Ils ne sont plus que huit enquêteurs en Allemagne et mènent une traque sans répit, jusqu’à Buenos Aires, Moscou ou Washington.
Ces derniers chasseurs de nazis de la justice allemande sont engagés dans une course contre la mort qui rôde autour de leurs suspects, des nonagénaires impliqués dans des crimes vieux de plus de 70 ans mais imprescriptibles: les exactions commises sous le IIIe Reich.
Une mission « où chaque jour doit être mis à profit si l’on veut encore avoir une chance de juger quelqu’un », explique à l’AFP l’un d’eux, le procureur Jens Rommel.
Car bientôt tous seront morts, responsables, complices, témoins, rescapés… L’Allemagne refermera alors définitivement le chapitre judiciaire de la machinerie nazie qui a notamment envoyé six millions de Juifs dans les camps de la mort.
Ce travail d’enquête n’est toutefois pas exempt de controverses, la justice demandant très soudainement des comptes à des vieillards qu’elle avait laissés tranquilles depuis 1945. Des décennies durant, l’Allemagne s’est en effet montrée peu pressée de retrouver ses criminels de guerre.
Installé dans la coquette cité de Ludwigsbourg, près de Stuttgart (sud-ouest), l’Office central pour l’élucidation des crimes du national-socialisme où travaillent ces huit enquêteurs –5 procureurs, deux juges et un officier de police– est depuis 1958 la seule institution judiciaire compétente pour ces pré-enquêtes.
Derrière les murs d’une ancienne prison pour femmes y sont menées des recherches minutieuses sur des suspects potentiels ayant notamment servi dans des camps de concentration.
Les conclusions sont ensuite transmises aux parquets régionaux qui décident d’entamer ou non des poursuites.
THOMAS KIENZLE (AFP)
Morceaux d’un puzzle
« Nous assemblons les plus petites informations tels les morceaux d’un puzzle pour établir qui a été employé dans quelles fonctions et de quand à quand », explique Jens Rommel, qui dirige l’Office depuis 2015.
Ces investigations conduisent les chasseurs de nazis partout dans le monde.
A Buenos Aires, ils sont partis à la recherche d’Allemands ayant immigré juste après la Guerre, parfois pour s’y cacher comme Adolf Eichmann, grand ordonnateur de la Shoah, capturé par les services secrets israéliens en 1960 grâce aux informations secrètement transmises par un procureur allemand, Fritz Bauer, excédé par les lenteurs de la justice de son pays.
« Tous les bateaux qui arrivaient là-bas étaient enregistrés. Nous avons parcouru des listes de passagers et de personnel d’équipage » et pointé tous les noms à consonance allemande, précise-t-il.
« Nous devons à l’Histoire » et aux millions de victimes assassinées de « lutter contre l’oubli » en ne laissant tomber aucune piste, même la plus ténue, estime Peter Häberle du ministère régional de la Justice du Bade-Wurtemberg, où se situe Ludwigsbourg.
THOMAS KIENZLE (AFP)
Les enquêteurs excluent cependant de pouvoir encore retrouver vivant un haut responsable nazi ayant fui en Amérique du Sud. Ces dispendieux voyages ont donc attiré les critiques du quotidien Die Welt qui souligne le bilan famélique de ces déplacements.
Depuis sa création, l’office a mené 7.590 enquêtes préliminaires et 6.498 accusés ont été condamnés jusqu’en 2012.
Dernière affaire en date, la justice a décidé mi-avril d’engager des poursuites contre un ancien garde d’Auschwitz âgé de 94 ans. Et trois autres dossiers sont entre les mains de juristes pour déterminer si les suspects, du fait de leur grand âge, sont aptes à être jugés.
1,7 million de fiches
A l’Office de Ludwigsbourg, après avoir passé plusieurs portes sécurisées, c’est l’odeur de vieux papiers qui interpelle. Puis le regard dégringole le long d’imposantes armoires en métal, « base de données » grandeur nature des criminels nazis.
Pas moins d’1,7 million de fiches cartonnées sont soigneusement classées par ordre alphabétique. Tous les criminels nazis connus à ce jour, d’Adolf Hitler aux plus simples exécutants des basses oeuvres, y sont répertoriés ainsi que les lieux des exactions.
Soigneusement, Jens Rommel extrait de l’un des tiroirs la fiche 3 AR-Z 95/59. Dr. Mengele, Josef. Employé à Auschwitz, « l’ange de la mort » a pratiqué de terribles expérimentations sur des déportés.
Le feuillet cartonné, rédigé à la fin des années 50, stipule que son domicile est « actuellement inconnu, vraisemblablement en Argentine ». Mengele est mort en 1979 au Brésil sans jamais avoir été capturé.
Mais le travail des enquêteurs de Ludwigsbourg ne se focalise pas que sur ces célébrités de l’horreur.
Car la jurisprudence de la condamnation en 2011 de John Demjanjuk, un gardien du camp de Sobibor en 1943, à cinq ans de prison ferme, permet désormais de poursuivre pour complicité de dizaines de milliers d’assassinats n’importe quel auxiliaire d’un camp de concentration, du garde au comptable.
Jusqu’à ce jugement, « on n’avait jamais vraiment porté d’intérêt aux petites mains », souligne le juriste Andrej Umansky, auteur d’un ouvrage sur la Shoah à l’Est.
Aussi controversée que soit cette justice tardive, elle permet, conclut M. Umansky, « de donner une voix aux victimes, à leurs familles, et de ramener les faits dans la conscience publique ».
Source www.i24news.tv/fr