Concluons un accord – Oui, mais les Russes le veulent-ils?

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Ill : Le Kremlin

Par Yigal Carmon*

Ces derniers jours, les médias allemands [1] ont rapporté que des diplomates américains et européens ont envisagé de proposer au président russe Vladimir Poutine un accord sur la Syrie, abordant indirectement le sujet de l’Iran, plus grand défi de la crise syrienne, plus encore que celui du président Bashar Al-Assad. Les analyses de MEMRI sur les médias russes au cours des deux ans et demi écoulés suggèrent que la Russie pourrait être intéressée.

Selon des informations fournies par les médias allemands, l’Occident fait miroiter trois récompenses à Poutine :

  • La reconnaissance politique et idéologique de la parité entre la Russie et les Etats-Unis en tant que grande puissance – statut que la Russie de Poutine s’efforce de retrouver (après qu’il lui eut été conféré pour la dernière fois pendant l’ère Nixon-Brejnev).
  • L’acceptation de la présence continue de la Russie en Syrie, qui revêt une importance militaire stratégique pour la Russie.
  • Des injections de capitaux occidentaux et des Etats du Golfe pour reconstruire la Syrie, d’une manière qui fera de la Russie le principal maître d’œuvre, avec tous les bénéfices financiers en découlant pour l’économie de la Russie.

L’Occident voit de nombreux avantages dans ce projet d’accord, tant pour la Russie que pour lui-même :

  • La coopération avec la Russie en Syrie pourrait résoudre la crise internationale prolongée qui a engendré le chaos (dont la vague de réfugiés, même si elle ne provient pas que de Syrie) et des conséquences sécuritaires graves pour l’Europe.

Ce projet court-circuite entièrement le problème de l’annulation des sanctions imposées après l’annexion de la Crimée. Personne ne pourra s’opposer aux efforts humanitaires de reconstruction, qui sont aussi perçus comme essentiels pour endiguer le terrorisme à la source.

  • La reconnaissance de la présence de la Russie en Syrie pose les bases de fortes pressions sur l’Iran, lesquelles pourraient même déclencher un conflit violent entre la Russie et l’Iran pour le contrôle de la Syrie. Même si un tel affrontement est évité, la cessation du soutien russe à la politique de l’Iran dans la région pourrait avoir un impact significatif sur les capacités d’expansion de l’Iran.

Néanmoins, la question demeure de savoir si la Russie acceptera de conclure un tel accord, alors même qu’il lui confère des avantages sans rien lui coûter.

 

Les analyses et recherches de MEMRI réalisées sur les médias russes depuis janvier 2017 montrent que la Russie a signifié à plusieurs reprises à l’administration Trump son intérêt pour un tel accord. On en donnera ici trois exemples, parmi de nombreux autres :

  • L’intellectuel russe Fyodor Lukyanov a estimé que l’Iran pourrait servir de monnaie d’échange dans les négociations entre la Russie et les Etats-Unis. La Russie, écrit-il, est tentée par un accord avec les Etats-Unis en raison du fait que “le rapprochement et l’interaction avec l’Iran… ne sont pas intrinsèquement valables pour la Russie, mais sont [simplement] un outil, un moyen d’influencer l’Occident ou de lui envoyer un message”. Il précise : “Dès que le Kremlin réussit à attirer l’attention de ses partenaires européens, et surtout américains, ceux-ci reçoivent immédiatement la priorité sur les pays non occidentaux”.[2]
  • Andrey Kortunov, directeur du Conseil des Affaires internationales russe (RIAC), a également souligné que l’alliance de la Russie et de l’Iran n’était pas stratégique, mais pouvait être décrite comme un “partenariat circonspect”. Il a observé : “L’existence d’un ennemi commun ou d’une crise régionale ne garantit en aucune façon la formation d’un partenariat stratégique ».[3]
  • Maxim Yusin a souligné, dans son éditorial paru dans le quotidien russe Kommersant, que le Kremlin considérait l’Iran comme un partenaire “capricieux” et “imprévisible”, et que cela pouvait ouvrir une fenêtre d’opportunité à la diplomatie du président Trump.[4]

De fait, les façonneurs d’opinion russes n’ont pas défini les contours d’un accord pouvant intéresser le Kremlin. Mais on peut risquer l’hypothèse que la Russie est principalement intéressée à la levée des sanctions et à la reconnaissance de son annexion de la Crimée en 2014. L’Occident ne peut lui accorder une telle reconnaissance, mais la levée – directe ou indirecte – des sanctions – équivaudrait à une reconnaissance de facto de l’annexion de la Crimée.

Bien que ces idées aient été abordées par des médias proches du Kremlin, la possibilité qu’il s’agisse uniquement de tactiques conçues pour affaiblir la résolution de l’Occident concernant les sanctions ne peut être écartée. Il se pourrait que la Russie ne souhaite pas conclure d’accord avec l’Occident, aussi avantageux soit-il, sans une levée officielle et totale des sanctions. Les récentes propositions américano-européennes sont l’occasion de mettre à l’épreuve l’intérêt réel de la Russie pour un tel accord.

 

* Yigal Carmon est Président de MEMRI.

 

[1] Faz.net/aktuell/politik/ausland/angela-merkel-und-wladimir-putin-sprechen-ueber-lage-und-entwicklungen-in-syrien-15553725.html, 22 avril 2018.

[2] Voir MEMRI Special Dispatch No. 6821, Renowned Russian Intellectual Fyodor Lukyanov: ‘Rapprochement And Interaction With Iran, China, And India Are Not Intrinsically Valuable for Russia But Are A Tool.. To Influence The West’, 9 mars 2018.

[3] Voir MEMRI Special Dispatch No. 6742, Director General Of Russian Government-Funded Think Tank: Current Russia–Iran Relations Cannot Be Called A Strategic Partnership, A One-Time Enemy Could Easily Become A Future Ally, 16 janvier 2017.

[4] Voir MEMRI Special Dispatch No. 6808, Columnist For Russian Daily ‘Kommersant’: ‘Moscow [Understands] That In Iran It Has A Really Capricious And Unpredictable Partner. That Opens A Certain Window Of Opportunity For Donald Trump’s Diplomacy’, 1er mars 2017.

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