Ziva Postec, réalisatrice et chef monteuse de « Shoah » – Jean-Pierre Lledo, réalisateur d' »Algére, histoires à ne pas dire », et et d' »Israël, le voyage interdit ».
Un groupe d’intellectuels israéliens parmi lesquels comme têtes d’affiche, David Grossman, Noa, Ohad Naharin[1], viennent de se fendre d’une pétition pour les bons soins d’Amnesty international qui comme on le sait s’est beaucoup démenée pour voler au secours des massacrés et des survivants du 7 octobre. Ce texte intitulé « Résister à la déshumanisation des Palestiniens et des Israéliens » fait suite à « L’appel des intellectuels israéliens à la gauche mondiale[2] » d’octobre 2023 dont les signataires étaient plutôt des universitaires, à quelques exceptions près dont Grossman. Les deux textes sont pourtant assez similaires, du point de vue idéologique. Normal : les uns et les autres se réclament de « la gauche ».
Celui du 16 octobre a cependant une dose d’ingénuité qui le rend déchirant. « Nous n’avions jamais imaginé que des individus de gauche, défenseurs de l’égalité, de la liberté, de la justice et du bien-être, révéleraient une insensibilité morale extrême et une imprudence politique aussi poussée (face aux actions du hamas le 7 octobre)….. Légitimer ou excuser ces actions revient à trahir les principes fondamentaux de la politique de gauche.«
Y-a-t-il des historiens parmi ces universitaires ? Et même s’il n’y en avait pas, seraient-ils à ce point ignorants de l’histoire de la « gauche mondiale » personnifiée en France par JP Sartre, pour ne citer que lui et sa fameuse préface aux « Damnés de la terre » de Frantz Fanon, où il se réjouissait qu’en tuant un Européen, le brave terroriste du FLN, faisait « d’une pierre deux coups : tuer un oppresseur et libérer un opprimé ? »
Le reste est à l’avenant, on se lamente : « Certains éléments de la gauche mondiale, des individus qui étaient jusqu’à présent nos partenaires politiques, ont réagi avec indifférence à ces événements horribles et ont même parfois justifié les actions du hamas. Certains ont refusé de condamner la violence, affirmant que les étrangers n’ont pas le droit de juger les actions des opprimés. »
Nos universitaires s’estiment donc trahis. Après une telle déconvenue et après le choc du 7 octobre, se remettent-ils en cause, avouent-ils s’être trompés entre autres sur le contenu des « principes fondamentaux de la politique de gauche », découvriront-ils que l’israélophobie est la feuille de vigne de la judéophobie, entreverront-ils que le hamas n’a rien fait d’autre que de tenter de réaliser le grand rêve arabo-musulman de l’anéantissement d’Israël, qui aujourd’hui comme hier se décline par « From the sea to the river » ? En un mot, iront-ils à la racine de la « question (juive) » et appelleront-ils leurs collègues de la « gauche mondiale » à déclarer solennellement qu’Israël est tout à fait légitime en cet endroit de la terre ? Que nenni.
Quoique… Quoique : « Nous appelons nos pairs de gauche à revenir à une politique fondée sur des principes humanistes et universels« . Ne faisons pas la fine bouche si les signataires ont déjà subodoré que « les principes fondamentaux de la politique de gauche’’ et ‘’les principes humanistes et universels’’ n’étaient pas des synonymes…
Ce qui les inquiète donc surtout c’est que leurs pairs « affaiblissent la capacité de la gauche » ! Et la dernière phrase est une déprécation : « … Nous avons besoin du soutien et de la solidarité de la gauche mondiale, sous la forme d’un appel sans équivoque contre la violence aveugle envers les civils des deux camps« . Le non-dit de cette poignante conjuration, quasi un appel au secours, c’est : « Si vous ne faites rien, la gauche israélienne déjà réduite à une peau de chagrin (le Meretz n’a même pas pu entrer au Parlement lors des dernières élections), sera avalée par la droite ». Reconnaitre que la droite israélienne a de tout temps été plus proche de la réalité, d’où ses succès électoraux, eut été trop demander, bien sûr. Bien au contraire, il leur faut bien montrer qu’eux, la gauche israélienne, n’ont pas trahi et qu’ils sont toujours sur la même ligne « humaniste » : « Comme prévu, en réponse aux actions du hamas, l’État d’Israël a lancé une opération militaire massive à Gaza. Nous ne pouvons pas encore estimer le nombre de victimes de ces attaques, mais il est probable qu’il soit plus élevé que tout ce dont nous avons été témoins jusqu’à présent. Ce cycle d’agression porte gravement atteinte à notre lutte de longue date contre l’oppression et la violence et en faveur des droits et de l’égalité pour tous les habitants d’Israël-Palestine.«
Quel monument de goujaterie ! Déjà le début : « Comme prévu ». Prévu par qui ? Complotisme ? Faudrait-il soupçonner Israël d’avoir suscité ces actions, pour pouvoir déclencher une guerre ? « L’État d’Israël a lancé une opération militaire massive à Gaza. Nous ne pouvons pas encore estimer le nombre de victimes de ces attaques… » Il y a là comme un mélange de reproche et de fatalisme toujours enrobé de ce souci humaniste tout à fait pervers. Le hamas, lui, a fait « des actions », tandis qu’Israël a commis des « attaques ». N’aurait-il pas été plus juste de parler de « contre-attaques » ? Car enfin la légitime défense n’est-elle pas un droit reconnu de la guerre ? Pourquoi éluder ce concept ? Pourquoi ne pas écrire bien clairement que la riposte d’Israël est tout à fait légitime ?
Et surtout quand on se présente comme des lutteurs « de longue date contre l’oppression et la violence », pourquoi mettre sur le même plan l’attaque et la riposte, l’agresseur et l’agressé ? Pourquoi en invoquant le « cycle d’agression » chercher à masquer la chronologie des actions, séquence A, puis séquence B ? Israël serait-elle donc autant que le hamas, un agresseur ? Ainsi donc les victimes violées, mutilées, décapitées, expressément visées comme juives, équivaudraient les victimes collatérales de Gaza, qui loin d’être visées en tant que musulmanes ou arabes, sont d’abord les victimes du hamas qui s’en sert comme des boucliers humains ? Au lieu de condamner explicitement le hamas à la double peine qu’il mérite, vous préférez rendre responsable Tsahal. C’est cela la conclusion de ces donneurs de leçons de morale ? Triste. Vraiment triste. Est-ce ainsi que la gauche entend redorer son blason ? Et d’ailleurs, n’est-il pas terrible cet aveu de gens qui se disent « humanistes » : ils ne craignent pas tant le « cycle d’agression » pour les victimes que cela entraîne nécessairement, que pour leurs petits intérêts claniques, parce que disent-ils, il « porte gravement atteinte à notre lutte de longue date contre l’oppression » !
Enfin, ces universitaires qui n’ont pas l’air très ferrés en histoire, seraient-ils plus calés en géographie ? Pourraient-ils dire où se situe ce pays qu’ils appellent « Israël-Palestine » ? A moins que ce ne soit un dérapage créatif de l’écriture dite « inclusive »…
Venons-en au second texte, publié des jours-ci, à l’initiative d’Amnesty international Israël et d’artistes israéliens faisant partie d’un réseau internet du nom de « Pro-Human Camp ». Examinons donc rapidement ce que ces autres fans du camp humaniste ont à nous dire.
La seule « grande » idée apparente de ce court texte est qu’il ne faut pas « déshumaniser » ni les Juifs, ni les Israéliens, ni les Gazaouis. C’est « inacceptable ». Cherche-t-on à disqualifier le hamas pour sa barbarie deshumanisante ? Mais non, ce qui est « inacceptable » c’est d’identifier « tous les habitants de Gaza avec le hamas ». Et par extension, le non-dit nous dit que c’est pareil pour les Juifs, et les Israéliens. « Une personne n’est pas seulement la représentation d’une identité collective, d’une histoire, d’événements ou d’une orientation politique« .
Bien sûr que les Gazaouis ne sont pas tous des militants, des sympathisants ou des votants du hamas. Les Allemands non plus n’était pas tous des nazis. Et alors que veut-on démontrer par-là ? Que la guerre et les bombardements des villes allemandes par les Alliés furent illégitimes ? Depuis sa prise du pouvoir à Gaza en 2007, le hamas n’a cessé d’agresser Israël, et de se préparer pour le grand jour, transformant la totalité de ce territoire en une immense base militaire en surface et plus encore, souterraine. Hôpitaux, écoles, mosquées, locaux de l’UNWRA, résidences d’habitation, jardins d’enfants, centres commerciaux, tout cela était truffé de centaines de kilomètres de tunnels, d’arsenal, d’armes les plus variées, de centaines rampes de lancement de missiles dissimulés à l’intérieur même de maisons privées, tout cela sans qu’aucun Gazaoui ne le remarque, et n’y participe au moins au titre de la main d’œuvre ? Si une telle stratégie venait à l’idée d’un gouvernant en Israël, n’y aurait-il pas immédiatement des centaines de milliers dans la rue comme pour Sabra et Chatila, et là encore il s’agissait d’une opération des forces chrétiennes dans le cadre d’une guerre civile avec les falestiniens ? Certes, à Gaza, il y a une dictature, mais en Iran ? Lorsqu’ils auront la bombe atomique, et qu’ils menaceront de l’envoyer sur Israël, Messieurs et Mesdames Noa, Grossman, Naharin, viendrez-vous encore nous dire qu’il ne faut pas « déshumaniser les Iraniens », ni identifier le peuple au régime des mollahs ? Oui dans toutes les dictatures, les peuples sont pris en otage. Mais est-ce à dire que c’est sans le consentement de la majorité ? Les révoltés iraniens existent bel et bien, et ils ont eu le courage de défier la dictature à mains nues, mais ont-ils pu renverser le pouvoir ? Etaient-ils forcés ces Gazaouis qui faisaient la fête le 7 octobre dans l’ensemble du monde musulman, avec feux d’artifice et distributions de bonbons, comme après chaque acte terroriste en Israël ? Et pourquoi les « civils » seraient-ils à priori « innocents » ? Innocents, l’étaient-ils le 7 octobre ceux qui étaient allés piller les maisons dont les habitants venaient d’être tués, ou bien ceux chargés d’emmener des kidnappés, ou bien ceux chargés de les séquestrer dans leurs propres maisons ? Ou bien ceux chargés de surveiller les mouvements de Tsahal ? Ou bien ceux qui partageaient la lecture de Mein Kampf avec leurs frères combattants[3] ? Ou bien ceux qui…
Les auteurs du texte seraient-ils à ce point mal informés ? Ne savent-ils pas que des sondages PSR ont révélé que 71 % des falestiniens soutiennent la formation de groupes armés pour assassiner des Israéliens, que 66 % des falestiniens sont persuadés qu’Israël ne célébrera pas son 100eme anniversaire, que le chef du Hamas, Ismail Haniyeh, serait élu avec 58 % des voix contre 37 % pour Mahmoud Abbas, que dans trois universités, An-Najah de Naplouse, Birzeit près de Ramallah et l’université polytechnique d’Hébron, les élections pour les Conseils étudiant ont été remportées par les étudiants affiliés au Hamas ?
Et quand la direction du hamas juge bon de remercier publiquement les manifestants anti-israéliens : « Nous, Mouvement de la résistance islamique (hamas), saluons les mouvements de masse, les marches et les actions de solidarité qui ont eu lieu (…) dans diverses villes américaines et capitales occidentales » [4], et que les David Grossman, Noa, Ohad Naharin et leurs comparses, recommandent que ne soient pas interdites « les manifestations pro-palestiniennes comme cela a été fait récemment dans de nombreux cas », ne s’aperçoivent-ils pas qu’il sont déjà dans le rôle des « idiots utiles »… ? Eh oui, ça existe, même en Israël.
En fait « l’approche humaniste » de ce texte a la même fonction que dans le texte précédent. Mettre sur le même plan l’agresseur et l’agressé, Israël et le hamas, les victimes de l’un et celles de l’autre. Mais plus que dans le premier texte, ici, on dénonce « les massacres aveugles et le refus de l’aide humanitaire » dont par conséquent est responsable Tsahal, « massacreur », « aveugle » et barbare. Comment Grossman qui a perdu un enfant dans la guerre au Liban, a-t-il pu signer un texte manifestement écrit avec le souci d’avoir des signatures d’Arabes israéliens ? Comment a-t-il pu signer un texte qui, à l’endroit de Tsahal, parle de « meurtres » ? Son fils aurait-il été aussi « un meurtrier » ayant causé des « souffrances » au peuple libanais ?
Que des artistes israéliens juifs commettent une telle monstruosité ne peut s’expliquer que par l’état de choc dans lequel les a précipités le 7 octobre, et tout autant par leur incapacité à remettre en cause leurs engagements passés, et donc leur discours fondateur qui au lieu de cibler ceux qui appellent à la disparition d’Israël depuis un siècle, ont préféré avec beaucoup de lâcheté cibler… la droite israélienne. Il ne faut surtout pas désespérer cette Europe qui nous aime, nous produit… et nous subventionne.
Au dernier moment nous parvient une info plutôt réjouissante. Enfin, un homme de gauche, qui nous explique comment le 7 octobre l’a transformé. Et Ichaï Green, qui vient de la High Tech telavivienne, un des meneurs du mouvement contre la Réforme judiciaire, nous dit qu’ils sont des milliers comme lui. Nous aimerions le croire. A lire absolument[5].
Tel Aviv le 8 janvier 2024 [6]
Ziva Postec et Jean-Pierre Lledo, cinéastes israéliens
[1] Pétition du 16 octobre : Résister à la déshumanisation des Palestiniens et des Israéliens.
[2] Lettre ouverte d’artistes israéliens https://www.tenoua.org/lappel-des-intellectuels-israeliens-a-la-gauche-mondiale/
[3] Un exemplaire de l’œuvre d’Hitler a été trouvé dans un tunnel.
[4] https://www.alghad.tv/ حماس-تشيد-بتظاهرت-التضامن-مع-غزة-حول-ال/ cité par Bassem Tawill, intellectuel arabe en exil : https://fr.gatestoneinstitute.org/20161/idiots-utiles-du-hamas
[5] Ichaï Green. https://mabatim.info/2024/01/08/israel-le-jour-ou-jai-percute-que-je-faisais-fausse-route/#more-28204
[6] Le décalage de publication s’explique par le fait que la Revue « Tenoua » qui avait élogieusement présenté l’un des textes qu’ici nous critiquons, vient juste de nous informer que « Pour le moment ce texte n’entre pas dans notre calendrier éditorial ». Il en va de même de « K » une nouvelle Revue intellectuelle juive (numérique), qui aussi vient de nous informer que : « Malheureusement le texte n’a pas pu être mis à l’agenda. » Raison ? « Un grand nombre de textes sur un petit volume« . Hormis le fait que la question du « volume » ne se pose plus avec le numérique, il est regrettable que des Revues intellectuelles qui devraient incarner l’esprit de débat, n’en joue pas le jeu. Dans le cas « K », qui a publié récemment un texte d’une des signataires des textes que nous critiquons, Eva Illouz, notre papier aurait montré que tous les intellectuels israéliens ne pensent pas pareillement. Dommage donc pour ces deux revues.