Réflexion de la semaine par le rav Mordekhai Bismuth
Avec le 9 Av, le 17 Tamouz et le 3 Tichri (le jeûne de Guedalya), le 10 Tévet est l’un des quatre jours de jeûne qui commémorent des périodes sombres notre histoire.
Le 10 Tévet marque le début du siège de Jérusalem par Nevoukhanétsar (Nabuchodonosor), le roi de Babel, et les premiers assauts de la bataille qui allait détruire la ville de Yerouchalayim et le Beth hamikdach construit par Chelomo Hamélekh, et voir également partir les Juifs pour un exil de 70 ans à Babel.
Comme il est écrit : « Il arriva, en la neuvième année de son règne [de Sédécias], au dixième mois, le dixième jour du mois, que Nabuchodonosor, roi de Babylone, vint contre Jérusalem, lui et toute son armée, et campa contre elle ; et ils bâtirent contre elle des retranchements tout à l’entour. La ville fut assiégée jusqu’à la onzième année du roi Sédécias… » (II Rois 25, 1 et suivants).
La date du 10 Tévet nous a été rapportée par le prophète Ye’hézékel qui se trouvait déjà à Babel car il faisait partie du premier groupe de Juifs exilés par Nevoukhanétsar onze ans avant la destruction du Temple. Comme il est écrit « La parole d’Hachem s’adressa à moi la 9ème année, au 10ème mois (Tévet), au 10ème jour du mois, en ces termes : Toi, fils de l’homme, prends note de cette date, c’est en ce jour-ci que le roi de Babylonie a assiégé Yerouchalyim.»
Le jeûne du 10 Tévet est celui que le prophète Zékharia (Zakari) a appelé « le jeûne du dixième mois » (8, 19).
Ce jeûne a une spécificité particulière, il sera observé même s’il tombe un vendredi (veille de Chabbath) alors que nos autres jours de jeûnes sont calculés de telle sorte qu’ils ne tombent jamais un vendredi, afin de ne pas gêner les préparatifs de Chabbath. Par exemple si le jeûne d’Esther, tombe un vendredi, il sera anticipé à la veille, le jeudi. Tandis que le 10 Tévet ne le sera pas. La Halakha a tenu compte du verset de Ye’hézékel impose que le jeûne ait lieu « ce jour même ».
Mais plus encore, le Aboudaram (Hilkhot Ta’anit) rajoute que même s’il tombe un Chabbath, on ne le repoussera pas, et on jeûnera ce jour-là !
Il y a de quoi s’interroger sur la pertinence de ce jeûne, qui marque un événement qui n’avait rien de vraiment catastrophique.
En effet le jeûne du 9 av, qui marque la destruction du premier et deuxième Temple, s’applique à un désastre de notre histoire, mais ce n’est nullement le cas de celui du 10 Tévet, qui correspond à un fait historique beaucoup moins important, à priori.
Mais avant d’y répondre essayons de comprendre, pourquoi ou pour quoi faut-il jeûner ?
Le Rambam écrit (Hilkhot Ta’aniyoth 5;1) « Tout le peuple d’Israël jeûne pendant les jours dans lesquels leur sont arrivés des malheurs, afin d’éveiller les cœurs, et d’ouvrir les chemins du repentir. En rappel à nos mauvaises actions, et aux mauvaises actions de nos ancêtres, qui sont comparables aux nôtres, au point de leur avoir causé, à eux comme à nous même, tous ces malheurs. Car c’est en rappelant toutes ces choses, que nous améliorerons notre comportement envers Hachem, comme il est dit (Vayikra 26;40) : « Ils avoueront leurs fautes, ainsi que celles de leurs parents ». »
Il ressort du Rambam que l’essentielle de nos jeûnes est d’éveiller notre cœur vers le repentir et supplier Hachem qu’il nous prenne en pitié, et qu’il revienne nous délivrer définitivement.
Mais il nous reste toutefois à comprendre quel malheur est-il arrivé, le 10 Tévet, pour que l’on soit aussi strict ce jour-là.
Nous avons rapporté, plus haut, que le Aboudaram (Hilkhot Ta’anit) écrit que contrairement aux autres jeûnes institués par nos Sages (derabanane), le jeûne du 10 Tévet ne sera pas repoussé s’il a lieu Chabbath, comme pour celui de Yom Kippour !
Le ‘hidouch du Aboudaram est tout aussi immense qu’étonnant, et demande réponse en quoi ce jeûne est tellement diffèrent ?
Pour expliquer cela, nous allons nous pencher sur le verset suivant : « Et la fille d’un Cohen, si elle est profanée/Té’hel/תחל par un adultère, c’est son père qu’elle profane, elle sera brûlée par le feu » Vayikra 21 ;9
Le rav Yeouchiyahou Pinto explique que le terme « profanée/תחל/Té’hel », renferme la même racine que « commencement/תחלה/Té’hla ».
Selon lui, le terme « profanée/Té’hel » est superflu, et le verset aurait compréhensible sans cette mention. Mais la Tora, vient par ce terme nous enseigner par allusion, une idée fondamentale, le terme « profanée» sous-entend « commencement ».
Pour nous dire que l’essentiel d’une chute se situe dans sa racine, c’est dans son début/Te’hla que le mal est enfoui.
En effet tant que la ligne rouge n’a pas été franchie, tant que le premier acte n’a été effectué, la personne conserve encore son statut de « cachère ».
Le 10 Tévet, a eu lieu le début du siège de la ville sainte, ce qui causa par la suite la destruction du Beth Hamikdach. Pourtant à cette date-là et à cette époque, Yerouchalayim se portait bien, on n’y ressentait aucune pression, aucun danger. Comme il est enseigné dans la Guemara (Guitin) que pendant 21 ans la ville était autonome, et on ne manquait de rien.
Mais la réalité était tout autre, c’était bien le début de la destruction du Beth Hamikdach. C’est en cela que la date du 10 Tévet est plus grave, que celle du 17 Tamouz ou 9 Av. Elle marque le début de la chute, et la négligence de notre réactivité.
Le 10 Tévet vient nous apprendre la prudence du départ.
Nous devons prendre garde de chaque début, et c’est en cela que chacun est soumis à l’obligation de jeûner le 10 Tévet. Et celui qui s’exclut de cette obligation imposée par nos maîtres, s’expose à leur malédiction qui est aussi terrible que la morsure du serpent, comme il est dit « celui qui brise la barrière sera mordu par le serpent ».
Profitons de ce jour de jeûne, pour réfléchir et éveiller notre cœur vers le repentir.
Ouvrir notre cœur aux paroles « prévenantes » des Rabbanim qui ont une vue plus large et plus sage des événements actuels et à venir.
Il nous arrive très souvent de nous dire que les « vieux » rabâchent, qu’ils appartiennent à une autre génération où la vie n’était pas la même, que les nouveaux concepts de la modernité leur échappent, parce qu’ils passent leur temps dans leurs livres et dans leur Beth Hamidrach et qu’ils ne sont donc pas aptes à juger ce qui est bien ou non.
Leurs mises en garde contre internet, les nouvelles technologies, les médias… sont sévères et injustifiées, ils ne parlent pas en connaissance de cause et il est donc inutile de suivre les directives de ces hommes dépassés.
Mais la Guemara (Meguila 31b) nous enseigne : « Rabbi Chimon ben Elazar dit : ‘Si des Anciens te conseillent de démolir et des jeunes de construire, alors démolis et ne construis pas ! Parce que la démolition des Anciens est une construction et la construction de jeunes une démolition’. »
Il est écrit (Devarim 17;11): « Selon la loi qu’ils (les Sages) t’enseigneront et selon les jugements qu’ils te diront, tu feras, tu ne t’écarteras pas de leur parole, ni à droite ni à gauche. »
Et Rachi de nous préciser : « Même s’il te présente la droite comme étant la gauche et la gauche comme étant la droite. A plus forte raison s’il te dit que la droite est la droite et que la gauche est la gauche. »
Seuls nos Sages qui, par leur élévation morale se sont dégagés de toutes negui’oth, de toutes considérations subjectives et partiales, peuvent nous indiquer le droit chemin et nous révéler que ce nous croyions être « droite » est en réalité « gauche » et vice versa.
Le Messilat Yecharim nous explique la position des Sages à travers la parabole suivante : dans un jardin en labyrinthe, les plantations s’y élèvent comme des murs, entre lesquelles de nombreuses voies se perdent et se confondent. Le but est d’accéder à la tour centrale. Parmi ces voies, il y en a des droites qui mènent à la tour, et d’autres en revanche qui nous en éloignent. Il est cependant impossible à l’homme de distinguer la bonne voie de la mauvaise, car toutes sont semblables et rien ne les différencie, à moins d’identifier la bonne voie grâce à l’expérience et l’intuition, l’ayant déjà empruntée et ayant déjà atteint le but représenté par la tour centrale. Il existe cependant une personne qui connaît le bon chemin, il s’agit de celui qui se trouve au-dessus du labyrinthe et voit tous les chemins tracés devant lui, celui-là distingue les bons des mauvais. Il peut donc avertir l’homme en lui disant : « Voici le bon chemin, emprunte-le ! » »
Celui qui refuserait de le croire et préférerait se fier à ses propres yeux, se perdra certainement sans jamais pouvoir atteindre son but.
Cette parabole nous démontre que seuls nos Sages connaissent le bon chemin, car ils ont expérimenté, vu et vérifié, grâce à leur élévation spirituelle, et parce qu’ils sont totalement dégagés des concepts fallacieux du monde, c’est pourquoi ils nous offrent des bons conseils, des conseils pertinents, justes et s’avérant parfois même prodigieux.
Ces conseils peuvent aller à l’encontre de notre avis personnel, mais la Tora nous ordonne de nous laisser guider par leur voix dès le départ. La seule attitude qui puisse nous préserver de franchir la ligne rouge et de construire un futur sain et serein, où pourra advenir le Machia’h.
Chabat Chalom – Rav Mordékhai Bismuth
Extrait de la Daf de Chabbath disponible sur notre site https://www.ovdhm.com/