Et si Donald Trump gagnait les midterm ?

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FIGAROVOX/ENTRETIEN – Dans deux mois auront lieu les élections de mi-mandat aux États-Unis. Trump peut-il l’emporter ? A-t-il encore le soutien de son socle électoral ? Son mandat est-il condamné comme les commentateurs l’affirment ? L’analyse de Lauric Henneton.


Lauric Henneton est maître de conférences à l’Université de Versailles Saint-Quentin. Il est l’auteur de La fin du rêve américain? (Odile Jacob, 2017).


FIGAROVOX.- Dans deux mois auront lieu les élections de «mid-term», alors que le Congrès américain est actuellement sous le contrôle des Républicains. Pensez-vous que le pouvoir de Donald Trump peut être ébranlé le 6 novembre prochain?

Les élections de mi-mandat sont généralement défavorables au camp d’un président nouvellement élu. En 1982, 1994 et 2010, Reagan, Clinton et Obama avaient dû faire face à un Congrès contrôlé par le camp adverse, particulièrement hostile. C’est donc presque la norme. George W. Bush avait échappé à ce sort car les midterms de 2002 étaient encore totalement marquées par le choc du 11 septembre. L’ironie est que tous ces présidents mis en difficulté presque d’entrée ont été réélus assez facilement en 1984, 1996 et 2012.

Du côté républicain, on s’attend donc à souffrir, parce que c’est assez mécanique, d’une part, et à cause de l’effet Trump, d’autre part. Mais une défaite (et il faut préciser ce qui constituerait une défaite) aux midterms n’annonce pas forcément une défaite à la présidentielle qui suit. Ce fut le cas en 2006, mais Bush ne pouvait pas se représenter car il était déjà dans son deuxième mandat. Les résultats de 2018 ne doivent pas forcément être considérés comme un prélude automatique à la présidentielle de 2020!

En réalité les «midterms» sont un empilement d’élections au niveau fédéral et au niveau local. Ce n’est pas une élection de type présidentielle ou législative avec un camp vainqueur et un camp vaincu. À l’heure qu’il est, et dans les conditions actuelles, il faut distinguer au moins quatre niveaux.

Depuis plus de vingt ans, les blancs « pauvres » ne votent pas ou plus d’abord en fonction de leurs intérêts économiques.

La Chambre des représentants devrait repasser sous contrôle démocrate, par un effet de balancier assez habituel, presque mécanique, mais aussi parce que la carte électorale joue en faveur des Démocrates: un certain nombre de Républicains sortants ne se représentent pas, notamment dans des circonscriptions où Hillary Clinton était majoritaire en 2016, ce qui laisse aux Démocrates l’espoir de prendre des sièges républicains désormais «ouverts». La géographie joue en revanche totalement en faveur des Républicains au Sénat, qu’ils devraient conserver.

Dans certains scénarios ils pourraient même avoir un ou deux sièges en plus. En effet, seul un tiers des sièges est renouvelé à la fois, et le tiers de 2018 est constitué essentiellement de sièges détenus par des Démocrates, qui doivent d’abord conserver leur siège. Ce qui ne sera pas évident dans des États «rouges» où Trump est arrivé largement en tête. Les Républicains ont peu de sièges à perdre cette année, et ils pourraient en gagner (en Floride, par exemple, dans certains États du Midwest).

Ce scénario est donc mitigé avec des gagnants des deux côtés. La «vague bleue» espérée par les Démocrates sera probablement relativisée par des gains républicains, ou si les Républicains limitent les dégâts en conservant le Sénat, donc le contrôle des nominations et la ratification des traités, par exemple. Mais en prenant la Chambre, les Démocrates pourront lancer un certain nombre de procédures visant à mettre en difficulté le Président et son entourage. Cette perspective fait peur à Trump, qui devrait passer deux années assez désagréables.

L’autre niveau est plus local, et de ce fait il intéresse moins les médias (même aux États-Unis), et pourtant il est très important. Les Démocrates pourraient prendre un certain nombre de postes de gouverneur, ce qui est crucial dans la perspective des redécoupages de circonscriptions qui suivront le recensement de 2020, et aura un impact sur les scrutins des années 2022-2030, en gros.

Tout dépendra pour les Démocrates à la fois de la capacité à mobiliser cette base, ne serait-ce que sur l’anti-trumpisme (qui ne fait pas une politique mais peut servir à mobiliser), mais aussi les blancs de la classe ouvrière qui sont passés chez les Républicains depuis plus ou moins longtemps.

Enfin, les Démocrates pourraient reprendre ou accentuer leur avance dans les chambres de différents États, dont les lois, certes moins médiatisées que celles du Congrès à Washington, ont un impact direct sur le quotidien des administrés.

La base électorale qui a permis à Donald Trump d’être élu est-elle toujours solide et prête à le soutenir?

La question est en réalité double: sa base est-elle prête à le soutenir à nouveau, et sera-ce suffisant pour contrer une mobilisation fondée sur l’opposition à Trump? À la première question, on peut répondre assez facilement par l’affirmative, si on limite la base aux évangéliques blancs conservateurs, qui ont soutenu Trump à 81% d’après les sondages sortis des urnes (pas forcément les plus fiables). Concernant une base plus large composée des blancs (hommes mais aussi femmes) peu ou pas diplômés, la réponse pourra varier en fonction de la géographie et (par exemple) des résultats économiques. Ce ne sera pas forcément le cas dans des régions qui subiraient le contrecoup des mesures protectionnistes voulues par Trump.

Mais deux nuances s’imposent. D’abord, le fait que, depuis plus de vingt ans, les blancs «pauvres» ne votent pas ou plus d’abord en fonction de leurs intérêts économiques. C’est le paradoxe mis en avant il y a près de 15 ans par Thomas Frank, même s’il a été nuancé depuis. C’est donc une question de curseur entre intérêts économiques et intérêts de «statut» (status politics, liés au sentiment d’abandon, de dépossession, de déclassement identitaire). L’autre nuance concernant les coalitions électorales est qu’il ne faut pas raisonner de manière trop monolithique, globale: il ne s’agit pas de voir si tel groupe va majoritairement soutenir tel candidat, donc si le candidat en question va conserver une majorité absolue du groupe en question, mais plutôt de voir si une part suffisante de ce groupe va continuer à soutenir le candidat en question.

Pour les Républicains, il ne faut pas descendre en dessous de 60% de soutien chez les Blancs pour l’emporter, mais l’objectif concernant les Hispaniques est d’atteindre.

Pour les Républicains, il ne faut pas descendre en dessous de 60% de soutien chez les Blancs pour l’emporter, mais l’objectif concernant les Hispaniques est d’atteindre 35 à 40%, pas plus. La base évangélique a reçu de nombreux signaux depuis l’élection de Trump et le soutien reste très ferme, d’autant que c’est un groupe qui vote et fait voter, qui est capable de mobiliser de manière redoutablement efficace.

Le grand drame des démocrates c’est que leur coalition est composée de groupes dont les taux de participation conservent de bonnes marges de progression, disons (jeunes, minorités, «sans religion»). Seuls les diplômés ont un taux de participation élevé. Tout dépendra pour les Démocrates à la fois de la capacité à mobiliser cette base, ne serait-ce que sur l’anti-trumpisme (qui ne fait pas une politique mais peut servir à mobiliser), mais aussi les blancs de la classe ouvrière qui sont passés chez les Républicains depuis plus ou moins longtemps. Particulièrement prisés: les «Trump Democrats», qui ont voté Obama au moins en 2008 (parfois également en 2012) et Trump en 2016. Le «ticket» démocrate de 2020 sera particulièrement important car il faudra qu’au moins un des deux candidats ait la capacité de parler à cet électorat vital pour les démocrates, mais trop souvent négligé. Les Démocrates devront donc faire le grand écart entre le parti des côtes et le parti du «Heartland».

Après plus d’un an et demi de gouvernance, quel bilan tirer de la politique de Donald Trump? La croissance américaine est-elle son seul atout?

Il est difficile d’établir un quelconque bilan car on reste dans la première moitié du (premier?) mandat. Il est difficile notamment de mesurer l’impact (pour peu qu’on puisse en parler au singulier) de la réforme fiscale, par exemple, ou de mesures sur l’éducation. Au niveau économique, il est important de rappeler que la progression des indices boursiers comme les chiffres du chômage historiquement bas ne sont pas dus uniquement à Trump: déjà sous Obama, le chômage baissait et la Bourse montait. C’est donc plus conjoncturel et il est probable que cette double tendance aurait été la même, peu ou prou, sous une présidence de Ted Cruz ou d’Hillary Clinton.

Pour ce qui est plus spécifiquement «trumpien», le bilan de ce qu’il a réussi à faire est mitigé. D’abord sur le style, le populisme de la campagne a été nuancé par les nominations: banquiers de Wall Street, rivaux de la primaire contre qui il n’avait pas de mots assez durs, grands patrons. Sans parler des démissions en cascade, spectaculaires et ultramédiatisées. Le bruit de fond est de plus en plus celui d’un grand cirque, surtout avec le livre à venir de Woodward (qui n’est ni le premier ni le dernier) et la tribune anonyme publiée par le New York Times faisant état d’une forme de résistance de l’intérieur.

Trump n’a pas provoqué de guerre que ce soit à mettre à son crédit ou à celui de ses conseillers et ministres qui ne lui obéissent pas !

Il a tenu un certain nombre de promesses de campagne, sur le déplacement de l’ambassade en Israël (tous ses prédécesseurs avaient fait la même promesse, mais personne ne l’avait tenue), il a contribué à une forte dérégulation, il a nommé des conservateurs à la Cour suprême, même si les juges qu’il a nommés ne sont pas des extrémistes, ce qui vaut encore (sauf exception) pour les juridictions inférieures. De ce point de vue là, il a dû composer avec le Parti, qui contrôle le Sénat, et qu’il a fait plier lors des primaires. Car sa victoire aux primaires était d’abord et avant tout une victoire sur l’establishment républicain.

Pourtant, dans la pratique, le même establishment républicain semble tirer son épingle du jeu: il n’y a pas de révolution trumpienne qui le ferait voler en éclat. La «disruption» est assez limitée sur ce plan: le Parti républicain dérive vers une droite de plus en plus intransigeante au moins depuis l’élection d’Obama et l’irruption du mouvement «Tea Party» (2009).

Sur le plan économique, la situation s’inscrit dans une certaine continuité historique, donc, mais il faut ajouter deux nuances encore: d’abord, ne pas sous-estimer les politiques locales, au niveau des États, dans la stimulation de l’activité économique. Chaque État fonctionne comme une petite république, pas comme un département. Ensuite, les excellents chiffres du chômage sont à la fois variables et pas forcément très révélateurs.

Variables parce que dans un même État comme l’Alabama, certains comtés comptent 3,5% de chômeurs, d’autres 11% ; peu révélateurs car le calcul de ces chiffres n’inclut pas un certain nombre d’hommes blancs d’âge moyen, qui sont totalement sortis des statistiques. Il faut encore mentionner la terrible crise des opioïdes, qui a fait des ravages notamment dans le Nord-Est et dans le Midwest. Il semble que la situation s’améliore mais ça n’est pas à mettre au crédit de Trump.

Dernier volet, le plus scruté, les relations internationales: Trump n’a pas provoqué de guerre – que ce soit à mettre à son crédit ou à celui de ses conseillers et ministres qui ne lui obéissent pas! Il a mené un certain nombre de négociations dans un style assez personnel dont il est difficile de mesurer les effets, notamment sur la Corée du Nord, de même que dans la renégociation des traités de libre-échange avec le Mexique et le Canada. Sur ces dossiers, les victoires d’un jour sont souvent relativisées le lendemain, et ça ne concerne pas que Trump.

Les élections de mi-mandat sont aussi l’occasion de faire le point sur les équilibres en dessous du niveau fédéral qui monopolise l’attention.

Toujours est-il que, globalement, l’image des États-Unis sur la scène internationale a perdu de son lustre, et les États (Californie en tête) s’efforcent de rassurer les différents partenaires, notamment sur les questions environnementales: les États-Unis (sauf sur les questions de défense, bien sûr) sont aussi une fusée à deux étages et on peut toujours compter sur certains États. Les élections de mi-mandat sont aussi l’occasion de faire le point sur les équilibres en dessous du niveau fédéral qui monopolise l’attention.

Source www.lefigaro.fr

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