisprudence. Il vous appartient d’être plus sages que la Cour de cassation, si l’occasion s’en présente (…) Consultez le bon sens, l’équité, l’amour du prochain plutôt que l’autorité ou la tradition. La loi s’interprète. Elle dira ce que vous voulez qu’elle dise. Sans y changer un iota, on peut, avec les plus solides «attendus» du monde, donner raison à l’un ou à l’autre, acquitter ou condamner au maximum de la peine. Par conséquent, que la loi ne vous serve pas d’alibi. D’ailleurs vous constaterez qu’au rebours des principes qu’elle affiche, la justice applique extensiblement les lois répressives et restrictivement les lois libérales. Agissez tout au contraire.»

Le ministre de l’Intérieur prône qu’il ne faut pas faire un cas exagéré de la loi qui interdit les rassemblements pour des raisons de santé publique qui ont privé de liberté tout le pays pendant deux mois, dès lors que c’est pour la bonne cause, celle de l’antiracisme, qui est, dit-il, à la base de son engagement politique. Et la garde des Sceaux pense qu’il ne faut pas faire un cas exagéré de la loi qui interdit au ministre de la Justice d’intervenir dans les affaires judiciaires si c’est pour la même cause, ni de celles qui prévoient des peines d’emprisonnement, pas plus d’ailleurs que des tribunaux qui les prononcent, puisque c’est pour la bonne cause de la fin de la prison. Oswald Baudot doit sourire dans sa tombe.

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