A mon arrivée à l’immeuble dans lequel j’étais censé donner une conférence, j’ai rencontré une personne dans l’ascenseur. « Excusez-moi, vous habitez ici ? » Sur sa réponse positive et aimable, j’osai avancer avec une autre question : « Sauriez-vous me dire où habite la famille Lévy ? » Cette fois, la réponse fut négative. Je poursuivis tout de même : « Sans doute n’habitez-vous pas ici depuis longtemps… » Sa sincérité me surprit : « Si, cela fait dix ans que j’habite ici… » Etonnant ! Dix ans, sans savoir qui habite dans la même maison ? « Monsieur, la plupart des gens ici ne se connaissent pas, et ne sont pas intéressés à se connaître. » Il disparut dans l’ascenseur.
Quand je finis par trouver la famille Lévy, je fis participer mon auditoire à mon aventure. Ce n’était pas la première fois que je rencontrais un tel phénomène, mais il ne s’agissait pas pour autant d’une constatation agréable.
Deux personnes intervinrent, pour expliquer justement qu’elles étaient parvenues à briser cela grâce au ‘Hamass… En effet, l’un d’entre eux habitait déjà depuis neuf ans dans un immeuble, sans connaître personne. Lors de la période de Tsouq Eitan (guerre de Gaza de 2014), il dut se cacher dans un endroit où il n’était pas possible de capter les ondes téléphoniques. Que fait-on alors ? On s’intéresse un peu plus à son entourage. Il découvrit ainsi un voisin sympathique, habitant l’appartement juste au-dessus de lui… depuis six ans. Jamais ils n’avaient échangé mot. Leur rencontre fut suivie par l’organisation de cours chez eux, et par le développement d’une amitié solide.
On a pu dire, dans le temps, que l’homme est un loup pour son prochain. De nos jours, la situation est de loin pire : l’homme est un mur pour l’autre… Il ne parvient même pas à le haïr : le voisin demeure en face (tout simplement inexistant).
Dans une rencontre avec un groupe d’étudiants, on m’a demandé de parler des différences entre les relations au sein de la société orthodoxe et ailleurs. En introduction à ma réponse, j’ai déclaré refuser de parler de « société non religieuse ». Cela n’existe pas. Les étudiants m’ont jeté un regard surpris. Je me suis expliqué : « On peut parler de secteur laïc, de personnes laïques, mais pas de société laïque. La notion de société n’est valable que pour des gens qui se sentent unis de manière suivie, autour de valeurs communes. A quelle occasion peut-on trouver cela parmi les non religieux ? L’un se situe à droite, l’autre à gauche ; l’un est socialiste, l’autre capitaliste, etc. Même parmi vous, les étudiants, peut-on réellement désigner une valeur commune à vous tous ? Dans le monde laïc, chacun vit sa vie en indépendance, parmi des millions d’isolés. Ceci est vrai à plus forte raison de nos jours, en l’ère d’Internet. Le couvercle de la tombe a été refermé sur le peu de vie sociale qui restait encore. »
Mon auditoire a approuvé mes paroles, dans le silence…
De ce fait, nombre de ceux qui reviennent à la pratique indiquent comme découverte essentielle une notion neuve pour eux : la société ! Ils sont acceptés avec chaleur dans un ensemble communautaire, avec ses rabbanim et ses dirigeants, ils découvrent avec stupéfaction l’œuvre commune et immense d’entraide qui couvre l’ensemble de la communauté juive, les rencontres trois fois par jour à la prière, les luttes collectives en faveur des valeurs du public religieux et de ses notions saintes, la responsabilité de l’un pour l’autre, l’intérêt porté aux soucis du prochain, etc. Ces phénomènes nous semblent normaux, mais ne le sont absolument pas, et sont tout nouveaux pour les individus qui se rapprochent de notre public.
Nous devons remercier l’Eternel pour avoir droit à vivre dans une telle « société » !●
Par le rav David Bravermann
(Kountrass numéro 195)