David Lisnard: «La crise du Covid révèle la folie bureaucratique française»

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Un lecteur nous envoie le présent article, dans la foulée du précédent, émanant de Gatestone. Il se passe quelque chose dans le monde, mais la difficulté est de percevoir l’image globale que tout ceci signifie…

FIGAROVOX/TRIBUNE – En débordant toujours plus de son périmètre, l’État n’étend pas son autorité mais au contraire l’affaiblit, juge le maire (LR) de Cannes. La réponse à la crise sanitaire en est un triste exemple.

Par David Lisnard

David Lisnard est le maire (LR) de Cannes. JOEL SAGET/AFP

David Lisnard est maire de Cannes, président du conseil de surveillance du centre hospitalier Simone Veil de Cannes et vice-président et porte-parole de l’AMF.

La route de la servitude est pavée de bonnes intentions étatistes. Et jalonnée des décisions bureaucratiques qui réussissent à être à la fois contradictoires, inefficaces et aliénantes.

Ce n’est pas nouveau, Tocqueville, Bastiat, Aron et tant d’autres de nos penseurs français – souvent de génie – de la liberté, qu’il est urgent de faire (re)lire dans toutes les classes, nous ont toujours alertés sur les dérives potentielles de l’administration moderne. L’État est la condition de notre protection, mais à sa juste place.

Alors que la prospérité et la sécurité collectives se sont accompagnées historiquement dans nos sociétés occidentales par l’accomplissement du couple vertueux des valeurs de la liberté et de la responsabilité, tout est fait dans notre époque d’«État nounou» pour infantiliser les individus, entraver les initiatives, enkyster la société. Le civisme en meurt, la dynamique du groupe en pâtit et l’efficacité des politiques publique s’y perd.

L’État obèse perd l’autorité régalienne pour laquelle il a été inventé.

Car à force de s’éloigner de l’essentiel du rôle de l’État et de produire des normes absconses, les lois et les règlements reculent dans leur légitimité, sont inapplicables ou prennent un caractère arbitraire dans leur exécution, et l’État obèse perd l’autorité régalienne pour laquelle il a été inventé, et qui nous fait tant défaut aujourd’hui.

Ce phénomène peut se manifester ailleurs dans le monde mais il est poussé à son paroxysme en France. Les prélèvements obligatoires (impôts et charges) avec 45 % de la richesse produite et la dépense publique – de 56% du PIB avant la situation actuelle et son «quoi qu’il coûte» – y sont les plus élevés de la planète, et les normes édictées s’empilent et dépassent depuis longtemps en nombre celui des sortes de fromages que compte le pays, le rendant encore plus ingouvernable à force de vouloir le diriger dans tous ses tréfonds et recoins.

Cette spirale infernale administrative n’est propre ni à ce gouvernement ni à cette période mais féconde avec ce pouvoir particulièrement énarchique dont la crise Covid révèle l’absurde matrice. Si pour Eugène Delacroix, la liberté guide le peuple, la crise sanitaire que nous traversons donne l’occasion aux gouvernants de guider notre liberté à travers ce qu’ils considèrent être «bon pour le peuple», selon des procédures et mesures sorties de quelques esprits ingénieux d’une haute administration jamais aussi productive que lorsqu’il s’agit de pondre des normes et des règlements contraignants.

Le roi Ubu technocratique s’en donne à cœur joie en ce moment, nous privant de liberté, donc de responsabilité, au détriment d’une lutte efficace contre l’épidémie de covid 19, et détruisant une part importante de l’économie, des centaines de milliers d’emplois, et au-delà ce qui fait que la vie n’est pas que biologique mais aussi sociale, spirituelle, humaine.

Cette dérive administrative se révèle au grand jour pendant la crise sanitaire à travers les pénuries de ce qui est essentiel et les excès de ce qui est bureaucratique.

On ne parvient pas, contrairement à nombre de pays plus performants face à l’épidémie, à tester, dépister, diagnostiquer de façon méthodique? Isoler les contagieux de façon rigoureuse? Faire un back-tracing de façon systématique sur la semaine précédant l’apparition des symptômes pour casser les chaines de contamination? Doter l’hôpital en moyens humains et matériels suffisants? Contrôler les gestes barrière dans les sites clos recevant du public, dont les grandes surfaces commerciales? Sanctionner les établissements qui ne respectent pas les règles de protection (pendant tout l’été j’en ai signalé en vain un petit nombre à l’État, qui seul en France est habilité à sanctionner)? Définir des scenarii d’évolution potentielle de la maladie, qui depuis juin avaient été exposés, en plusieurs niveaux de risques, pour anticiper des règles et protocoles par métiers, gradués selon les hypothèses épidémiologiques? Alors le Léviathan étatique, aussi omnipotent qu’impuissant, prend chaque semaine mesures sur mesures, aussi générales qu’impossibles à faire rigoureusement appliquer, générant la confusion, suscitant incompréhension et injustices, restreignant libertés et paralysant la responsabilité qui ne peut être qu’individuelle.

Cette dérive administrative se révèle au grand jour pendant la crise sanitaire à travers les pénuries de ce qui est essentiel et les excès de ce qui est bureaucratique, dont la valse des attestations et auto-attestations permettant de se déplacer qui singularisent notre pays, faisant de chacun de nous un Monsieur K au pied du château, mais aussi par l’impuissance de l’État face à ceux qui ne respectent pas les règles essentielles.

Comme trop souvent, incapable de réprimer la minorité de ceux qui trichent et nuisent, l’État pénalise l’immense majorité de ceux qui se soucient de respecter les règles, jusqu’à la folie des mesures contre l’activité commerciale durant le «reconfinement» qui par égalitarisme ont conduit à fermer des rayons de supermarchés pour qu’ils ne vendent pas les produits des commerces eux-mêmes empêchés d’ouvrir en dépit du bon sens sanitaire et économique… «Tout ce qui augmente la liberté, augmente la responsabilité» écrivait Victor Hugo. Donner aux commerçants la liberté d’ouvrir leurs commerces, c’est aussi les responsabiliser et les contrôler si besoin est pour s’assurer que cette responsabilité est bien comprise et que la sécurité de tous est bel et bien assurée. Mais comment décemment estimer qu’il est dangereux d’aller se faire couper les cheveux ou acheter une paire de chaussures, une chemise ou un livre dans un magasin qui ne ferait entrer qu’un nombre limité de clients avec des jauges adaptées à la surface et contrôlées, qui respecterait la distanciation physique et le port du masque, etc. et dans le même temps considérer que faire ses courses dans une grande surface bondée ou prendre le métro ne présente aucun danger de contamination? Nous connaissons aujourd’hui les lieux à fort risque de contamination. Des travaux de l’université de Stanford publiée dans la revue Nature les confirment. Logiquement, ils sont ceux qui accueillent les publics les plus denses, durant le plus de temps, et avec moins de possibilités faire appliquer les mesures barrières, comme lorsqu’il faut enlever le masque pour consommer. Cette connaissance fine de la maladie et des conditions de propagation du virus permet d’établir des protocoles et d’exiger des matériels sanitaires adaptés aux activités et aux circonstances. À chaque secteur et chaque niveau d’alerte peut et doit correspondre un niveau de règles prédéfinies et anticipées, avec en dernier recours seulement l’interdiction d’ouvrir les établissements les plus à risque. C’est ainsi qu’on responsabilise et réduit l’incertitude des chefs d’entreprise, protège mieux de la contagion et défend l’économie et l’emploi.

Le millefeuille continue de s’alourdir de façon indigeste, hélas avec nos impôts.

Dans le même registre de le folie politico-administrative constatée ces dernières semaines, nous attendons avec dépit les «sous-préfets à la relance», fraichement sortis des écoles de la fonction publique d’État, que le Premier ministre a décidé de déployer sur «les territoires» dès janvier pour expliquer aux chefs d’entreprise comment il faut travailler (enfin ceux qui en auront le droit et seront rescapés, notamment chez les commerçants et dans le secteur du tourisme et de l’évènementiel, premier créateur de richesses et d’emplois en France et grand sacrifié de la période). Ces fonctionnaires supplémentaires vont de surcroît soit être inutiles, soit court-circuiter les travail des préfets et sous-préfets en place, déjà bien complexifié toute l’année par l’action des DREAL, ARS et autres entités régionales de l’État. Le millefeuille continue de s’alourdir de façon indigeste, hélas avec nos impôts.

Quelques exemples parmi tant d’autres des absurdités constatées permettent de saisir le chaos qui nous gouverne. En mars dernier, il ressort de premières études, à la suite notamment du cas du restaurant de Canton, que le virus peut se transmettre par aérosols. Il en résulte la pertinence de porter un masque dans les lieux clos collectifs ; nous distribuons alors des masques à tous les habitants de la commune et le pouvoir central, arcbouté sur la gestion de la pénurie et sa suffisance morale proportionnelle à ses insuffisances matérielles, dénonce, ironise, parfois attaque même au tribunal les initiatives locales qui toutes se sont avérées pertinentes. Dans quelle autre démocratie un maire est-il à ce point entravé dans l’exercice de ses responsabilités raisonnables par l’Etat? Toujours au printemps, face aux incapacités de l’appareil bureaucratique du ministère de la santé, et en réponse aux appels aux secours des soignants du secteur public comme des professionnels libéraux (méprisés par les ministres et hauts fonctionnaires puisque seul l’hôpital, par ailleurs délaissé depuis des années, et le fameux numéro 15, étaient proposés aux malades), nous fournissons les médecins et établissements de santé (hôpitaux et cliniques) en masques, blouses, charlottes, surchaussures, lunettes de protection, thermomètres même. Dans un premier temps – avant de le faire publiquement pour interpeller l’opinion et faire bouger les choses – nous le faisons en cachette! Avec des scènes dignes de Twist again à Moscou. Car il ne fallait surtout pas le dire, pour que les hôpitaux ravitaillés par nos soins (établissements, rappelons-le, du ressort ministère de la santé) ne se voient pas punis par cet État qui était défaillant dans sa mission, là où nos cellules municipales d’achat parvenaient à se procurer du matériel.

Je ne reviens pas ici sur les pérégrinations des protocoles sanitaires s’appliquant aux établissements scolaires, et aux grands moments de solitude ressentis avec les membres de l’Inspection d’académie et des services municipaux en charge des cantines et du périscolaire. Tous les décrets et arrêtés d’application des mesures nationales erratiques nous parviennent après leur supposée date d’application: c’est vrai à chaque fois pour les dispositions concernant les marchés, les commerces, et toutes les restrictions accompagnant les différentes phases réglementaires dites de confinement, déconfinement, reconfinement, dans un stop and go pratiqué dans l’urgence, qui d’une part révèle l’impréparation totale depuis la fin de la première vague du gouvernement, d’autre part génère une incertitude permanente avilissante, anxiogène et plus destructrice pour l’économie que le risque affronté.

Le couple « maire-préfet », dont on nous a rebattu les oreilles, est une fiction dans la gestion de cette crise.

Les Français savent-ils que le couple «maire-préfet», dont on nous a rebattu les oreilles, est une fiction dans la gestion de cette crise? Que les préfets eux-mêmes découvrent les mesures gouvernementales à la télévision? Que les maires ne sont toujours pas informés par l’État des clusters sur leurs communes! La transmission des données est quasi nulle et aléatoire selon les départements, les arrondissements, les personnes. C’est comme président du conseil de surveillance de l’hôpital, grâce aussi à la veille scientifique municipale et au groupe de travail transversal que j’ai mis en place le 24 février dernier réunissant représentants de la médecine de ville, de l’hôpital public, des cliniques, des laboratoires, que je peux constituer un tableau de bord international, national et surtout local de l’évolution de l’épidémie, avec des indicateurs qui s’avèrent plus fiables et surtout plus rapides, ce qui est essentiel, que ce que nous apprenons par les communications officielles.

Mais que personne ne se méprenne. Le mal n’est pas conjoncturel, lié à la sidération que continue de produire la pandémie chez nos gouvernants. Cette absurdité bureaucratique qui entrave et ralentit, freine et décourage, parfois jusqu’à empêcher l’action créatrice, nous la subissons dans nos mairies ou entreprises tout le temps, et de façon croissante ces dernières décennies. Le travers n’est pas dû à la crise sanitaire, il en est simplement plus apparent dans des circonstances qui exigent rapidité, simplicité, clarté, sérénité, autorité.

On oppose souvent à tort l’autorité et la liberté. Dans la France d’aujourd’hui, c’est le manque d’autorité de l’État sur les règles nécessaires qui l’amène à nous priver de liberté avec des interdits superflus. Montesquieu l’avait si bien formulé: «Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires». Les premières nous infantilisent, nous aliènent et nous appauvrissent quand les secondes nous protègent, nous libèrent et nous émancipent.

L’État protège de moins en moins et interdit de plus en plus.

Or, l’État protège de moins en moins et interdit de plus en plus. Il décourage les honnêtes citoyens et par sa faiblesse régalienne laisse involontairement la place à des bandes, des groupes, parfois des mafias.

Cette spirale infernale qui nous prive de liberté est la cause et la conséquence d’un recul civique, puisque le civisme est précisément l’exercice de la responsabilité de chacun, donc de sa liberté qui en est la condition symétrique, dans l’espace public. Les indignations tonitruantes et souvent victimaires sur les réseaux sociaux ou dans les médias remplacent la participation mature à la vie de la cité, le bruit remplace la praxis comme l’hystérie manichéenne la raison critique, les humeurs de confort se substituent aux interpellations exigeantes et argumentées de nos dirigeants. Eux-mêmes, gouvernants nationaux et hauts fonctionnaires, pourtant très souvent intègres et compétents, s’avèrent les premiers agents de la chute de l’indispensable pilier civique de notre société. Les causes en sont la fonctionnarisation des principaux responsable de l’Exécutif et leur connivence intellectuelle et comportementale avec la haute administration, aucun n’ayant vécu dans l’économie du risque, la judiciarisation perverse de leur action qui les conduit à se protéger par un parapluie de mesures maximalistes, le manque d’imagination qui les caractérise, la pratique du pouvoir fondée sur le couple communication politique et pratique administrative centralisée, qui éloigne de l’action constante, évaluée et ajustée.

Il va falloir nous en sortir, tant ces politiques conduisent le pays à l’échec, y compris démocratique, en ouvrant la voie aux marchands d’aventures démagogiques des extrémistes de tous bords. Car le conformisme alimente ce que Raymond Aron appelait le «révolutionnarisme», qui s’exprime partout aujourd’hui et sous plusieurs formes.

Il nous faut vite prendre conscience de cette grave réalité et retrouver le sens commun, par une nouvelle décentralisation, un renouvellement politique au sommet de l’exécutif avec des personnalités plus à même de s’occuper de l’exécution des choses, une profonde réforme de l’État, de son périmètre, de ses objectifs, de ses ressources humaines, son évaluation, sa direction, son contrôle. Cette approche est indispensable à la meilleure performance de nos politiques publiques, mais au-delà pour oxygéner la société, permettre aux forces créatrices de mieux s’exprimer, pour mieux réprimer aussi ceux qui détruisent, enfin pour responsabiliser et libérer.

Pour un gouvernement, garantir la liberté c’est aussi savoir faire preuve de courage. Or, il semble que sous couvert de protection sanitaire des Français, nos dirigeants cherchent à se protéger eux-mêmes en ne prenant plus la moindre décision qui nécessiterait de considérer que l’art de gouverner, c’est autre chose que l’art d’interdire.

Il faut que l’État retrouve le sens de la mesure et de la justesse pour concilier la nécessaire protection sanitaire et l’indispensable liberté économique et sociale qui nous relie les uns aux autres. Il en va de notre conception de la société et de notre cohésion nationale. En perdant de vue cette exigence, nos dirigeants suscitent la défiance. Jusqu’à quelles conséquences?

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