Avec le Brexit, le gouvernement britannique devrait sortir d’Europol. Pour ne pas lutter seul contre le terrorisme, il devra renégocier les modalités de coopération avec l’office européen de police. Car la prévention des actions terroristes passe par le partage des informations des polices européennes.
L’attentat perpétré à Manchester le 22 mai et revendiqué par Daech, qui a causé la mort de 22 personnes – parmi lesquelles de nombreux adolescents – va contraindre le Royaume-Uni à renforcer sa lutte contre le terrorisme. Réagissant à cet acte meurtrier survenu deux mois après l’attaque menée sur le pont de Westminster par un islamiste radical, Scotland Yard a commencé par relever d’un cran le niveau d’alerte dans le pays, aujourd’hui au plus haut. Mais la lutte antiterroriste pose bien d’autres défis aux forces de sécurité, notamment dans leur coopération au niveau européen.
Ainsi, depuis les attentats de Paris en 2015 qui ont mis en évidence l’existence de réseaux terroristes transnationaux, les services antiterroristes considèrent que l’efficacité de leur action passe par la mise en commun et le partage de leurs informations, afin de pouvoir mener des actions en amont et prévenir le passage à l’acte des cellules terroristes. C’est notamment grâce à cette coopération que les services de sécurité en Europe ont pu procéder en 2015 à 687 arrestations de personnes de la mouvance djihadiste suspectées de préparer des actions terroristes, soit cinq fois plus qu’en 2011, selon les statistiques établies par Europol dans son rapport annuel 2016. Malgré tout, en cette même année 2015, Europol a déploré dix-sept attaques djihadistes en Europe contre quatre recensées l’année précédente. Le défi de la sécurité est sans cesse renouvelé, et d’aucun en Europe jugent les résultats insuffisants.
Le Brexit pénalisera-t-il la lutte contre le terrorisme?
Aussi, lorsque Theresa May, Premier ministre britannique, menaça l’Union européenne de réduire la coopération du Royaume-Uni en matière de lutte contre la délinquance et le terrorisme, au cas où le Brexit réduirait l’accès des produits anglais au marché unique européen, elle déclencha de nombreuses réactions de désapprobation. Tant chez les 27 membres de l’UE, qu’au sein même de la Grande Bretagne. On lui reprocha clairement de mêler intérêts commerciaux et lutte antiterroriste en pratiquant une forme de chantage à la sécurité.
La lettre adressée le 29 mars dernier au président du Conseil européen Donald Tusk pour signifier officiellement le divorce du Royaume-Uni d’avec l’Union européenne ne laissait aucun doute sur la nature de l’avertissement. Même si la diplomatie anglaise a ensuite tempéré ces propos, on ne saurait y voir une quelconque maladresse, compte tenu de l’importance de cette lettre, et de l’attention portée à chaque mot pour que le sens du message reflète le plus fidèlement possible l’attitude du gouvernement britannique au moment d’engager ce divorce.
Mais au regard des événements de Manchester qui confirment qu’aucun pays ne peut se sentir plus préservé que d’autres du danger terroriste, l’argument mis en avant par le Premier ministre britannique apparaît aujourd’hui des plus maladroits, tant pour les Britanniques eux-mêmes que pour le reste de l’Europe.
C’est l’office européen de police Europol qui, dans l’UE et en coopération avec Interpol au niveau international, est chargé de la lutte antiterroriste avec, au cœur de ses missions, l’échange de renseignements entre les polices nationales. Forte de son expérience dans la lutte antiterroriste à cause de l’engagement des indépendantistes en Irlande du Nord, la Grande-Bretagne fut d’ailleurs le premier Etat de le Communauté européenne à signer la convention qui régit Europol, en 1996. Et Londres est, depuis, un important contributeur pour la mise en commun d’informations qui servent de base au travail de coopération entre les Etats membres.
Une importante source d’informations
Si les Britanniques décidaient de quitter cette structure, Europol serait privé de cette source de renseignements. Mais les services britanniques de sécurité intérieure (MI-5) et extérieure (MI-6) perdraient aussi de leur efficacité. Brexit ou pas, personne n’aurait intérêt à faire reculer le niveau de coopération des polices européennes.
Il est vrai que toute politique antiterroriste concertée implique des abandons de souveraineté pour monter des stratégies transnationales, avec des mises en commun de moyens qui, longtemps, ne furent pas à la hauteur à la hauteur du problème. Le sujet devient encore plus complexe lorsque les impératifs de sécurité semblent écorner certaines valeurs démocratiques et nuire aux libertés individuelles, comme ce fut le cas lors des discussions pour la mise en place d’un fichier des passagers aériens (PNR) qui puisse être croisé avec celui des personnes jugées dangereuses. Il fallut plusieurs années pour que celui-ci voie enfin le jour en Europe, en avril 2016 après les attentats de Paris.
Toutefois, Europol est conforté dans ses missions et dispose de nouveaux moyens. Non seulement les responsables des 28 polices des États de l’Union, rejoints par leurs homologues norvégiens et suisses, ont décidé d’accroître leur coopération à Berlin en février dernier en mettant en place un comité opérationnel au centre d’Europol à La Haye avec tous les dirigeants de lutte antiterroriste, mais Europol se voit investi, depuis le 1er mai dernier, de pouvoirs élargis dans sa lutte contre le terrorisme et la cybercriminalité, conformément à une décision prise par le Parlement européen en mai 2016.
Ce nouveau cadre devrait permettre au Centre européen de contre-terrorisme (ECTC), plateforme permanente déployée en janvier 2016 pour le traitement et le partage des informations, de travailler plus rapidement, toujours sous le contrôle des autorités européennes compétentes. A charge pour toutes les parties prenantes qui travaillent dans le cadre d’Europol de faire fonctionner les outils à leur disposition dans un esprit de confiance mutuelle, absolument indispensable pour que la plateforme de partage d’informations débouche sur les résultats escomptés. Mais c’est là que le bât blesse.
Les États doivent resserrer leur collaboration s’ils ne veulent pas être tenus pour responsables de la prolifération de nouveaux attentats, avait mis en garde le commissaire européen aux affaires intérieures Dimitris Avramoupolos en mars 2016, relayé par le réseau Euractiv: « Les outils sont là, l’UE peut faire des miracles si les Etats membres font confiance à Europol». «La priorité aujourd’hui, c’est l’interopérabilité des fichiers : le fichier Europol et les fichiers nationaux de police des États membres , insistaient les sénateurs Jean-Pierre Raffarin et Jean Bizet dans un rapport de février dernier. Certes des difficultés techniques existent, les fichiers de police de chaque État membre étant «bâtis» différemment, remarquent les sénateurs. Mais le véritable obstacle, c’est l’engagement des pays.
Dans ces conditions, la déclaration de Theresa May, semblant prête à tourner le dos à un resserrement de la coopération si des intérêts commerciaux n’étaient pas sauvegardés, a fait l’effet d’une pierre dans le jardin d’Europol alors que l’action de l’Europe dans le renseignement antiterroriste fait déjà l’objet de critiques.
Souveraineté et sécurité
Faut-il s’en étonner? Londres a toujours manifesté beaucoup de réserve à l’égard de toutes les structures européennes susceptibles d’interférer dans ses affaires intérieures, qu’il s’agisse de police ou de justice. Etant restée un peu en marge de l’Union à cause de sa sensibilité sur la question de sa souveraineté, la Grande-Bretagne, qui ne fait pas partie de l’espace Schengen, dispose d’un statut particulier sur bien des points. Cette situation, bien antérieure au référendum sur le Brexit, lui conférait la capacité de choisir les instruments législatifs auxquels elle souhaite participer dans le cadre de l’Union. Europol entrait dans ce domaine, au même titre qu’Eurojust.
Dans ces conditions, et même si les services britanniques ont toujours collaboré avec Europol, la perspective d’une sortie de l’Union ravive les incertitudes sur la participation de Londres à l’office européen de police, surtout après les propos du Premier ministre britannique. Car même si Europol est actuellement dirigé par le britannique Rob Wainwrigt, la rupture d’avec l’Union européenne décidée par les électeurs britanniques posera forcément la question du maintien du Royaume-Uni au sein d’Europol, et impliquera au moins de reconsidérer les modalités de sa participation aux travaux de l’office.
Les questions ne se posent pas seulement pour le Royaume-Uni. Le Danemark a en effet refusé les nouveaux pouvoirs conférés à Europol, préférant ne plus en faire partie depuis le 1er mai. Même si Copenhague continue de jouir d’un statut d’observateur sans droit de vote, cette situation nouvelle ne conférera pas les mêmes accès aux informations.
Mais un attentat comme celui de Manchester vient rappeler qu’aucun pays ne peut prétendre mieux assurer sa sécurité seul que dans le cadre d’une coopération renforcée. Car, même si elle ne constitue pas un rempart infaillible contre le terrorisme, cette coopération est un atout supplémentaire pour déjouer des tentatives et démanteler des réseaux. Une conclusion à laquelle la France et la Belgique sont parvenues après les attentats qui ont frappé les deux pays et les collusions entre les réseaux terroristes qui ont été mis en évidence. Il semble aujourd’hui impossible que les Britanniques, frappés pour la sixième fois par des terroristes islamistes depuis la série d’explosion de 2005 dans les transports londoniens qui causa la mort de 56 personnes, n’en tiennent pas compte. Brexit ou pas.