Ivan Rioufol a raison de dénoncer – dans les colonnes de Causeur – le “coup d’État des juges”, qui font fi du processus électoral démocratique.
De son côté, Elisabeth Lévy se demande s’il faut “avoir peur de la Justice” en expliquant que les hommes politiques ne doivent pas être jugés plus sévèrement que les autres. En tant qu’Israélien observant de loin la vie politique française, je ne peux que lui donner raison. Mais j’ajoute que la situation en Israël est encore bien plus grave.
La justice israélienne est en effet allée plus loin qu’aucune autre démocratie occidentale, en confisquant le pouvoir du peuple pour instaurer une véritable “juristocratie”. La Cour suprême, en particulier depuis l’époque du juge Aharon Barak, est ainsi devenue la plus activiste au monde. Elle s’autorise aujourd’hui à annuler non seulement les actes de l’administration et les décisions gouvernementales ou sécuritaires (en restreignant la capacité de l’armée de combattre le terrorisme), mais également à retoquer les lois, y compris les lois fondamentales au statut supra-législatif.
Cette évolution est commune à l’ensemble des pays démocratiques. Mais ce qui rend la situation plus préoccupante encore en Israël est le fait que nous n’avons pas de véritable Constitution. Or, c’est précisément en abusant de ce vide juridique et constitutionnel que le juge Barak a prétendu “créer” de toutes pièces une “Constitution”, en se fondant sur deux lois fondamentales votées en catimini par la Knesset en 1992, dont il a prétendu qu’elles devaient servir à exercer un contrôle de constitutionnalité le plus étendu1. “C’est l’unique Constitution au monde qui est née de la décision d’un tribunal”, avait alors ironisé le juge Moshe Landau, ajoutant : “Elle est sortie du tribunal comme une déesse grecque, Pallas Athéna, est sortie du front de Zeus”.
Depuis lors, le pouvoir exorbitant de la Cour suprême et des pouvoirs non élus en général n’a fait que croître, au détriment de celui de l’exécutif et du législatif, réduit à une véritable peau de chagrin. “Il nous est interdit d’empiéter sur le domaine du législateur”, avait déclaré le premier Président de la Cour suprême, Moshe Zamoura, en 1948. Aharon Barak a fait exactement le contraire, donnant naissance à une “monstruosité” juridique : une Cour suprême exerçant le contrôle de constitutionnalité le plus étendu au monde, en l’absence de Constitution véritable.
Le pouvoir sans limite de la Cour suprême la plus activiste au monde relève en fait, comme l’avait observé Pierre Manent, d’un véritable “pouvoir spirituel” (que le politologue israélien Menahem Mautner a qualifié quant à lui de “fondamentalisme laïc”). C’est ce pouvoir exorbitant que beaucoup souhaitent aujourd’hui limiter en Israël, pour rappeler aux juges et à tous ceux qui l’auraient oublié que dans une démocratie, le seul maître est le peuple.
NB : Cet article a été proposé au site Causeur qui a refusé de le publier, son rédacteur en chef étant un « anti-Bibi » résolu qui ne supporte pas la contradiction. La devise du magazine, auquel je contribue depuis plusieurs années – « Surtout si vous n’êtes pas d’accord » –, ne veut donc rien dire, hélas, quand il est question de la politique israélienne !
- Je renvoie à mon livre Quelle démocratie pour Israël ? Gouvernement du peuple ou gouvernement des juges ?* Editions l’éléphant 2023 pour un exposé plus complet de ce processus. ↩︎
Et oui. Il a beaucoup de parallèle en Israël et la France.
Délitement de la démocratie, classe politique au service d’elle-même.
Bon , entre Bibi et micron il n’y a quand même pas photo.
20% d’arabo-musulmans dans les deux pays pas tous légaux.
Guerre de ceux-ci contre les « mécréants ».
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