Chronique d’un papy flingueur Albert NACCACHE
Temps et Contretemps – illustration : Photo tirée du documentaire Tantura
Deux films font l’actualité Little Palestine et Tantura. «Little Palestine» est un film sur la brutalité du régime syrien lors du siège de Yarmouk. Le poignant documentaire d’Abdallah Al-Khatib, sorti le 12 janvier 2022 en France, revient sur l’un des épisodes les plus sombres de la guerre en Syrie. Le siège implacable par l’armée de Bachar Al-Assad du camp de Yarmouk. Le réalisateur palestinien Abdallah Al-Khatib filme les privations quotidiennes, tout en rendant hommage au courage des enfants et des habitants du quartier dans un film à la fois bouleversant et poétique.
Le deuxième documentaire «Tantura» du réalisateur israélien Alon Schwarz a été diffusé fin janvier 2022 au festival de Sundance, en Utah, aux Etats-Unis. Ce film revient sur la prise par l’armée israélienne du village palestinien de Tantura en mai 1948. Les historiens israéliens se sont affrontés sur l’hypothèse d’un massacre.
1-“Little Palestine”, un film sur la brutalité du régime syrien lors du siège de Yarmouk
Le documentaire d’Abdallah Al-Khatib, Little Palestine, journal d’un siège revient sur l’un des épisodes les plus sombres de la guerre en Syrie : il décrit l’implacable siège par le régime de Bachar Al-Assad du quartier palestinien de Yarmouk, dans la banlieue sud de Damas entre 2013 et 2015. Caméra au poing, Abdallah Al-Khatib a capturé au fil des mois les bribes d’un quotidien infernal, entre bombes et famine. Il témoigne à la fois des privations, des craintes et des souffrances, mais aussi du courage et de l’humour des enfants et des habitants du quartier.
Le camp de Yarmouk était complètement isolé du monde extérieur et sa population privée de nourriture, de médicaments et d’électricité, dans le cadre d’une stratégie de siège suivie dans plusieurs régions du pays pour faire plier la rébellion. Fin 2012, quelque 140.000 réfugiés ont fui le camp en une semaine, alors que le régime syrien y menait une campagne de bombardements pour tenter de contrer l’avancée des groupes rebelles. La population, qui s’élevait à 160.000 habitants en 2012, s’est ainsi vu réduite à quelque 18.000 habitants piégés : «Tuez-nous avec vos missiles. Ainsi, on ne mourra pas de faim. On ne mourra pas sans dignité !», clame même un assiégé après un bombardement.
Pas d’inquiétude pour le régime de Bachar el-Assad
Ce documentaire a été salué par la critique, mais de nombreuses personnalités publiques, des universitaires et des journalistes soutiennent le régime d’Assad et se font l’écho de son affirmation selon laquelle il ne fait que combattre le terrorisme. Les défenseurs des Palestiniens demeurent silencieux. Bien qu’ayant bombardé ses propres hôpitaux, tuant malades, infirmiers et médecins, la Syrie de Bachar el-Assad a été élue membre du Conseil exécutif de l’Organisation mondiale de la Santé. Et elle va bientôt être réintroduite au sein de la Ligue arabe.
Le vacarme de Tantura
Le deuxième documentaire «Tantura», du réalisateur Alon Schwarz (2022) est fondé sur la thèse présentée en 1998, par un étudiant en maîtrise de l’université de Haïfa, Teddy Katz, qui fit l’effet d’une bombe, puisqu’il affirme : «Dans le massacre de masse qui eut lieu dans ce village, furent tués pas moins de 150, et peut-être même 200 hommes». Teddy Katz avait choisi son sujet avec Ilan Pappé qui enseignait à l’Université de Haïfa.
Les anciens de la division Alexandroni lui intentèrent un procès en diffamation. Il fit appel à des avocats bénévoles de l’ONG palestinienne-israélienne Adalah. Il demanda aussi au patron de la Maison de l’Orient et ministre OLP de Jérusalem, Fayçal Husseini, de lui fournir de l’argent. M. Katz a personnellement confirmé qu’il avait demandé et reçu de Fayçal Husseini environ 18.000 dollars pour couvrir les frais de justice. Finalement, la plainte en diffamation contre Katz de la part des vétérans l’a amené à se rétracter sur le récit du massacre. Le film a reçu des subventions du réseau du câble Hot et du Fonds cinématographique d’Israël. Il conclut que des Palestiniens ont probablement été enterrés sur ce qui est aujourd’hui un parking près de la plage Dor Beach, très fréquentée dans le nord du pays. « Je suis sioniste, je pense que les Juifs doivent avoir leur propre État mais il est essentiel que nous comprenions notre histoire» explique le réalisateur Alon Schwarz.
Des conclusions différentes et contradictoires
Les historiens qui ont abordé l’épisode — de Yoav Gelber à Benny Morris et Ilan Pappé – sont arrivés à des conclusions différentes et contradictoires. Yoav Gelber précise que le village avait décidé de participer à la guerre avec l’appui de combattants de l’armée arabe. Une tuerie, accompagnée d’une mise à sac du village, est imputée à l’atmosphère de furie succédant immédiatement à la reddition, d’autant plus qu’un ou quelques combattants arabes avaient continué à tirer sur les troupes israéliennes après que les drapeaux blancs aient été brandis. Gelber affirme que quelques dizaines d’Arabes avaient été tués au cours de la bataille, mais qu’il n’y avait pas eu de massacre.
Benny Morris analyse l’ensemble des documents, et en conclut qu’aucune preuve univoque n’établit le fait qu’un massacre a eu lieu. Morris critique la thèse de Katz sur plusieurs points principaux : l’absence de preuves documentaires datant de l’époque des faits, les distorsions et inexactitudes dans les retranscriptions d’interviews (seule matière sur laquelle est basée la thèse). Pour Morris, le massacre reste une hypothèse qui pourrait être confirmée ou infirmée par la déclassification et analyse de «millions de documents» restant à explorer.
Adam Raz est un chercheur à l’Institut Akevot pour la recherche sur le conflit israélo-palestinien qui a participé à la production du film. Il pense qu’un débat sur les évènements de Tantura serait bénéfique à la société israélienne car «Juifs et Palestiniens continueront de vivre côte à côte « dans 100 ans »…Si nous voulons aller de l’avant, vers la réconciliation, nous devons confronter notre passé».
Ilan Pappé, considère qu’un massacre a été perpétré à Tantura. Il est aujourd’hui directeur du Centre européen d’études sur la Palestine à l’Université d’Exeter et participe de plein pied à la lutte contre Israël. Il écrivait le 5 février 2022 dans Middle East Eye : «Israël ne peut plus enterrer le massacre de Tantura. Le massacre participait du crime global contre l’humanité commis par Israël en 1948 et qui continue à ce jour – un crime qui est encore largement nié. La seule fin pertinente à cette criminalité en cours est la décolonisation de toute la Palestine historique et la pleine mise en œuvre du droit au retour …dans une Palestine libre et démocratique».
La thèse d’Ilan Pappé n’a le soutien d’aucun historien israélien, même parmi les «Nouveaux Historiens». Il dispose sans surprise de celui des pro-palestiniens français comme Dominique Vidal, Sylvain Cypel, CAPJPO, AFPS, AURDIP… L’affaire de Tantura est du pain bénit pour les activistes palestiniens pour qui il ne s’agit de rétablir la vérité historique mais de détruire l’État juif.
Ainsi Rima Najjar écrit : «Par bonheur, Ilan Pappé n’est plus tout seul sur les barricades». Dans un message sur Facebook Pappé explique :Nous n’avons nul besoin de Haaretz pour nous dire que la Nakba fut un crime israélien contre l’humanité, mais il s’agit d’un développement important. Quand le monde universitaire et les médias occidentaux cesseront-ils de nier la Nakba ? Quand aurons-nous une alliance internationale contre la négation de la Nakba ? Bientôt, espérons-le ! Nous avons besoin d’une alliance internationale pour faire comparaître ces crimes contre l’humanité devant la Cour pénale internationale ; nous avons besoin d’être solidaires avec le combat palestinien de longue haleine et toujours en cours pour la libération, nous avons besoin de décoloniser la Palestine en mettant un terme à l’État juif sioniste en Palestine, et ce, du fleuve à la mer. Nous avons besoin d’un Masar Badil : un Mouvement palestinien de la voie alternative révolutionnaire. Nous pouvons faire et nous ferons tout ce qu’il faut à ce propos». [1]
Désinformation et vérité historique
La culture de l’AFP et des médias français est souvent proche de ces thèses extrémistes qui rêvent de revanche, de guerre et de destructions. Lorsque ce sujet est traité il y a un oubli de données essentielles à sa compréhension. En voici quelques exemples :
– Lors de la proclamation de l’État d’Israël David Ben Gourion invitait les Arabes de Palestine à construire leur État aux côtés de l’État juif.
– Les Arabes se sont opposés au Plan de partage et à la création de l’État arabe.
– Les États arabes ont déclaré la guerre à l’État juif dès sa naissance.
– Les Israéliens ne voulaient pas de cette guerre qui a couté très cher au Yichouv 5.800 tués pour une population d’environ 630.000 personnes en mai 1948.
– Il est courant de rendre l’État d’Israël responsable de la catastrophe Naqba subie par les palestriniens
L’ouvrage de Shay Hazkani, historien israélien de l’université du Maryland «Dear Palestine, A Social History of the 1948 War» Stanford University Press remet les pendules à l’heure. A partir de l’étude de lettres et de l’analyse des discours des responsables militaires, c’est une des toutes premières études sociales de la guerre qui, entre 1947 et 1949, opposa d’un côté les milices armées du Yichouv dans la Palestine mandataire britannique, puis l’armée de l’État d’Israël après sa création, le 15 mai 1948, et de l’autre les milices palestiniennes et surtout des groupements armés mobilisés dans les pays environnants, puis les puissantes armées arabes égyptienne et jordanienne.
Avec diverses milices enrôlées en Syrie, en Transjordanie, en Irak et au Liban pour soutenir les Palestiniens. La plus active étant l’Armée de libération arabe (ALA, en arabe Armée arabe du Salut), commandée par Fawzi Al-Kaoudji. La division et la méfiance régnaient dans le camp des Palestiniens et de leurs alliés. Comme l’écrira dès février 1948 Hanna Badr Salim, l’éditeur à Haïfa du journal Al-Difa (La défense) : «Nous avons déclaré la guerre au sionisme, mais nous n’étions pas préparés, occupés à nous battre entre nous».
La critique la plus dure est réservée aux dirigeants palestiniens et arabes. Antoine Francis Albina, un Palestinien chrétien offre une critique radicale : «Nous ne devons accuser personne sauf nous-mêmes». La plus grande erreur des Palestiniens, selon lui : avoir fait confiance aux régimes arabes.
[1] Rima Najjar Publié le 24 janvier 2022 sur Countercurrents
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine 30 janvier 2022
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