Même le « démenti » de cette fausse information relayée par l’agence française verse dans le complotisme.
Une dépêche de l’Agence France-Presse (AFP) annonce avec le plus grand sérieux qu’« Un général a accusé lundi Israël de trafiquer les nuages pour empêcher la pluie de tomber en Iran, et fait part de « vols de nuages » en territoire iranien, avant d’être démenti sur ce dernier point par la météorologie nationale, selon l’agence semi-officielle Isna. »
S’ensuit le récit des propos du général, pour qui « Israël et un autre pays de la région ont des équipes conjointes qui travaillent à faire en sorte que les nuages qui entrent dans le ciel iranien soient incapables de déverser la pluie ».
Le général, qui ne dit pas quel est l’autre pays concerné (la précision est l’ennemie du complotisme…), aurait cité « « une étude quadriennale » ayant montré qu’au-dessus de 2.200 mètres d’altitude toutes les zones de montagnes entre l’Afghanistan et la Méditerranée sont couvertes de neige, sauf en Iran. »
Les auteurs de cette « étude » aux références bien sûr introuvables n’ont pas dû visiter le Qurnat as Sawda, plus haut sommet du Liban qui culmine à 3000 mètres.
L’accusation du général n’est que le renouvellement d’un vieux fantasme antisémite. En mars dernier, le Washington Post avait ainsi rapporté les propos d’un parlementaire de la ville de Washington qui avait accusé, lors de fortes chutes de neige, « les Rothschild de contrôler le climat ». Le journal avait expliqué qu’il s’agissait d’une référence à une vieille théorie du complot antisémite qui accusait les Rothschild et d’autres Juifs de manipuler clandestinement les événements dans le monde pour en tirer avantage.
L’année dernière, c’est la chaîne qatarie Al Jazeera qui avait tweeté, avant de l’effacer, une image où ce thème antisémite apparaissait au grand jour :
Et en Iran même, ce genre d’accusations n’est pas nouveau. L’AFP avait ainsi rapporté en 2011 l’affirmation du président iranien d’alors, Mahmoud Ahmadinejad, selon qui « les pays occidentaux (avaient) élaboré des plans pour provoquer la sécheresse en Iran ». L’Agence avait alors dénoncé la nature complotiste des propos du président : « Les dirigeants iraniens accusent quotidiennement les pays occidentaux, Etats-Unis en tête, de multiples complots pour affaiblir leur pays, qu’il s’agisse de perturber son économie, son développement scientifique, son unité, son indépendance, son système politique, sa culture ou ses relations internationales. ».
Le démenti pire que le mensonge : au tour du « Grand Satan » !
Cette fois-ci, l’AFP n’a pas relevé le complotisme. Toutefois, pour donner un vernis de sérieux à son information, l’Agence s’est fait fort de conclure sur un « démenti »… émis par un météorologue iranien, et recueilli comme les propos du général par l’agence iranienne ISNA. Les limites de la liberté d’expression en Iran étant connues, on s’interroge sur le choix de cette unique source journalistique. D’autant que des scientifiques sérieux et plus libres auraient certainement pu être consultés chez Météo-France par exemple.
Le météorologue iranien déclare que « sur la base des connaissances météorologiques, il n’est pas possible qu’un pays « vole » la neige ou des nuages » ». Ceux des lecteurs qui ne sont pas enclins à croire chaque accusation fantaisiste lancée par le régime iranien contre le « Petit Satan » (le sobriquet donné à Israël par les Ayatollahs) sont rassurés : l’AFP est une agence sérieuse, elle vient de démonter une « fake news »…
Et bien non. Car voici la suite :
« Un pays ne peut pas voler de nuages. Si c’était le cas, il n’y aurait pas de police de l’eau aux États-Unis car les Américains voleraient alors les nuages des autres pays et ils n’auraient nul besoin d’une police de l’eau, donc celle-ci aurait été supprimée », a-t-il ajouté.
Aux États-Unis, la Californie a institué il y a quelques années une « police de l’eau » chargée de veiller à la conservation des ressources hydriques de cet état de l’ouest américain habitué aux sécheresses.
En 2014 en effet, lors d’une sévère sécheresse, certaines villes de Californie ont engagé des « water cops » qui traquaient les citoyens faisant une consommation excessive de la précieuse ressource. Des amendes pouvaient être émises dans les cas graves mais il s’agissait surtout de donner des conseils à la population pour l’inciter à économiser l’eau.
De là à en déduire que les Américains (le « Grand Satan »…) sont des voleurs et que seule leur incapacité à voler l’eau des autres pays les force à économiser la leur, on est en présence d’une calomnie complotiste de la pire espèce…
Le Parisien, champion du titre complotiste
L’AFP a choisi un titre d’apparence très équilibrée, dans lequel le pays qui reste le principal objet de la calomnie, Israël, n’est pas mentionné. Mais la dépêche a été reprise par des nombreux médias : FranceInfo, Le Point, Le Monde, BFMTV, le Huffington Post Québec…
Et certains n’ont pas manqué de la retravailler, à l’image du Parisien qui a choisi une question rhétorique :
Une question formulée comme une interrogation légitime : complotistes et antisémites, dont certains prêtent à l’Etat juif les desseins que la caricature d’Al Jazeera attribuait au « Juif », se seront régalés.
Pendant ce temps en Iran…
Le Rial a perdu plus de 40% de sa valeur depuis le retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien. Le mécontentement monte. Des manifestations ont récemment secoué l’Iran jusque dans sa capitale. L’AFP en a donné un léger écho le 25 juin dans une dépêche sur une « Rare grève du Bazar de Téhéran ». Les principaux médias ont repris l’information, et ne sont plus revenus dessus. Le 1er juillet, l’AFP a couvert une autre manifestation dans la région du Khuzestan, peuplée d’Arabes, dont la population protestait contre la pollution des eaux.
La BBC indique que la manifestation de Téhéran était la plus importante depuis 2012. Les manifestants scandaient « Quittez la Syrie et pensez à nous », « Nous ne voulons pas des ayatollahs », mais aussi « Mort à la Palestine » (par opposition au traditionnel « Mort à Israël » du régime ; une nouveauté qui n’a pas été rapportée par les grands médias).
Ce sont là des événements aux implications profondes qui auraient dû provoquer une couverture sans commune mesure avec les élucubrations d’un obscur personnage.
De la liberté des journalistes en Iran
Le régime iranien étant toujours en place, il n’y a pas de raison pour que la liberté des journalistes se soit accrue depuis 2012, date à laquelle l’AFP se prévalait dans un document d’être le « seul média permanent en Iran ». A l’époque, l’agence concédait que « la situation du bureau de l’AFP est précaire, avec une pression constante. Si le risque d’agression physique est faible, les journalistes risquent en revanche leur liberté en permanence. (…) L’important, dans ce contexte, est d’être suffisamment rigoureux pour éviter la moindre erreur factuelle, la moindre exagération, le moindre mot de travers qui pourrait être utilisé comme prétexte par le régime pour frapper le bureau. Nous demeurons donc strictement factuels, au plus près de la vocation de l’Agence. »
Pas sûr que la « pression constante » incite les journalistes à s’étendre sur les tensions sociales qui secouent la Perse. Il est sans doute plus commode de publier un simili-article de fact-checking…
L’AFP considère-t-elle qu’un délire complotiste, qui alimentera immanquablement les fantasmes de ceux qui sont enclins à croire à ce genre de théories, et son démenti tout aussi fantaisiste, est une information « strictement factuelle » ?
Source infoequitable.org