Après toutes ces années pérégrination dans le désert, et aux portes de leur entrée en Israël voici comment les tribus de Gad et Reouven s’adressèrent à Moché Rabbénou : « Ils s’avancèrent vers lui, ils dirent : ‘Des enclos [pour] menu bétail nous construirons pour notre bétail, ici, et des villes pour nos jeunes enfants’ » (Bamidbar 32,16).
Rachi nous explique qu’ils avaient plus d’égards pour leur argent que pour leur progéniture, car ils ont parlé de leur bétail avant de parler de leurs enfants. Moché leur a dit : « Vous n’auriez pas dû agir ainsi ! Faites de l’essentiel ce qui est essentiel et de l’accessoire ce qui est accessoire ! Commencez par construire des villes pour vos enfants, et ensuite des enclos pour vos troupeaux ! » (verset 24) (Midrach Tan’houma).
Comment les hommes des tribus de Gad et Reouven ont-ils pu réagir ainsi et faire primer leur moyen de subsistance face leurs responsabilités éducatives ? Cette question est récidiviste à chaque génération. Elle se pose souvent chez les familles ayant l’intention de venir s’installer en Erets Israël.
A l’époque, les tribus de Gad et Reouven, voyant que la manne, nourriture miraculeuse, prenait fin en entrant en Erets Israël, ils conclurent qu’il fallait désormais s’investir plus pour gagner leur vie, et cela au détriment d’autres priorités.
De nos jours, la montée en Erets Israël, est aussi pour certain la fin de la manne tricolore, allocations familiales, sécu, mutuelle… il va falloir s’investir plus dans le travail pour vivre en Israël, quitte à laisser femmes et enfants, et déroger à un bien-être spirituel.
Chacun de nous doit s’interroger : faut-il concentrer plus d’efforts sur la parnassa ou sur l’éducation de nos enfants ? Faut-il faire primer l’avenir professionnel de nos enfants ou leur avenir spirituel ? Faut-il monter en Israël coûte que coûte ?
Le travail tout comme l’étude de la Tora sont deux éléments essentiels de la vie. Ils nous ont été donnés par D’ pour nous rapprocher de Lui. Leur nécessité et leur interdépendance se retrouvent dans la Michna, la Guemara et jusqu’à la Halakha.
La Michna Pirké Avoth (2,2) nous di t: «Raban Gamliel, fils de Rabbi Yehouda Hanassi dit : « L’étude de la Tora assortie d’un travail est salutaire, car l’effort pour les deux fait oublier la faute. Toute étude de la Tora qui n’est pas assortie d’un travail finit par être annihilée et entraîne la faute.».
Rabénou Ovadia Bartenora explique : « Si on dit que l’homme doit être constamment plongé dans l’étude de la Tora et que la fatigue ainsi causée lui fera oublier la faute, en quoi le travail est-il nécessaire ? C’est pourquoi il était nécessaire d’ajouter que toute étude de la Tora qui n’est pas accompagnée d’un travail finira par s’annuler. En effet, personne ne peut vivre sans subsistance ; sinon, l’homme en viendrait à voler et oublierait son étude. »
Le Choul’han Aroukh (Ora’h ‘Haïm 156,1) consigne la loi par cette Michna (Beth Yossef) : « Après la prière du matin puis l’étude au Beth Hamidrach, il faut vaquer aux occupations matérielles du gagne-pain. Car toute étude de la Tora non accompagnée de travail finit par s’effilocher, disparaître et entraîner la faute. Car la pauvreté amènera l’homme à transgresser la Volonté divine. Cependant, on veillera bien à faire de l’étude le centre de sa vie, et de son travail l’occupation secondaire ; de cette façon, l’un comme l’autre réussira. »
Mais qu’en est-il de ceux qui étudient toute la journée sans travailler ? Le Biour Halakha explique que cette règle n’est valable que pour la communauté dans son ensemble, mais qu’à toutes les époques il existe des êtres d’exception qui se livrent entièrement à l’étude de la Tora.
Et dans le Séfer Hamikné il est écrit : « Apparemment, cela ne contredit pas l’enseignement de Rabban Gamliel, expliquer plus haut. En effet, un Talmid ‘Hakham qui fait de l’étude de la Tora son métier, qui est animé d’un désir puissant de progresser dans les voies d’Hachem, qui ne s’en détache ni jour ni nuit, et qui met sa confiance en Lui pour qu’Il lui procure ses moyens de subsistance, alors Hachem y pourvoira. »
Le Michna Beroura (156§1), explique que l’on doit travailler uniquement pour les besoins de sa subsistance. Le ‘Hafets ‘Haïm écrit à ce sujet (Chem Ôlam-‘hézkat Hatora §13) que les connaissances de Tora sont minimes à cause du trop grand investissement dans les besoins matériels.
Ai-je besoin d’une 4ème paire de chaussure, d’une 2ème voiture ou encore de partir une 3ème fois en vacances… ? Tout cela coûte le prix de l’étude !
Le Cha’ar Hatsioun (156§1) donne un conseil pour bien mesurer combien il faut travailler et ne pas se prendre au piège du Yétser Hara’ « d’en vouloir toujours plus » : Essayer d’imaginer combien nous serions prêts à travailler pour nourrir ou vêtir notre prochain…
Le Kerem David explique que lorsque Raban Gamliel affirme que toute étude de la Tora qui n’est pas accompagnée d’un travail finit par être annihilée, il veut nous mettre en garde contre la pensée suivante : « Je vais diviser mes années, une partie pour D’ et une partie pour le travail. Je commencerai par me consacrer à ma subsistance puis, lorsque j’aurai beaucoup d’argent, je laisserai les affaires et me rendrai au Beth-haMidrach pour étudier la Tora. » Hillel se prononce également contre cette conception (Michna 2 ; 4) : « Et ne dis pas : ‘J’étudierai quand j’aurai le temps’ ; peut-être n’auras-tu pas le temps. » Le travail doit aller de pair avec la Tora, c’est-à-dire que l’homme doit fixer chaque jour un temps pour l’étude de la Tora et un temps pour le travail, et il ne doit pas les dissocier. S’il n’agit pas ainsi, ni l’un ni l’autre ne se maintiendront.
On retrouve cette idée de préséance de la Tora dans l’un des versets le plus répété (premier paragraphe du Chema’ Israël – Devarim 6,7) : «Tu enseigneras [les paroles de la Tora] à tes enfants et tu en parleras en résidant dans ta demeure et en allant en chemin, à ton coucher et à ton lever. ». Le Sifri commente : « Tu en parleras….Tu en feras l’essentiel [de ta vie] et non pas quelque chose de secondaire.» Cette préséance donnée à l’étude de la Tora ne l’est pas seulement par rapport aux occupations matérielles du gagne-pain, mais aussi et d’autant plus par rapport à l’étude d’autres sciences.
Chaque année le soir du sédèr de Pessa’h’, nous chantons tous en famille le célèbre « Dayénou/cela nous aurait suffi ! ». Un des couplets dit « S’Il nous avait donné la Tora ; et ne nous avait pas fait entrer en Terre d’Israël, cela nous aurait suffi. ». Le rav Ovadia Yossef zatsal fait joliment remarquer que l’auteur de la Hagada n’a pas dit « S’il nous avait fait entrer en Terre d’Israël et ne nous avait pas donné la Tora, cela nous aurait suffi » Car Erets Israël sans Tora n’est pas mieux qu’un pays quelconque. Le ‘Hafets ‘Haïm aussi nous dit, dans le même sens : «Erets Israël sans Tora, que D’ nous en préserve !» Cela signifie qu’un Juif peut se maintenir avec la Tora en exil, mais à l’inverse, vivre et vouloir posséder Erets Israël sans la Tora, c’est impossible! C’est pourquoi les Bené Israël devront d’abord recevoir la Tora afin de pouvoir entrer en Erets Israël.
Un grand message pour chacun d’entre nous, celui qui désire monter en Israël, ou qui y est déjà installé : lorsqu’on parle d’Alya, il s’agit « de ‘Alya rou’hanith » (élévation spirituelle), nos motivations pour vivre en Israël devront uniquement répondre à des aspirations de s’élever dans la Tora.
En d’autres termes, la Tora ne nous dit pas qu’il faut négliger la parnassa mais l’important est de faire la juste part des choses. En effet le message transmis par Moché Rabbénou dans sa réponse est qu’il est important dans un foyer, de ne pas confondre l’essentiel et l’accessoire. C’est-à-dire que nos enfants et leur réussite spirituelle doivent avoir priorité sur toutes les préoccupations d’ordre matériel.
Ainsi les préoccupations premières d’une personne qui déciderait de s’installer en Israël, est de vérifier avant tout dans quel cadre ils pourront évoluer sainement dans les voies spirituelles. Est-ce qu’il existe un véritable équivalent là où l’on désire s’installer ? Est-ce ingénieux de laisser femmes et enfants seuls pour aller chercher son pain au-delà des frontières, pendant des jours voir des semaines? La vraie question à se poser est combien coûte l’argent que l’on va gagner ?
L’alya, mutation professionnelle, ou tout autre changement de cap ne se feront pas au détriment de nos enfants sous le prétexte de la parnassa.
Gardons en tête, que c’est Hachem et Lui seul qui accorde à l’homme sa nourriture, exactement comme à l’époque de la manne, comme nous l’enseigne la Guemara (Bétsa 16) notre parnassa est fixée par le Tout-puissant aux centimes près, de Roch Hachana à Roch Hachana.
En nous remettant entièrement à Hachem, et ne pas considérer notre parnassa comme le premier de nos soucis, nous garderons l’esprit libre pour nous préoccuper d’abord de notre « bien-être » spirituel et de celui de nos enfants, au présent et à l’avenir.
Rav Mordékhaï Bismuth
Extrait de la Daf de Chabat disponible sur http://www.ovdhm.com