En costume, coiffé d’un chapeau et tsitsit bien visibles, c’est ainsi que le Rav Joël Lion a remis ses lettres de créances au président ukrainien, il y a un an maintenant. Premier Rabbin à être nommé ambassadeur, le Rav Joël Lion a travaillé pour la diplomatie israélienne pendant 27 ans avant d’être nommé à ce poste. Né en France et ayant grandi au Luxembourg, cet ancien de la Yeshiva de Montreux, a fait son alya en 1982 avec le Bné Akiva.
Il répond aux questions de LPH sur les relations entre l’Ukraine et Israël mais aussi plus largement avec le peuple juif. Et bien entendu, à la veille de Rosh Hashana, nous lui avons demandé comment il se prépare à l’arrivée des pèlerins à Ouman.
Le P’tit Hebdo: Votre arrivée lors de votre nomination, vêtu comme les Juifs orthodoxes, a suscité émotion et admiration ici. Comment avez-vous vécu cet instant?
Joël Lion: Cette nomination a été l’aboutissement d’un travail très assidu au sein du ministère des affaires étrangères israélien, pendant 27 ans. C’est une grande satisfaction et une grande responsabilité que de représenter Israël dans un pays aussi important sur le plan géostratégique.
J’appartiens à la mouvance sioniste religieuse, dans l’esprit du Rav Moshé Botschko z »l et du Rav Abba Weingort. Si j’ai décidé de porter le chapeau et le costume lors de la remise de mes lettres de créance, c’est parce qu’il était important pour moi de marquer le respect que j’accordais au moment et aux personnes qui étaient en face. J’ai donc revêtu mes habits de Shabbat, tout comme le Shabbat je me présente devant le Roi et donc je porte des vêtements différents, là je me trouvais devant un chef d’Etat, à qui l’on doit le respect.
C’était aussi une façon de transmettre la solennité du moment, pour moi, dont la famille maternelle est originaire d’Ukraine. Les grands-parents de ma mère, ainsi que des oncles, tantes et cousins ont été assassinés pendant ce que l’on a appelé »la Shoah par balles ». Beaucoup de Juifs ont péri ainsi, pendant la Shoah, en Ukraine et ont été jetés dans des fosses communes.
Lph: L’Ukraine d’aujourd’hui a-t-elle tiré les leçons de son passé antisémite?
J.L.: Au regard de l’antisémitisme, l’Ukraine est assez difficile à cerner, il y règne une certaine ambigüité. Aujourd’hui, le président ukrainien est juif ainsi que le chef du plus grand parti de l’opposition. Les Juifs qui ont décidé de rester en Ukraine occupent tous les postes possibles. L’Ukraine moderne est alliée d’Israël, elle vote en sa faveur dans toutes les grandes organisations internationales.
Parallèlement, l’Ukraine glorifie les collaborateurs de la seconde guerre mondiale, les présentant comme des héros qui ont combattu pour libérer leur pays.
Ce passé est complexe parce que l’on a aucune preuve que les régiments ukrainiens aient participé aux atrocités pendant la Shoah. Certains mêmes combattaient le nazisme au sein de l’Armée Rouge. Pour d’autres, ils se sont retournés contre les nazis.
Néanmoins, on sait que certains des »héros » ukrainiens ont participé à des crimes contre les Juifs. Et même ceux-là sont présentés comme des libérateurs, on occulte leurs actes antisémites. Pour l’Etat d’Israël, aucune de ces personnes n’est légitime. Nous demandons que soit enseignée toute l’histoire autour de ces personnages. Nous n’accepterons aucune personne qui a porté l’uniforme allemand pendant la 2e guerre mondiale. La transmission de ce passé fait défaut en Ukraine et cela remonte même à bien avant la Shoah, avec les cosaques, qui ont commis des exactions au 17e siècle contre les Juifs et qui sont jusqu’à aujourd’hui présentés comme des héros nationaux.
Cette approche au passé est au cœur d’un grand débat entre nos deux pays. Mais, il faut reconnaitre qu’il n’y a pas, en Ukraine, d’antisémitisme violent comme on a pu le voir, ces dernières années, en Europe occidentale. Les campagnes restent culturellement antisémites, mais l’Ukraine officielle ne l’est pas et la société n’est pas homogène de ce point de vue.
Lph: Comment alors, votre ami Volodymyr Zelensky, connu pour être juif, a-t-il été élu avec 75% des suffrages?
Lph: Il y a quelques semaines, Binyamin Netanyahou était en visite officielle en Ukraine. Il s’agissait de la première depuis 20 ans. Comment s’est-elle déroulée ?
J.L.: En effet, la dernière visite officielle israélienne en Ukraine était en 1999, et c’était le même Binyamin Netanyahou qui avait été reçu. Cette visite faisait suite à une promesse du premier ministre israélien, depuis le mois d’avril dernier. Elle est une manière de remercier l’Ukraine pour se tenir aux côtés d’Israël dans les organisations internationales.
Les relations entre l’Ukraine et Israël, ce sont aussi un milliard de volumes d’échanges. La visite de Binyamin Netanyahou a permis la signature d’un accord de libre-échange, qui devrait quadrupler nos échanges dans les cinq prochaines années et les élargir aux services et aux investissements.
Photo Amos Gershom/GPO
Par ailleurs, il a été convenu que l’Ukraine ouvrirait prochainement un bureau diplomatique d’investissements et de relations à Jérusalem.
Israël possède aussi de nombreux intérêts économiques en Ukraine, puis qu’elle est le 1e exportateur de grains vers l’Etat juif. Plus de 15000 Ukrainiens travaillent depuis leur pays pour des compagnies de Hi-tech israéliennes.
Le tourisme entre les deux pays est très florissant : 6 vols par jour, plus de 300000 touristes israéliens et 150000 touristes ukrainiens par an.
Pour l’Ukraine, Israël est un exemple.
Lph: La Russie et Israël entretiennent aussi de bonnes relations. Et parallèlement, la Russie et l’Ukraine ont rompu toutes leurs relations. Comment Israël jongle-t-il diplomatiquement pour préserver son entente avec les deux pays?
J.L.: Aux yeux des Ukrainiens, la Russie est l’agresseur. Elle a occupé illégalement la péninsule de Crimée et dans l’est de l’Ukraine, les troupes russes ont déclaré l’indépendance. Tous les jours, ce conflit fait des blessés et régulièrement des morts. L’Ukraine a fait prisonniers plusieurs officiers russes. En résumé, il n’y a plus de relations diplomatiques ni économiques entre la Russie et l’Ukraine.
Avec le nouveau président du parlement ukrainien
Mais, pour autant, cela n’empêche pas Israël, Etat souverain, d’entretenir de bonnes relations avec ces deux pays ennemis. On peut, dans la vie, être ami avec deux personnes qui ne s’entendent pas. C’est pareil concernant les relations diplomatiques. L’Etat d’Israël reste neutre.
Lph: Comment décrivez-vous la stature internationale d’Israël aujourd’hui?
J.L.: La diplomatie israélienne a fait un bond en avant ces dernières années. Israël a ouvert des marchés économiques important. Le pays est aujourd’hui en contact avec des Etats qui refusaient catégoriquement tout rapport avec lui, il y a peu de temps. Au niveau international, Israël n’est pas du tout isolé. Il y a aujourd’hui plus d’Etats avec lui que contre lui.
Lph: Nous approchons de Rosh Hashana, date symbolique dans les liens entre Israël et l’Ukraine, compte-tenu du nombre important de pèlerins qui se rendent en ces jours saints, sur la tombe de Rabbi Nahman à Ouman. Comment préparez-vous ces journées ?
J.L.: Je souhaite d’abord préciser que l’Ukraine abrite les tombes de 400 tsadikim. Toutes les hassidout ont leur fondateur enterré ici : Breslev, mais aussi Viznitz ou Belz ou encore le Rabbi Lévy Itshak de Berditchev et le Baal Shem Tov. Donc parmi les touristes qui viennent tout au long de l’année, on compte aussi beaucoup de personnes qui viennent se recueillir sur les sépultures de ces grands Rabbis.
Rosh Hashana est en effet, une date particulière, puisqu’arrivent environ 40000 personnes pour passer la fête à Ouman, autour de la tombe de Rabbi Nahman. Chaque année, l’Ukraine et Israël collaborent étroitement pour que ces journées se passent bien. Les polices sont en contact, 20 policiers israéliens, en uniforme seront présents pour assister la police locale. Par ailleurs, le Maguen David Adom et le Ihoud Hatzalah participent aussi aux efforts sur place avec près de 100 paramédicaux volontaires.
Avec le gouverneur de Cherkassy (région d’Ouman)
Lorsque Binyamin Netanyahou est venu, le président ukrainien a évoqué avec lui le développement des infrastructures à Ouman, afin d’en faire, une petite Jérusalem.
L’ambassade travaille avec les gouverneurs de la région, le maire d’Ouman pour accueillir tous ces visiteurs. Nous ouvrons, par ailleurs, un bureau consulaire à Ouman, pendant cette période.
Lph: Quels sont les conseils ou recommandations que vous faites à ceux qui viendront dans quelques jours?
J.L.: Plusieurs points sont à souligner. D’abord la propreté. Il convient d’être très attentifs à cela, surtout ceux qui préparent les repas. La salubrité est une question centrale.
Ensuite, je dirais, évidemment, que lorsque l’on se trouve dans un pays étranger, il est impératif de respecter les lois de ce pays. Cela est du ressort du Kidouch Hachem. Ainsi, je précise que le cannabis médical est interdit en Ukraine. En posséder peut être passible de 15 ans de prison. Depuis le moins de janvier, 17 Israéliens ont été emprisonnés en Ukraine pour port de cannabis.
Enfin, n’oubliez pas de souscrire une assurance médicale.
Nous avons tout le soutien des autorités ukrainiennes qui sont heureuses, chaque année, d’accueillir ces pèlerins.
Shana tova!
Source lphinfo.com