Professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne, Arnaud Benedetti est aussi rédacteur en chef de la revue politique et parlementaire. Il a publié Le coup de com’ permanent (éd. du Cerf, 2018) dans lequel il décrypte les stratégies de communication d’Emmanuel Macron.
La marche contre l’islamophobie à laquelle se sont joints quelques leaders de gauche, en quête vraisemblablement de nouvelles parts du marché électoral, est révélatrice d’une propagande insidieuse dont l’objectif premier consiste d’abord à instiller le doute. Avant-garde d’une «révolution» dont ils rêvent dans leur radicalité eschatologique, l’imposition de la charia, les islamistes usent là d’un vieux ressort de la mécanique propagandiste: celui de diviser l’adversaire. Leur adversaire n’est autre que l’axe républicain, celui des partis et autres syndicats qui, nonobstant leurs oppositions, parfois résolument conflictuelles, se retrouvent néanmoins et nécessairement dans une forge commune de règles du jeu. Parmi celles-ci, la séparation entre le temporel et le spirituel, de source chrétienne et dont la laïcité en France est l’aboutissement historique, constitue un décret fondateur du pacte national.
Les mélenchonistes arpentant aux côtés d’islamistes notoires les rues de Paris ont ainsi servi d’alibis à cette offensive communicante.
En parvenant à diviser la gauche sur le sujet, à en détacher une partie de celle-ci, les promoteurs de la marche du 10 novembre ont atteint leur visée propagandiste. Ils ont ouvert un front chez l’ennemi, divisant celui-ci, et s’octroyant un brevet de banalisation à travers la présence des soldats un peu perdus de la gauche ultra. Ce faisant, ils ont usé d’une vieille ficelle communicante, redoutable d’efficience qui n’est pas tant de faire adhérer à un message que de susciter une opportune diversion pour masquer la réalité de leur fond doctrinal. Le propagandisme se nourrit de la ruse, des fragilités de ses opposants, de leurs émotions. Il est d’abord une incitation à l’action et un dispositif d’altération du jugement. Jacques Ellul, décrypteur visionnaire de la modernité, ne le dit pas autrement: «Le but de la propagande moderne n’est plus de modifier les idées, mais de provoquer une action (…). Ce n’est plus de faire changer d’adhésion à une doctrine , mais d’engager irrationnellement dans un processus actif». Loin de s’adresser à des masses incultes, cette néo-propagande est destinée à des acteurs informés, instruits, disposant parfois d’un indéniable bagage culturel. Elle vise à mobiliser des leaders d’opinion, quand le peuple dans ses profondeurs demeure hostile ou indifférent. Les mélenchonistes arpentant aux côtés d’islamistes notoires les rues de Paris ont ainsi servi d’alibis et de vecteurs opérationnels à cette offensive communicante. Ils se sont fait enfin les porteurs zélés d’une autre dimension «manipulatoire», bien connue des industries polluantes et toxiques: la stratégie du doute qui consiste à miner de l’intérieur les évidences les plus fondées. L’idée est de retourner l’argumentation de la preuve contre la victime.
Ici, ce n’est pas l’islam qui pose problème dans sa relation avec l’État, mais l’État et la société qui stigmatisent l’islam. Tout consiste à dissiper les actes terroristes passés, à dénoncer les législations prétendument «liberticides», à mettre en question le droit de critiquer une religion, à susciter des hésitations quant au bien-fondé d’une organisation sociale et politique. Le dispositif est indissociable de l’histoire de la com’. Le premier à l’avoir initié fut l’inventeur de la publicité moderne, l’américain Albert Lasker, par ailleurs lobbyiste des cigarettiers, qui à l’heure des premières publications scientifiques établissant une corrélation entre la consommation de tabac et le développement de certaines pathologies fit réaliser de faux-sondages auprès du corps médical pour démontrer la valeur… thérapeutique de la cigarette!
La marche du 10 novembre, contrefaçon grossière des marches civiques, n’avait d’autre objet que de tester la capacité de discernement du corps politique.
À l’entreprise de division ciblant les intellectuels et militants organiques de l’univers républicain, à l’instauration du doute au cœur du forum républicain, les islamo-communicants ont ajouté une dernière pièce à leur «storytelling». Comme souvent lorsqu’il s’agit de créer du dissensus, ils ont établi leur redoutable machinerie en partant d’une matière incontestable qu’ils ont subvertie au point d’en faire la métaphore hypertrophiante de leur «stigmatisation», celle-là même qui vise à dissoudre et à occulter la réalité de leurs offensives récurrentes contre le contrat républicain. L’attaque déplorable contre la mosquée de Bayonne a ainsi été le MacGuffin au récit déformé et déformant qu’ils s’efforcent d’imposer au sein d’un espace public qu’ils visent d’abord à culpabiliser pour mieux le soumettre.
La marche du 10 novembre, agit-prop événementielle, contrefaçon grossière des marches civiques, n’avait d’autre objet que de tester la capacité de discernement du corps politique de la République. En ramenant à eux l’insoumission mélenchoniste et l’ultra gauche, les islamistes ont gagné en visibilité mais pas en respectabilité. Ce faisant, ils ont entraîné leurs compagnons de route laïcs sur le chemin de la marginalisation et du discrédit… pour un temps, tout au moins.
Source hwww.lefigaro.fr