Le philosophe et ancien ministre de l’Education nationale, Luc Ferry, était dimanche l’invité de l’émission « Elie sans interdit » présentée par Elie Chouraqui.
Pensée unique, politiquement correct, Islam des Lumières ou encore éducation, le très médiatique essayiste français, habitué des débats télévisés, s’est exprimé sur ces sujets qui lui sont familiers, fort de son expérience au sein du ministère de l’Education de 2002 à 2004 et de son parcours de philosophe.
Pensée unique et anti-politiquement correct
Interrogé sur la « pensée unique », qui fait référence à un conformisme des idées considérées comme majoritaires, Luc Ferry rétorque immédiatement « la pensée unique, c’est un mythe, ça n’existe pas ».
« L’anti-politiquement correct est la plupart du temps tout aussi dominant que le politiquement correct », insiste le philosophe, faisant davantage référence à un « lèche-culisme » concernant le pouvoir et le monde politique, qu’à une véritable pensée unique.
« Même sur le réchauffement climatique, qui se veut l’idéologie dominante, le parti climato-sceptique est très puissant. Donald Trump a été élu en grande partie sur ses thèses climato-sceptiques », donne-t-il pour exemple.
Les deux hommes évoquent ensuite Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères de François Hollande, qui avait préconisé après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hypercacher, d’utiliser l’expression « terroristes » plutôt qu' »islamistes ».
Luc Ferry considère ce choix de sémantique « complètement absurde », puisque « dire qu’il n’y a aucun rapport entre Daesh et l’islam est idiot. Des types qui vont se faire exploser, qui sont des kamikazes ont forcément un rapport au sacré, au sens du sacrifice ».
« C’est le politiquement correct qui pousse à ne pas faire d’amalgames avec les musulmans. Derrière cela, il y a une idée plutôt juste, celle de ne pas faire d’amalgames avec l’islam des lumières, avec les musulmans modérés », nuance le philosophe.
Luc Ferry remarque toutefois que, parmi la classe politique, seuls deux hommes ont su désigner sans avoir peur des mots les terroristes: Manuel Valls à gauche et François Fillon à droite.
« En même temps, si je veux dénoncer (les propos de) Fabius, les ‘idiots utiles’ de l’islamisme et ce politiquement correct anti-amalgame, il y a un grand risque, celui de tomber dans le racisme, de tomber dans du Trump ou dans le Front national », concède-t-il, en ajoutant « la pensée unique, vous voyez c’est les deux: l’anti-politiquement correct et en même temps le politiquement correct ».
Islam des Lumières et Education
Se pose alors la question pour l’islam contemporain de revenir à ses grands penseurs.
Luc Ferry mentionne Averroès, penseur musulman du 12e-13e, et son œuvre « Le traité décisif« , qui était un contemporain du penseur juif Maimonide.
« Averroès va apporter quelque chose à l’islam de très important, il va découvrir la pensée d’Aristote », explique l’ancien ministre de l’Education nationale, « c’est celui qui va faire l’alliance entre l’islam et la Grèce, comme Maimonide va faire l’alliance entre le judaïsme et la Grèce d’une certaine manière ».
« Averroès va apporter l’idée que non seulement l’usage de la raison pour interpréter les textes religieux est légitime, mais qu’il est aussi obligatoire, et c’est exactement ce que les islamistes et Daesh refusent totalement », exprime-t-il.
C’est ce qu’on appelle l’islam des lumières, l’islam qui « accepte l’herméneutique ».
Ministre de l’Education nationale et de la Recherche de 2002 et 2004 dans le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, Luc Ferry approuve l’idée d’enseigner les écrits de ces penseurs de l’islam des lumières, mais il en pointe toutefois les difficultés.
« C’est, en effet, ce qu’il faudrait faire, il y a des imams en France qui sont anti-herméneutiques donc antirationalistes et de l’autre coté à l’école il n’y a personne pour faire un cours sur l’islam des lumières », déclare-t-il.
« Mais au niveau de l’Education nationale, comment enseigner le religieux à l’école? On ne peut pas avoir un enseignement confessionnel, car on est dans une école laïque. Comment parler du religieux de manière objective? », soutient l’ancien ministre.
Luc Ferry, profondément attaché aux valeurs de laïcité dans le domaine public, est à l’origine de la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.