Ces djihadistes qui seront bientôt libres

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Le chiffre inquiète : 70 à 80 condamnés pour terrorisme sortiront de prison dans les deux ans. La chancellerie se dit prête à y faire face.

L’alerte est donnée. La justice va se trouver, dans les mois qui viennent, face à un casse-tête : comment traiter le cas des dizaines de personnes condamnées depuis 2012 pour des faits de terrorisme et qui seront libérées à l’issue de leur peine ? Pour Jean-Charles Brisard, président du Centre d’analyse du terrorisme (CAT), la menace se profile à un horizon de plus en plus proche. Car le degré de dangerosité des détenus libérables reste une inconnue. Son think tank spécialisé suit la totalité des audiences jugeant les infractions liées au terrorisme. La plupart d’entre elles concernent actuellement les « returnees », ces djihadistes volontaires de retour de la zone irako-syrienne, où l’Etat islamique ne cesse d’enregistrer des revers militaires. Filières dites de Strasbourg, d’Albertville, de Nîmes, du Val-de-Marne, du Sud-Ouest et dernièrement d’Orléans se sont ainsi succédé au fil des mois devant les juges.

Comment distinguer les ex-détenus qui ont tourné la page des convaincus du djihad?

Selon la statistique du CAT, 126 de ces « returnees » ont déjà été jugés. En moyenne, six ans de prison leur ont été infligés par les tribunaux, le maximum possible étant de dix ans. « Est-ce vraiment dissuasif pour des gens qui ont combattu sur ces fronts? », s’interroge Jean-Charles Brisard. Mais d’après lui, le sujet principal d’inquiétude réside dans l’imprévision de l’après-détention. « D’ici à 2020, 60% de ces condamnés seront libérables. Pour le seul mois de novembre, sur 13 individus jugés, sept sont théoriquement libérables d’ici à deux ans. » La diversité des profils des 70 à 80 sortants possibles pose également problème. Comment distinguer les ex-détenus qui ont tourné la page de ceux qui restent des partisans convaincus du djihad ? Sous le feu des projecteurs ou dans l’indifférence générale, la justice antiterroriste fonctionne pourtant à plein régime. Que ce soit devant la cour d’assises spéciale, avec le dossier Cannes-Torcy en juin ou le médiatique procès Merah en novembre ; devant la cour d’appel qui a, par exemple, rejugé en mai sept jeunes Strasbourgeois revenus de Syrie en 2014, dont le frère d’un assaillant du Bataclan ; mais surtout devant la 16e chambre du tribunal correctionnel qui absorbe la majorité des dossiers d' »association de malfaiteurs terroriste » liés au « contentieux irako-syrien ». Un moment évoqué, le projet de criminaliser toutes les infractions liées au terrorisme – faire tout juger par la cour d’assises –, n’a finalement pas abouti. Il aurait provoqué un alourdissement de la durée moyenne des peines d’emprisonnement.

Les enjeux sont énormes. On sait qu’ils sortent encore plus radicalisés qu’ils ne l’étaient en y entrant

L’inquiétude vient aussi de l’inflation des cas à traiter. Entre 2014 et 2016, le nombre de saisines de C1, la section antiterroriste du parquet de Paris – appelée à devenir un parquet national antiterrorisme – a tout simplement été multiplié par trois, passant de 78 à 240. A la date du 18 décembre, pas moins de 473 dossiers sont toujours en cours, soit d’instruction (245), soit en enquête préliminaire (228), pour 174 déjà clôturés. Cette hausse considérable pourrait conduire le ressort de la cour d’appel de Paris à se doter d’une cinquième section d’assises et d’une chambre d’appel supplémentaire. Toujours à la date du 18 décembre, alors que 225 personnes ont déjà été jugées, 424 individus sont mis en examen dans des dossiers liés au terrorisme islamique et 810 – certains sont probablement décédés – sont visés par un mandat d’arrêt ou un mandat de recherche. Les procédures concernent également une centaine de mineurs. Les spécialistes s’accordent à dire qu’à l’exception de femmes et d’enfants – qui devront être pris en charge –, il n’y aura pas de retour massif de djihadistes. Ces derniers – environ 700 Français ou résidents signalés dans la zone – préférant combattre jusqu’à la mort sur place ou se relocaliser sur d’autres fronts (Afghanistan, Lybie, etc.).

 

Infographie Le JDD

Infographie Le JDD

 

L’attention se concentre donc sur la prison – véritable « incubateur très préoccupant de la menace », selon Nicole Belloubet – où l’on compte, au regard des derniers chiffres donnés par la garde des Sceaux cette semaine, « 509 individus condamnés ou prévenus pour des faits de terrorisme et 1.157 radicalisés ». « Les enjeux sont énormes, confirme un policier spécialisé. On sait qu’ils sortent encore plus radicalisés qu’ils ne l’étaient en y entrant et en plus ils ont eu le temps d’établir des contacts avec des détenus de droit commun. » Parmi eux, 70 sont d’ailleurs placés à l’isolement.

La garde des sceaux, Nicole Belloubet, se veut rassurante

En septembre 2016, la violente attaque dans la prison d’Osny (Val-d’Oise) de deux surveillants par un jeune prisonnier radicalisé avait servi de détonateur et sonné le glas des unités de prévention de la radicalisation (Upra). Le dispositif a depuis été remplacé par des quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER). Au nombre de trois, ils devaient passer à six début 2018 et faciliter la prise en compte des cas les plus critiques. La chancellerie affiche sa volonté de s’attaquer aux racines du mal. Elle annonce ainsi le renforcement du renseignement pénitentiaire, destiné à mieux repérer les détenus à risque. Elle prévoit aussi d’ouvrir deux nouveaux quartiers de regroupement. Celui de Lille-Annœullin (28 places) permet d’isoler de la détention ordinaire les plus prosélytes des prisonniers radicalisés. En milieu ouvert, le dispositif expérimental Rive (Recherche et intervention sur les violences extrémistes) semble prometteur mais il ne touche pour l’heure que 14 personnes – huit hommes et six femmes – (50 à terme) déjà condamnées ou en attente de leur jugement.

On essaie d’anticiper chaque sortie

La garde des Sceaux, qui a évoqué le sujet devant les hauts magistrats du parquet le 18 décembre, se veut cependant rassurante sur le suivi des futurs sortants. « Tous les détenus radicalisés quittant la détention ont vocation à faire systématiquement l’objet d’une ‘note de signalement’ diffusée aux services de renseignement partenaires, promet-on au ministère de la Justice. On essaie d’anticiper chaque sortie », confirme-t-on Place Beauvau. « Pour chaque individu, un service leader est désigné. A charge pour lui de ‘lever le doute’ ou de confirmer la dangerosité avant de faire le nécessaire : écoutes, surveillance, fiche S… » Près de 12.000 personnes inscrites dans le Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) font déjà l’objet d’un « suivi actif » de la part des services.

Source www.lejdd.fr

 

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