Bruxelles : une grande mosquée sous influence ?

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La Belgique veut retirer à l’Arabie saoudite son influence sur la Grande Mosquée de Bruxelles, accusée de propager un islam contraire aux valeurs belges.

« Nous ne professons pas d’islam extrémiste, salafo-wahahbite. » Le directeur de la Grande Mosquée, Tamer Abou el-Saod, est catégorique. En cette fin d’après-midi, il nous reçoit dans son bureau au deuxième étage de la plus belle mosquée de Bruxelles. Dans les couloirs résonne le sutra de l’imam. C’est l’heure de la prière. Mais, aujourd’hui, peu de monde se bouscule dans la majestueuse salle aux tapis rouges et aux lustres dorés de la mosquée. Au rez-de-chaussée, les salles de classe pour les cours d’arabe sont déjà vides. La grande bibliothèque de la mosquée aussi.

L’entretien, lui-même, est improvisé. Cet ancien consultant, de nationalité suédoise, n’est pourtant pas surpris de nous voir. Depuis les attentats de Bruxelles qui ont fait 32 morts le 22 mars 2016, la Grande Mosquée, cédée il y a près de 50 ans au roi Fayçal d’Arabie saoudite, est pointée du doigt.

Dans le viseur

Fin octobre, la commission parlementaire belge chargée d’enquêter sur les causes de ces attentats a rendu des conclusions accablantes, après l’audition des responsables de la mosquée. Elle affirme, entre autres, que l’islam prêché dans l’établissement depuis cinquante ans « peut être catégorisé comme salafo-wahhabite », et est vecteur de repli communautaire, en contradiction avec la Convention européenne des droits de l’homme. Principal responsable, selon elle : la Ligue islamique mondiale, un réseau religieux basé à Riyad, qui gère plusieurs mosquées en Europe, dont celle de Bruxelles.

Tamer Abou el-Saod fait partie de cette ligue. Il a dû remplacer au pied levé son prédécesseur, rappelé à Riyad après une audition jugée troublante devant la commission d’enquête. Aujourd’hui, c’est lui qui est en difficulté. Il s’est vu retirer en octobre sa carte de séjour par le ministre de l’Immigration, Théo Francken, qui affirme avoir reçu des « signaux très clairs d’un homme très radicalisé, très conservateur ». Le nouveau directeur balaie ces accusations. « Ce sont des gens modérés qui viennent ici. » Cette mauvaise image de la Grande Mosquée, c’est avant tout un problème de communication. « Nous n’avons peut-être pas été assez ouverts par le passé », reconnaît-il.

Bien plus qu’un lieu de culte

Pas de quoi rompre la convention emphytéotique signée en 1969 entre le roi Fayçal et le roi Beaudoin, comme le recommande la commission d’enquête. À l’époque, la Belgique cède au roi Fayçal la gestion du culte musulman de Belgique, dénué alors de représentant, et le pavillon oriental de l’Exposition universelle de 1898 laissé à l’abandon. Seule autorité religieuse pendant plusieurs années, « la Grande Mosquée est devenue la grande cathédrale de la communauté musulmane de Belgique », affirme l’un des membres de cette commission, Georges Dallemagne. Elle est davantage reconnue que l’exécutif des musulmans de Belgique, qui a pris la relève de la gestion du culte dans le royaume depuis plus de vingt ans, même si elle est aussi plus décriée.

Le député fustige les activités annexes de la Grande Mosquée et du centre culturel islamique qu’elle abrite. La mosquée est en effet bien plus qu’un lieu de culte. Elle fournit des bourses à des étudiants pour apprendre la théologie dans la capitale saoudienne, des certificats de conversion pour aller à La Mecque et même des visas saoudiens. « L’ambassade d’Arabie saoudite peut s’en occuper », s’exclame le représentant belge, qui voudrait voir ce lieu de culte s’émanciper de la tutelle saoudienne.

« Tout est négociable »

Devant ces arguments, Tamer Abou el-Saod affiche de la bonne volonté. Il se dit prêt à faire une demande de « reconnaissance » de la Grande Mosquée comme lieu de culte auprès des autorités belges. Il accepterait ainsi la tutelle de l’État belge et un regard des services de renseignements sur les nominations des gérants et des imams de la mosquée, chose que ses prédécesseurs n’ont pas faite en cinquante ans.

Si la Belgique veut rompre la convention, la Ligue islamique mondiale entend bien négocier les conditions de la rupture. Elle demande une indemnisation des travaux réalisés sur le bâtiment depuis 1969 et d’être partie prenante à la formation des nouveaux imams. Entre autres. Le gouvernement belge hésite. Il n’a pas encore notifié sa décision à Riyad. Une fois celle-ci faite, la Belgique a un an pour transformer le visage de ce lieu emblématique. « Un an, c’est beaucoup trop court », s’exclame Johan Leman, l’ancien directeur du Centre pour l’égalité des chances et contre le racisme. Il ne croit pas à une mise en œuvre aussi rapide de ces recommandations.

Un calendrier trop serré

« Qui va financer cet établissement pour qu’il fournisse les mêmes services, une fois disparu le financement de la Ligue ? L’État belge, Bruxelles ? Rien n’est dit. » La commission veut ouvrir le lieu de culte à toutes les branches de l’islam pour créer « un islam belge ». Du pur angélisme, selon lui. « Pour gérer cette nouvelle mosquée, Riyad va pousser des gens qui lui sont loyaux à la direction de l’établissement. Les musulmans pas plus que l’État belge ne vont rien y gagner », affirme-t-il. Il regrette aussi que le gouvernement ne l’ait pas davantage écouté quand il était au cabinet du commissaire royal à la Politique migratoire.

En 1989, le cabinet avait produit un rapport pointant les problèmes d’intégration posés par la Grande Mosquée. « À l’époque, l’affaire a été considérée comme trop sensible. » Aujourd’hui, Johan Leman s’attend au pire. Les prochaines élections fédérales sont dans moins de deux ans. Et, d’ici là, la rupture de cette convention, devenue symbolique après les attentats, doit être réalisée alors que Riyad est en position de force dans ces négociations face à des responsables belges pressés par le calendrier politique.

Source www.lepoint.fr

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