FIGAROVOX/TRIBUNE – Alors que Vladimir Poutine s’apprête à être réélu dimanche 18 mars à la tête de la Russie, Laurence Daziano dévoile les fondements de ce que pourrait être un renouveau des relations diplomatiques et commerciales entre Russes et Européens.
Laurence Daziano est maître de conférences en économie à Sciences Po.
À la veille de l’élection présidentielle russe, le 18 mars, et avant la visite du Président français à Saint-Pétersbourg en mai prochain, il convient de réfléchir à l’état de nos relations avec Moscou, des rapports de force sur l’échiquier mondial ainsi que des perspectives à long terme pour définir, comme à l’époque du concert de Vienne ou des Accords d’Helsinki, une diplomatie de paix.
La Russie a été historiquement marquée, depuis Pierre le Grand, par la crainte de l’encerclement, éternel paradoxe de la part du plus grand pays au monde, un «Empire continent», qui s’étire de l’Europe à l’Asie de l’Est. Couplé au traumatisme de l’effondrement de l’URSS et la relégation, par les Occidentaux, au rang d’une simple puissance régionale, cela suffit à expliquer la stratégie de Vladimir Poutine à la veille de sa réélection au Kremlin. La marche forcée de l’expansion de l’Union européenne et de l’OTAN a achevé de détruire la confiance patiemment établie dans les années 1990 entre l’Ouest et l’Est, notamment avec les candidatures de la Géorgie, puis de l’Ukraine, faisant suite aux adhésions des pays baltes.
Après presque dix années d’une défiance qui atteint désormais des «sommets» avec une nouvelle course aux armements, une cyberguerre latente et des convulsions meurtrières au Proche-Orient et en Ukraine, il est désormais temps de réfléchir à une sortie de crise par le haut. Un plan de paix de haut niveau entre le G7 et la Russie pourrait passer par une initiative diplomatique visant à proposer des perspectives à Moscou qui tiennent compte des intérêts respectifs des Européens et des Russes. Le préalable à une telle approche diplomatique est de rétablir la confiance en réintégrant la Russie au sein du G7, et donc de réactiver le G8. Le plan de paix de haut niveau passe ensuite par cinq mesures.
D’abord, la question ukrainienne doit être réglée dans un cadre global qui comprend trois sujets: un accord de paix en Ukraine avec la «finlandisation» du pays, c’est-à-dire sa neutralisation entre l’Europe et la Russie, ce qui au demeurant ne sera que la reconnaissance de la mixité ukrainienne entre les anciennes terres européennes catholiques de l’Empire austro-hongrois et les régions russophones ; le désarmement de toutes les factions armées ; la cession de la Crimée à la Russie avec la garantie d’un statut de neutralité pour la péninsule, en dehors du port de Sébastopol, et la reconnaissance de droits spécifiques pour les Ukrainiens ne souhaitant pas devenir Russes.
Ensuite, le traitement de la crise syrienne, sous l’égide d’un groupe de contact associant les États-Unis, l’Union européenne, la Russie, l’Iran, l’Arabie saoudite et la Turquie. L’objectif est de profiter du «momentum» créé par l’enlisement du conflit pour l’ensemble des belligérants et les besoins de reconstruction du pays pour négocier une sortie de crise politique. Il s’agirait de proposer un plan de paix sur le modèle des accords de Dayton pour la Bosnie Herzégovine.
Le troisième volet du plan de paix de haut niveau doit inclure une nouvelle étape dans le désarmement nucléaire avec un traité «START IV» afin de compléter le traité START III signé entre Barack Obama et Dimitri Medvedev le 8 avril 2010. Ce nouveau traité est une nécessité en raison des risques de prolifération nucléaire en Corée du Nord ou en Iran, ainsi que des annonces récentes de Vladimir Poutine sur les nouvelles armes nucléaires russes.
Les deux derniers volets concernent l’économie et l’énergie. La Russie, dont l’économie est encore trop dépendante des hydrocarbures, a besoin de se développer. Il faut en prendre acte et offrir une perspective de long terme à Moscou. Un accord de libre-échange pourrait être conclu entre l’UE et la Russie afin de doper les échanges commerciaux puisque l’Europe représente le premier débouché pour les exportations russes (55 % du total). Enfin, l’UE doit également proposer de créer une Union de l’énergie, dotée d’un conseil conjoint, et permettant de sécuriser l’approvisionnement gazier européen (la Russie représentant plus du tiers des importations de gaz en Europe) ainsi que les grands projets, à l’instar de Nord Stream 2, essentiel pour l’économie allemande, ou l’exploration-production dans le Grand Nord arctique à l’instar de Yamal.
Source www.lefigaro.fr