Les derniers mois ont vu deux événements essentiels se dérouler à Paris : les attentats du 13 novembre et la conférence internationale sur le climat. Cette convergence a été soulignée par de nombreux commentaires, et il faut bien reconnaître cette concomitance, assurément, comme objet de réflexion. Nous sommes bien convaincus que le hasard est une illusion, et qu’une Main, invisible mais réelle, Se cache et met en marche les événements de l’Histoire. Il importe, si l’on cherche à ne pas recevoir passivement des faits dont nous sommes contemporains – quelquefois acteurs, quelquefois victimes, ou même simplement spectateurs non directement impliqués – il importe de tenter de réfléchir à leur signification dans un devenir historique, engagé dans un mouvement permanent.
Pour ne donner que deux exemples – parmi bien d’autres –, des faits fondamentaux comme la Révolution française de 1789, ou la Première Guerre mondiale, changent la face du monde Apparemment étrangers à l’histoire d’Israël, ils ont tous deux eu une influence décisive dans l’Histoire mondiale, avec des impacts évidents sur le devenir du peuple juif.
Alors, quand on se trouve témoin de la rencontre entre deux événements spectaculaires comme ceux dont Paris a été le théâtre, en l’espace de moins d’un mois, on peut tenter de trouver une relation qui nous éclairera, par-delà l’obscurité apparente.
Remarquons, d’emblée, que le Président de la République a lié ces faits, en précisant qu’il s’agit d’une part de « protéger l’humanité des actions de mort que porte l’Etat islamique », et d’autre part, de « préserver la planète de nos propres inconséquences, qui peuvent être demain des sources de conflit et de guerre. » Dans une précédente chronique, l’accent a été mis sur l’aspect politique de cette remarque, liée aux actes des terroristes qui ont ensanglanté la France. Pourtant, il s’agit, cette fois, de se pencher sur l’implication universelle de l’accord obtenu à Paris. Il n’apparaît pas exagéré de ressentir qu’avec cet accord, une direction nouvelle de l’histoire du globe terrestre est enclenchée. C’est là un événement fondamental : un accord préventif, mais évoquant une catastrophe, a été signé par 195 nations ; il s’agit ici, peut-être pour la première fois dans l’Histoire, d’un accord qui n’est lié ni à des armements, ni à des rectifications de frontières.
Réfléchissons sur cette nouveauté : la planète se sent en danger, et comprend, peut-être un peu tard, la nécessité de faire face à cette situation. Dans un premier temps, il importe de relever la cause de cet état de choses. Le réchauffement climatique n’est pas du tout la conséquence d’une insuffisance due à la nature, ce qui laisserait entendre l’existence d’un défaut dans la Création. Les dangers qui guettent la planète sont le fruit de l’action de l’homme. Ce sont les progrès techniques qui l’ont « abîmée », et y ont causé des dégâts irréversibles. Fait remarquable, les pays du Nord reconnaissent leur responsabilité ; ils se sont engagés, dans l’accord signé à Paris, à verser une contribution financière de 100 milliards de dollars par an pour aider les pays du Sud, en développement, à faire face aux efforts demandés à tous les pays de la terre. Cette acceptation de leur responsabilité par les pays plus développés représente, en soi, une reconnaissance de « dette climatique » assez rare, et souligne le souci de créer une entente, une collaboration pacifique, entre les diverses nations du globe.
Cet accord traduit, certes, une prise de conscience de la gravité de la menace qui semble guetter la planète entière, mais cela nous rappelle aussi cette recherche de l’unité, évoquée il y a quelques années dans la tentative de découvrir une particule fondamentale (particule de Higgs), qui donne de la masse à la matière, et assure la transformation de l’énergie en matière. Une nostalgie de l’unité, qui traverse l’humanité, n’est peut-être pas étrangère à cet élan qui a fini par contribuer à mettre au point un accord absolument sans précédent ; non que ce consensus soit parfait, mais il indique un chemin. Cette convergence demeure, sans conteste, une feuille de route pour l’humanité.
Il nous importe, pour nous qui croyons en un avènement messianique, en un devenir téléologique de l’univers, de réfléchir à cette étape de l’Histoire. Relevons, d’abord, cette rencontre évoquée précédemment : au moment même où sévit une idéologie totalement iconoclaste – celle de Daech –, semble apparaître une lueur d’espoir, qui se veut – peut-être même involontairement – constructrice d’un avenir meilleur. Il n’est pas question d’une idéologie positive, seulement préventive, mais pas non plus offensive, comme cela l’avait été, à l’époque de Babel (révolte contre le Créateur). Il ne s’agit pas, cette fois, d’une organisation politique, comme l’ONU ou la SDN en son temps, chargées de veiller à la paix du monde – rôle qui n’a guère été rempli.
Il n’y a, certes, pas lieu de faire intervenir dans le débat sur le climat une dimension idéologique qui n’existe qu’en sourdine, réflexe naturel de survie. Le problème du réchauffement de la planète s’inscrit dans une perspective apparemment technique, mais traduit une pulsion élémentaire de l’homme : assurer l’avenir, c’est-à-dire dépasser aujourd’hui pour survivre demain. Si l’on réfléchit dans la perspective d’une intervention de la transcendance, d’une préparation à une époque pacifique pour l’humanité, c’est certainement un progrès qui s’annonce – après tant de mauvaises nouvelles. Cependant, n’oublions pas que, ainsi qu’on l’a relevé précédemment, cette avancée ne constitue qu’une tentative de réparer une brèche créée par l’homme, à la suite d’une destruction de l’ordre premier, destruction due au développement industriel. Saluons donc – une fois n’est pas coutume ! – un pas en avant, qui est peut-être un progrès vers l’avènement d’une amélioration de la situation actuelle. Il faut espérer que l’accord signé à Paris puisse en effet former une étape dans un processus historique vers la Gueoula. Il est certain que l’humanité se dirige vers un horizon qui se construit progressivement : le Mal tente encore de se manifester mais, en face, un espoir apparait. Le désir de lutter pour une survie de l’Humain, sous-jacent dans l’Histoire, devra rencontrer l’espérance messianique, annoncée par les Prophètes. Au-delà d’une dislocation dangereuse, physique comme métaphysique, une lumière doit s’allumer, et annoncer la sortie du tunnel. Une spiritualisation de l’univers, progressive, doit couronner les errements de l’Histoire. Ainsi, le vouloir-vivre de l’individu, comme celui de l’Humain, exprimera la rencontre entre la créature et le Créateur. C’est la voie qui, nous l’espérons, doit mener à une harmonie, qui, « au travers de ses tâtonnements épiques vers l’union de tous les hommes et de toutes les nations » (prépare) « une ère de justice et de paix couronnée par le royaume de D’ » (rav Munk, Vers l’harmonie, p. 158). L’accord sur les conditions physiques devrait donc, selon la lecture de nos Sages, participer au devenir métaphysique de l’Histoire.
Par le rav Lionel Cohn