Deux anciens otages reviennent pour Actualité Juive sur leur semaine en enfer.
Pour Yossef c’était la première fois. « Je n’avais jamais pris l’avion ». Ce 27 juin 1976, « Jojo » Haddad, livreur de pain de 31 ans, voyage avec sa femme Lisette, 25 ans, laissant à Bat Yam leurs trois jeunes enfants. « La cousine de ma femme se mariait à Paris » se remémore-t-il quarante ans après. A quelques rangées se sont assis un jeune couple d’Anversois, Gilbert Weill et son épouse, un peu par hasard. « Nous avions réservé un autre vol, mais la compagnie nous a proposé de partir plus tôt, sur le vol Air France 139 Tel-Aviv-Paris ». Quelques minutes après le décollage à Athènes, où l’avion a fait escale, des bruits sourds résonnent. Il est 12h30 et des poussières. Dans l’esprit de Gilbert Weill « tout est confus. On n’a pas compris ce qui se passait ». Le brouillard ne va pas s’éterniser. Quatre terroristes, membres des « Cellules révolutionnaires », viennent de prendre le contrôle de l’appareil.
On s’empare des passeports des passagers pour en mesurer la « valeur » géopolitique. « Ceux qui avaient la double nationalité ont essayé de déchirer leur passeport israélien » précise G. Weill. Jojo Haddad, qui appréhendait ce voyage initiatique, ne tient plus. « Je n’arrêtais pas d’aller et venir aux toilettes. L’Allemande [Brigitte Kuhlmann] a pensé que je préparais quelque chose. Elle s’est mise derrière moi, un fusil à la main ». La tension s’installe, dans les deux camps. Pressé par les injonctions contradictoires d’un jeune homme le poussant à intervenir (« Tu les laisses faire ? ») et de passagers plus âgés qui l’invitent à se calmer, le soldat réserviste israélien n’en peut plus. Il se lève, décidé à tenter une manœuvre. « Lisette m’a jeté un verre d’eau à la figure et a donné une claque au type de 17 ans. Je me suis rassis ».
Dans les airs, le pilote, Michel Bacos, pressé par l’Allemand Wilfried Böse, rebrousse lui aussi chemin. Direction Benghazi, en Libye. « J’ai pensé que c’était terminé » confie Y. Haddad. En fait, les pirates se réapprovisionnent en carburant dans le pays de Mouammar Kadhafi et libèrent une ressortissante britannique. Les otages, épuisés, reçoivent une bouteille de Pepsi Cola. « J’ai demandé à ma femme de la mettre de côté pour Chabbat » narre G. Weill qui considère, avec le recul des années, que cette histoire ne s’est pas déroulé « selon le derekh hatéva’ » (le chemin de la nature). « Il y avait la main de D’ ». A 21h40, nouveau départ, cette fois vers l’Ouganda. « J’ai compris qu’on partait à Kinshasa. Cela m’a rassuré, le Congo ayant de bonnes relations avec la Belgique ».
3h15. L’avion se pose sur l’aéroport d’Entebbe. Un tri s’opère rapidement entre les passagers juifs et les autres qui sont libérés. Le symbole n’échappe à personne, trente ans après la fin de la Shoah. Pour ceux qui demeurent dans le hall de transit du terminal, les conditions de détention sont sommaires. On dort à même le sol sur des journaux les premiers jours. Le président ougandais, Idi Amin Dada, complice des ravisseurs, vient régulièrement saluer les otages d’un « Chalom », avec deux de ses femmes et son fils.
« Le nom d’Eliahou Hanavi résonne dans le terminal lors de la havdalla »
Les rations alimentaires sont pauvres, surtout pour les Juifs respectueux des lois de la cacherouth. « Ma belle-mère m’avait fait mettre dans ma valise des olives pour son fils vivant à Paris. J’en mangeais avec du pain ». rapporte Yossef Haddad. « Et puis j’avais ma pastèque ». Une pastèque ? « Oui, toujours à la demande de ma belle-mère ». Le fruit, si prisé en Israël, va néanmoins rapidement se révéler porteur de danger sur les terres africaines. « Un terroriste s’est approché de moi. “Il y a une bombe dans ta pastèque. Jette-la au sol, on va vérifier” ». Le test se révèle négatif. Un autre jour, un soldat, accusé d’être un espion israélien pour avoir conservé dans ses affaires une photo de la guerre du Kippour de 1973, est roué de coups dans une salle. La peur affole les cœurs et les âmes, même si certains trouvent des mots de réconfort. « Le pilote, Michel Bacos, qui avait tenu à rester avec nous, rassurait beaucoup ma femme » relève Yossef. « Il lui disait : “Israël ne vous laissera pas tomber” ».
Vendredi soir approche. Gilbert Weill, qui a continué à mettre ses tefilin presque quotidiennement, se souvient d’un moment intense. « J’ai passé le plus beau Chabbat de ma vie. J’ai senti la kedoucha [la sainteté] comme jamais ». Les Israéliens se mettent à chanter des prières, malgré les appels au calme du pilote, inquiet de la réaction des pirates. Ces derniers ne réagissent pas, mais ils menacent : ils commenceront à exécuter des otages dimanche si le gouvernement israélien ne libère pas des prisonniers palestiniens. Les heures passent, le nom d’Eliahou Hanavi (le prophète) résonne dans le terminal au moment de la havdalla. Un peu après 23h, les forces d’élite de la Sayéret Matkal débarquent. « On a entendu : “couchez-vous. Tsahal est arrivé” » se rappelle Yossef Haddad. « Une balle a touché la chaise sous laquelle j’étais caché. J’ai fait le Chema’ Israël. J’ai cru que c’était fini ».
Outre Yonathan Netanyahou, trois otages meurent pendant l’assaut, dont Pasco Cohen, le voisin de matelas de Gilbert Weill.
« Il m’a attrapé la main et m’a dit : “Ne me laisse pas là” ». Les survivants embarquent dans les avions au milieu d’un vacarme de tirs. « Les soldats nous ont détendu pendant le trajet » note Jojo qui fit un serment ce soir-là : désormais, il ne rechignerait plus à effectuer sa période annuelle de réserve dans les rangs d’une armée qui venait de lui sauver la vie à la face du monde.
Steve Nadjar – www.actuj.com