Où en est-on avec l’État Islamique ? À quoi ressembleront la Syrie et l’Irak lorsqu’il aura été vaincu ?
Pour les lecteurs de Dreuz, j’ai traduit cette analyse de Jonathan Spyer paru le 10 mars dernier dans le Jerusalem Post.
Cette semaine, les forces gouvernementales ont capturé l’édifice de la direction de la police et le complexe des tribunaux à Mossoul, et se dirigent vers les parties plus peuplées de la vieille ville.
Plus à l’ouest, les Forces démocratiques syriennes (SDF) soutenues par les États-Unis ont réussi à couper la dernière route de la capitale de l’État Islamique, Raqqa, vers son bastion de Deir al Zor.
Dans la lutte entre le régime Assad et la rébellion arabe sunnite, une tentative rebelle de contre-attaque dans la ville de Deraa a causé un autre bain de sang.
l’État islamique est sur le point de cesser d’exister en tant qu’entité contrôlant un territoire important
Le régime a continué ses attaques dans les faubourgs de la Ghouta, une position des rebelles à l’est de Damas, et cela en dépit du nouveau cessez-le-feu de la Russie.
Mais alors que les combats tactiques se poursuivent, la direction que prennent les événements à la fois dans la guerre contre l’État Islamique et la lutte entre Assad et les rebelles, est maintenant claire : l’État islamique est sur le point de cesser d’exister en tant qu’entité contrôlant un territoire important.
Ce processus devrait durer plusieurs mois. Mais ayant perdu des dizaines de milliers de combattants et le flux des recrues s’étant asséché, faisant face à des ennemis qui ont le contrôle du ciel et une vaste supériorité en nombre et en équipement, l’État Islamique n’a aucun moyen d’inverser la tendance.
Dans la guerre d’Assad plus à l’ouest, en attendant, la rébellion bat en retraite. Son éclipse éventuelle semble une certitude.
Le régime d’Assad, avec ses alliés iraniens, russes et du Hezbollah, cherche à réduire et à détruire les enclaves rebelles isolées au milieu du territoire, en Syrie occidentale, soumise pour l’essentiel au régime.
D’où les attaques sur le Ghouta oriental et sur l’al Wa’er dans la région de Homs. Une fois cela fait, les forces pro-régime pourront tourner leur attention vers le sud-ouest de la Syrie et finalement aussi vers la province rebelle d’Idlib dans le nord.
Le régime est également engagé dans la guerre contre l’État islamique.
Les forces gouvernementales ont atteint la rivière Euphrate cette semaine, après avoir franchi le territoire de l’État islamique dans la campagne à l’est d’Alep.
Au fur et à mesure que la direction des événements devient évidente, la possibilité se fait jour que l’alliance iranienne parvienne à une victoire globale dans sa guerre en Syrie et en Irak.
Une telle victoire serait, à première vue, une réussite pour Assad. Cependant, les forces du dictateur syrien dépendent entièrement des avancées des gardes de la révolution iranienne, du Hezbollah, des forces de la milice chiite irakienne et des formations paramilitaires créées par les Iraniens pour pallier au manque de main-d’œuvre du régime Assad au cours des cinq dernières années.
Autrement dit, le véritable pouvoir derrière une telle victoire appartiendrait aux forces iraniennes sur le terrain.
Celles-ci, à leur tour, ne peuvent avancer qu’en coopération avec la puissance aérienne russe, comme l’ont montré les événements à Alep et au Nord-ouest. Un tel résultat est encore lointain et nullement certain. Mais ce n’est plus une impossibilité. Les stratèges israéliens et américains ont noté sa faisabilité et cherchent des moyens de l’empêcher ou de réduire son impact. À quoi ressemblerait une telle victoire ? Elle comprendrait les éléments suivants.
- Premièrement, le régime d’Assad réussirait à mettre fin ou à réduire considérablement les zones restantes détenues par les rebelles sunnites et par les islamistes dans la partie occidentale du pays.
- Deuxièmement, après la destruction des zones islamiques dans l’est de la Syrie, les forces du régime soutenues par la puissance aérienne russe parviendraient à se diriger vers l’est, à défier ou à coopérer avec les forces kurdes et les forces rebelles restantes dans la région et à atteindre la frontière syrienne de l’Irak.
- Troisièmement, après la réduction ou la destruction de l’État Islamique dans la province de Ninive, les milices chiites irakiennes organisées dans le cadre des Unités de Mobilisation Populaire resteraient sous les armes, devenant une caractéristique permanente du paysage politique et militaire irakien.
Le Parlement irakien a adopté fin novembre une loi qui fait de l’UGP (Unités de mobilisation populaire) une partie permanente des forces de sécurité irakiennes. Les 100 000 combattants de l’UGP ne se composent pas uniquement d’éléments pro-iraniens. Mais les principales milices et les structures de commandement sont de fait entre les mains des forces pro-iraniennes.
De manière plus significative, la milice Badr de Hadi al Ameri et le groupe Kata’ib Hezbollah d’Abu Mahdi al Muhandis sont directement liés à la Garde révolutionnaire iranienne.
Les milices sont maintenant situées à l’ouest de la ville de Mossoul, à proximité de la ville de Tel Afar.
Si les forces du régime poussent vers l’est, elles se relieront à la frontière avec leurs camarades de l’UGP, créant ainsi une vaste zone contiguë de territoire contrôlé par les Iraniens, de l’intérieur de l’Irak à travers la Syrie et jusqu’au Liban.
C’est à cela que ressemblerait une victoire iranienne dans les guerres en Syrie et en Irak.
Comment pourrait-elle être empêchée ?
Les progrès de la partie iranienne ne sont possibles qu’avec le soutien de la puissance aérienne russe. Et les buts russes en Syrie (l’Irak est moins significatif pour Moscou) ne correspondent pas nécessairement à ceux de Téhéran.
L’Iran veut une victoire totale, la réunification de la Syrie sous le contrôle nominal d’Assad et l’émergence de milices chiites iraniennes en tant que principaux détenteurs du pouvoir en Irak.
Moscou avait et a des objectifs bien plus limités.
Les Russes en Syrie veulent empêcher la défaite d’Assad, sécuriser leurs actifs navals sur la Méditerranée et se faire le principal courtier dans un conflit gelé entièrement ou à peu près.
Il y a un grand écart entre ces deux programmes. Les Occidentaux et les Israéliens doivent avoir à l’esprit qu’il est nécessaire de faire en sorte que cet écart s’élargisse.
Les Russes doivent comprendre que même si leurs propres intérêts vitaux tels qu’ils les perçoivent en Syrie doivent être pris en compte, le programme iranien beaucoup plus ambitieux dans la région franchit une ligne rouge pour les Occidentaux et les Israéliens, qui voudront empêcher les Iraniens d’atteindre leurs objectifs.
Sans les Russes, les efforts occidentaux et israéliens pour contenir et refouler les Iraniens peuvent avancer rapidement. Cela peut être réalisé par une combinaison d’efforts diplomatiques et d’avancées sur le terrain.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, lors de sa visite à Moscou, aura sans doute fait comprendre au président russe Vladimir Poutine que la sécurité israélienne redéfinit la création d’une nouvelle ligne de conflit créée par l’Iran et le Hezbollah à l’est de la traversée de Quneitra. La nécessité d’empêcher les bases iraniennes permanentes de prendre pied à l’ouest de la Syrie est une chose sérieuse qui sera poursuivie, et peut être réalisée sans que cela menace les intérêts vitaux russes.
En ce qui concerne les Iraniens, à partir de maintenant les forces clé en Syrie en lutte contre l’État islamique sont les forces démocratiques syriennes alignées sur les États-Unis.
Les derniers rapports indiquent que des éléments du 75e Régiment de Rangers de l’armée américaine et du 11e Corps expéditionnaire des Marines se déploient dans l’est de la Syrie pour soutenir la lutte contre l’État islamique dans cette région.
La possession par les États-Unis et leurs alliés de l’Est de la Syrie dans la période post-islamique est la meilleure façon d’empêcher la réalisation des objectifs de l’Iran tout en présentant à la Russie un fait accompli. Tout indique que l’Administration américaine pense en ces termes. Si c’est le cas, une victoire iranienne émergeant des ruines de la Syrie et de l’Irak sera peut-être évitée.
Le portrait de la situation post-islamique en Irak et en Syrie est en train d’émerger. Le bras de fer pour établir qui aura la primauté sur le terrain est à son début.
© Magali Marc (@magalimarc15) pour Dreuz.info.