L’agression d’un enfant juif à Sarcelles est venue confirmer les mauvais chiffres dévoilés par le ministère de l’Intérieur.
« Quand les voisins de mes parents ont quitté l’Egypte en 1960, on se demandait qui étaient fous : ceux qui prenaient leurs bagages ou ceux qui restaient. Près de soixante ans plus tard, on frappe un petit de 8 ans avec une kippa et des jeunes dans le bus parlent de « Beverly Hills » quand ils passent devant le quartier juif de la ville. Alors je me demande : qui est fou aujourd’hui ? »
C’est un incident de rue à la lisière du quartier juif de la « petite Jérusalem », dans le Val-d’Oise, qui secoue cette figure de la communauté sarcelloise, au diapason de ses coreligionnaires. Une agression d’une cruelle banalité venue alimenter la chronique de ce qu’il est coutume d’appeler l’« antisémitisme du quotidien ». Un enfant de 8 ans, kippa sur la tête et franges de tsitsit dépassant de son manteau, des coups de pied qui pleuvent par deux adolescents. Pas un mot, pas un vol. La violence à l’état brut comme mode opératoire. Le parquet n’a pas tardé à reconnaître le mobile antisémite de l’acte, à la différence de l’agression dont a été la victime une adolescente juive, le 10 janvier, dans la même commune. Pour les seuls trente premiers jours de l’année 2018, huit actes violents à caractère antisémite ont été recensés par le Service central du renseignement territorial de la Direction centrale de la sécurité publique (DCSP), notamment l’incendie d’une supérette cacher à Créteil (Val-de-Marne), le 9 janvier.
Le mois de janvier est devenue, au fil du temps, le baromètre de ce « nouvel antisémitisme » vilipendé la semaine dernière à l’Assemblée nationale par le Premier ministre Edouard Philippe. Une qualification contestable au regard de la pérennité du phénomène depuis la seconde Intifada. Chaque début d’année civile, la Place Beauvau dresse le « bilan des actes racistes, antisémites, antimusulmans et antichrétiens ». L’abbé Pierre avait coutume de dire à propos de la misère qu’ « on ne pleure pas devant les chiffres ». On pourrait même se réjouir à la première lecture des données du ministère de l’Intérieur recensant exclusivement les actes et faits accompagnés d’un dépôt de plainte. On y observe ainsi une baisse de 7,2% des «faits antisémites » (de 335 à 311 faits) par rapport à 2016, et en particulier un déclin des menaces qui chutent de 17,1% (258 à 214). Pourtant, relève le communiqué, les actions à caractère antisémite flambent, à un rythme encore plus élevé que les actes antimusulmans : 97 actions contre 77 en 2016, dont 30 atteintes aux personnes (contre 42 l’année précédente).
Pas un mot. Pas un vol. La violence à l’état brut comme mode opératoire.
Par un curieux télescopage, le mois de janvier compte dans ses filets quelques-uns des épisodes les plus dramatiques du poison antisémite qui ronge le tissu social français. Meurtre d’Ilan Halimi en 2006, manifestation « Jour de colère » par l’ultra-droite en 2014, attaque de l’Hyper Cacher l’année suivante, suivie en 2016 de l’agression à la machette d’un enseignant juif à Marseille. Dans « L’an prochain à Jérusalem ? » (Editions de l’Aube, 2016), Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’IFOP, notait déjà une recrudescence des incidents après la médiatisation de faits antisémites graves. « Il est vrai qu’il y a eu un emballement médiatique et politique », reconnaît Sammy Ghozlan, à la tête du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme, en référence notamment aux tweets d’Emmanuel Macron, quelques heures après l’agression à Sarcelles, dénonçant des « actes ignobles ». « Mais j’estime que c’est tout à fait justifié », poursuit M. Ghozlan.
Parfois, l’ancien commissaire de police interrompt la conversation pour découvrir sur sa boîte électronique un nouveau signalement « qui empoisonne la vie des citoyens juifs ». Là, il s’agit de la découverte de tags antisémites dans une cage d’escalier à Bobigny (Seine-Saint-Denis). Le week-end dernier, on lui signale qu’une partie de « petit pont massacreur », dont le principe est de frapper le joueur ayant laissé le ballon entre ses jambes, s’est mal terminée dans un collège public de Villepinte. Un adolescent a perdu une manche ; ses camarades se jettent sur lui : « Frappez-le plus fort, il est juif ». « Tout sera fait pour que les parents ne portent pas plainte », assure M. Ghozlan, avant de conclure, amer : « Du reste, il ne reste plus beaucoup d’enfants dans les écoles publiques en Seine-Saint-Denis ».
Autre acteur de terrain, René Taïeb, président de l’Union des communautés juives du Val-d’Oise, pointe également l’inquiétude des familles juives du département où il sent « la graine de l’alyah » refaire surface dans la foulée des pics d’antisémitisme. Ses mots dépeignent la zone grise dans laquelle évoluent les Juifs de banlieues, et peut-être au-delà. « On ne sait pas quoi dire à nos enfants. Ils voient des policiers et des militaires devant leurs écoles, les synagogues. Est-ce cela leur avenir ? », confie-t-il à Actualité juive. Signe de la détermination des pouvoirs publics, une réunion s’est tenue le 30 janvier en présence du préfet du 95, Jean-Yves Latournerie, et le délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, Frédéric Potier.
Plusieurs pistes de traitement ont été avancées. Le nouveau plan triennal (2018-2020) contre le racisme et l’antisémitisme, d’un montant de 100 millions d’euros, doit être présenté à l’occasion de la semaine d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme », du 19 au 25 mars. « La volonté du gouvernement pour ce plan qui couvrira l’ensemble des ministères est d’agir sur la haine sur Internet », indique à Actualité juive la DILCRAH qui a noué une collaboration avec le site Conspiracy Watch pour une série de vidéos postée sur les réseaux sociaux. La première, lancée le 26 janvier, est consacrée au négationnisme, « central dans les discours complotistes ».
« Il faut que la République connaisse enfin les vrais chiffres de l’antisémitisme »
La mise en place de nouveaux instruments pour mieux recenser l’antisémitisme est également à l’étude. Le député du Val-d’Oise et ancien maire de Sarcelles, François Pupponi, a annoncé travailler sur un amendement devant permettre la reconnaissance du caractère aggravant de l’antisémitisme ou du racisme en cas d’agression « d’un membre d’une communauté religieuse qui porterait un signe distinctif reconnaissable ».
A la DILCRAH, on précise que l’importation du système britannique dans lequel le plaignant « détermine lui-même sa perception de l’acte dont il a été victime » avant l’évaluation des faits par le juge, est évoquée. « Il faut que l’Etat, il faut que la République connaisse enfin les vrais chiffres de l’antisémitisme dans notre pays », réclamait M. Puponni la semaine dernière à l’Assemblée nationale, signalant l’absence d’outil statistique indépendant. Un instrument qui, en favorisant une meilleure prise en compte de l’antisémitisme lors des dépôts de plainte, pourrait jeter une lumière encore plus sombre sur la gravité du phénomène.
Source www.actuj.com