En paraphrasant une des observations faites par Lord Palmerston dans un discours prononcé à la Chambre des Communes au cours de la séance du premier mars 1848 – «Nous n’avons pas d’alliés éternels et nous n’avons pas d’ennemis perpétuels. Nos intérêts sont éternels et perpétuels – et ces intérêts-là, nous avons le devoir de les poursuivre» – le Général de Gaulle rappelait que, d’une façon plus générale, « les États n’ont pas d’amis ; ils n’ont que des que des intérêts » – thèse évoquée plus tard, au cours d’une interview réalisée le 9 décembre 1967 « Les hommes peuvent avoir des amis, pas les hommes d’État. » N’empêche que certaines des influences qui ont concouru à façonner les convictions personnelles des hommes d’État dont il s’agit – consciemment ou inconsciemment – peuvent jouer un rôle même dans leur façon d’évaluer, dans une situation donnée, les relations qu’entretiennent aussi bien les pays qu’ils qualifieraient d’«amis» que ceux qu’ils qualifieraient d’«ennemis» avec les nations dont ils se trouvent confiée la protection des intérêts.
Autant, de nombreux adeptes d’idéologies internationalistes ou post-nationalistes – censées s’inspirer de valeurs humanitaires – ne sauraient jamais approuver ces façons de voir les affaires diplomatiques, en ce qui concerne les critères à appliquer à la gestion de celles-ci, autant les analystes et observateurs honnêtes ne pourraient s’empêcher de constater qu’il y eu au fil des siècles d’innombrables exemples d’alliances ou d’amitiés entre nations qui se sont avérés incapables de se perpétuer. Autant d’exemples susceptibles d’étayer les thèses de réalistes qui, dans une plus ou moins large mesure, défendent l’élaboration d’une politique qui consiste, en général, à faire lier étroitement au contexte de telles dures réalités géopolitiques les décisions prises afin de poursuivre les intérêts nationaux précités – ainsi qu’ils les conçoivent.
Qui plus est, il continue à en être ainsi même depuis l’avènement de prétendus nouveaux ordres internationaux – comme, par exemple, après la fin de la Seconde Guerre mondiale, et par suite de l’effondrement des régimes communistes et de la disparition de l’ancienne Union soviétique. Avènement de systèmes internationaux soi-disant immunisés contre les maux liés aux nationalismes bornés et placés, soit sous le signe des institutions onusiennes soi-disant promotrices des relations pacifiques entre leurs pays membres, soit sous le signe de l’instauration d’une seule et unique politique étrangère qui lierait tous les pays membres de l’Union européenne. Si légitime que puisse sembler l’espoir de finir par voir triompher sur le plan international les valeurs des démocraties qui sont authentiquement libérales – que ce soit ou non par le biais de l’intervention constante de représentants d’institutions censées les incarner.
Durant toute son histoire, Israël ne cesse de se trouver soumis à la nécessité oppressante de démontrer son utilité aux intérêts des nations dont ses gouvernements successifs cherchent à assurer et/ou à garder le soutien. D’où le besoin d’hommes/ou de femmes d’Etat capables de résister non seulement aux partis pris d’ordre idéologique et aux tentations qui relèvent de la politique politicienne, mais également de se refuser à l’imposition de grilles de lectures simplificatrices ou excessivement optimistes quant aux réalités géopolitiques en question. Afin que soient évités autant que possible des concours de circonstances qui obligeraient les gouvernements d’Israël à choisir entre de mauvaises options et de moins mauvaises options – auxquelles l’État hébreu se trouverait alors devoir faire face.
Il peut arriver, de temps en temps, que ses dirigeants aient affaire à des décideurs de «pays amis» qui sont animés de vrais sentiments pro-israéliens – ce qui fait partie, bien entendu, des réalités géopolitiques qui entrent en considération. Durant toute la période où les administrations successives des États-Unis, tant du parti Démocrate que du parti Républicain, persistaient dans une politique qui consistait en général à ne pas fournir d’armes à l’État hébreu, à ne pas financer l’acquisition de celles-ci et à ne pas conclure d’accords avec Israël qui seraient de nature à obliger les gouvernements des États-Unis à garantir la survie de ce dernier, il existait une alliance «occasionnelle» entre Israël et la France, soumise à certaines limites. Celle-ci assurait discrètement aux forces de défense de l’État hébreu la fourniture d’une quantité suffisante des armes dont celles-ci avaient désespérément besoin.
Auteur de La France et Israël 1947-1970, de la création de l’État d’Israël au départ des Vedettes de Cherbourg“, (Honore Champion, 2009), Miriam Rosman attache beaucoup d’importance aux «amitiés et aux liens très proches et très sincères, qui ont favorisé des relations exceptionnellement étroites entre les deux pays, même si évidemment chacun défendait ses intérêts» qui prévalaient aux premières années de l’existence d’Israël, entre les décideurs de premier plan des deux états. Autant de liens susceptibles de faire durer l’alliance discrète (pour désamorcer la résistance constatée dans les milieux associés au Quai d’Orsay, etc.). Il s’avère impossible, cependant, de différer éternellement l’émergence de nouvelles réalités, engendrées par l’indépendance de l’Algérie, ainsi par celles de toutes les autres nations de l’Afrique du Nord française, l’arrivée au pouvoir de nouveaux décideurs français finissant par affaiblir progressivement cette alliance – jusqu’à y mettre fin dans le contexte d’une nouvelle politique arabe renforcée.
Les réalités politiques, diplomatiques ou militaires auxquelles il peut arriver à l’État hébreu d’être confronté peuvent donner lieu, de temps en temps, à des divergences sérieuses, même contradictoires, dans les appréciations portées par certains de ses décideurs sur celles-là. Qu’il s’agisse ou non d’administrations israéliennes renfermant en leur sein au moins un ministre doté des qualités d’hommes/de femmes d’état évoqués plus haut. Ces divergences pouvant aller de pair avec un certain manque de résolution chez les décideurs, elles sont alors susceptibles de déboucher sur une politique d’attentisme – laquelle pourra tantôt représenter la moins mauvaise des options, tantôt risquer de susciter une paralysie décisionnelle qu’il faudra éviter à tout prix.
Si il est arrivé assez souvent qu’on reproche une politique de prudence excessive à Benyamin Netanyahou, qui a maintenant réussi à battre le record de longévité de plus d’une décennie au pouvoir établi par David Ben Gourion, on ne saurait nier que de tels reproches donnent lieu à des interrogations légitimes, à la différence des accusations qui font partie intégrale des polémiques qui ne cessent depuis longtemps de le viser – soit totalement infondées soit disproportionnées dans la quasi-totalité des cas. Voulant, coûte que coûte, éviter les dangers qui peuvent résulter de guerres inutiles ou évitables, Netanyahou est pourtant capable d’oser lancer des initiatives qui lui semble être devenues indispensables, tout en comportant des risques certains sur le plan diplomatique – y compris ses interventions au sujet des menaces iraniennes pendant la seconde administration Obama.
Les aptitudes considérables dans la gestion des affaires diplomatiques dont dispose cet homme politique expérimenté se sont avérées de première importance pour permettre à Israël de résister aux pressions venues au cours des deux administrations Obama. Intensifiées sous son second mandat, ces pressions étaient destinées à obliger l’État hébreu à faire des concessions très dangereuses sur le plan sécuritaire pour satisfaire les réclamations de l’Autorité palestinienne (sans doute la première d’autres séries de celles-ci, qui ne manqueraient pas d’être présentées), sans qu’il soit question de bénéficier d’aucune réciprocité véritable. Sans parler de l’intimidation implicite dont Netanyahou faisait incessamment l’objet, de la part d’une des plus hostiles administrations américaines – en sa qualité de décideur principal, comme, par exemple, au cours de l’opération prolongée «Bordure protectrice», de l’été 2014 – ainsi que dans plusieurs autres situations, comme le raconte Michael B. Oren, ancien ambassadeur d’Israël aux États-Unis, dans son livre Ally My Journey Across the American-Israeli Divide.
(«L’administration Obama nous a soumis à un régime permanent d’hostilité et de mépris», observation citée dans l’analyse excellente de Michael Doran, parue le 7 janvier 2019 – «Israël fera le job avec l’appui stratégique des Etats-Unis ». Cet ancien secrétaire adjoint à la Défense et ancien directeur du Conseil de sécurité nationale nous rappelle les réalités suivantes :
Face à l’accusation selon laquelle Trump aurait laissé Israël dans l’embarras, le gouvernement israélien se souvient que l’architecte du pont terrestre iranien qui menace maintenant la guerre à la frontière nord d’Israël n’était autre que Barack Obama. Netanyahu et ses assistants n’ont pas, non plus, oublié les aspects essentiels de l’approche de l’administration Obama, pour ne citer que les faits saillants : les accuser à tort d’espionnage des États-Unis ; organiser la fuite d’informations sur des opérations militaires israéliennes sensibles en Syrie ; conseiller la presse sur la coopération entre Israël et l’Azerbaïdjan contre l’Iran et sur la manière dont elle saperait la sécurité américaine ; la façon de leur dissimuler de manière dédaigneuse les négociations avec l’Iran ; tolérer tacitement l’action hostile contre Israël au Conseil de sécurité des Nations unies ; les harceler sans cesse au sujet de la prétendue réticence d’Israël dans les négociations avec les Palestiniens ; les réprimander dans les médias de ne pas s’inquiéter de la mort de civils à Gaza ; leur donner des leçons incessantes sur les implantations de Cisjordanie ; canaliser l’aide financière vers leurs adversaires, lors des élections israéliennes, en appelant Netanyahu en personne « une poule mouillée ».)
Netanyahou a joué un rôle de premier plan dans l’approfondissement et dans la consolidation des liens d’amitié entre Israël et l’Inde, y compris dans les domaines commerciaux et militaires. Ses aptitudes dans la poursuite des intérêts diplomatiques d’Israël font leurs preuves également dans la politique d’équilibrisme fort délicate nécessitée par la nouvelle donne en Syrie – notamment dans ses relations avec Vladimir Poutine. Les progrès immenses que les spécialistes israéliens continuent à accomplir dans plusieurs sphères – agriculture, médecine, haute technologie, lutte contre les terroristes, etc., où on voit pleinement rayonner l’inventivité et l’esprit innovant partagés par tant d’Israéliens – font que les spécialistes de celles-ci sont de plus en demandés. Aussi les initiatives et programmes israéliens de coopération et d’aide au développement dont bénéficient beaucoup de pays africains facilitent-elles dans une très large mesure une amélioration de relations non négligeable avec bon nombre de ceux-ci. Il en est de même de certains pays de l’Amérique du Sud.
S’il y a lieu de rendre hommage à la gestion intelligente de ces relations par Netanyahou, il ne faut pas pour autant exagérer les effets positifs que le développement de liens vraiment amicaux susceptibles d’en résulter peut produire sur la position diplomatique de l’État hébreu. Malgré les faiblesses et les imperfections graves de la nouvelle démocratie sud-africaine, pour la plupart auto-infligées, celle-là domine l’Union Africaine et constitue une puissance régionale. Tant que persiste l’hégémonie du parti du Congrès National Africain et que ne se relâche pas l’emprise en son sein de nombreux militants farouchement anti-israéliens et pro-BDS (mouvance promotrice de boycotts, de désinvestissements et de sanctions visant Israël), toute tentative de bénéficier de soutiens diplomatiques accrus, de la part de divers gouvernements africains, ne rencontrera qu’un succès limité. Pour ce qui est des états de l’Amérique latine, il faut souligner que ce n’est, en général, qu’avec ceux qui sont gouvernés par des administrations (ou plutôt des régimes, dans certains cas) de droite, ou de centre-droit, que l’État hébreu voit des relations plus amicales se développer.
Quant à la quasi-totalité des organes et institutions de l’ONU, véritable « machine à condamner Israël » (expression employée dans un texte très pertinent signé par Liliane Messika), les diverses assertions de représentants israéliens qui se vantent d’une amélioration progressive du statut de leur pays au sein de cette organisation internationale ne cessent d’être infondées. On n’a qu’à évoquer les résolutions anti-israéliennes on ne peut plus extrêmes adoptées à des intervalles réguliers, sinon avec une fréquence croissante, dans les instances principales de l’ONU – qui ne peuvent se permettre de condamner fermement même les violations les plus flagrantes commises par les terroristes du Hezbollah, tout en attaquant en même temps les «violations de l’espace aérien du Liban» (Autant de prétendues violations tout à fait justifiées, dans le contexte des violations dont le gouvernement libanais est complice, ainsi que dans le cadre des principes de la nécessité militaire – laquelle consiste à identifier de nouvelles menaces potentielles afin de pouvoir les neutraliser.) Comment donc – en ce qui concerne l’initiative conjointe, entreprise par l’État hébreu et les États-Unis – voir une réussite, même partielle, dans la majorité des voix de délégués diplomatiques recueillies en faveur d’une résolution présentée dans l’Assemblée Générale qui condamne explicitement certains actes terroristes commis par le Hamas, sans que cette majorité des voix n’aboutisse à l’adoption de celle-ci?
Pour terminer, quelques questions. Maintenant que la Cour pénale internationale semble avoir atteint un point de non retour après la nomination abusive d’un Procureur général palestinien, pourquoi l’administration de Netanyahou continue-elle à faire des gestes conciliateurs envers certains de ses hauts fonctionnaires? (À force de persister à outrepasser ses compétences, n’est-elle pas en train de devenir une «International Kangaroo Court », dont beaucoup de ses décideurs passent la majeure partie de leur temps à préparer des interventions destinées à rendre possibles les lynchages judiciaires des soldats et des officiers des forces de défense israéliennes?) Les dirigeants israéliens ne devraient-ils pas plutôt faire mobiliser à la fois leurs représentants officiels et les plus influents de leurs défenseurs qui vivent dans d’autres pays importants, afin que soient organisées des initiatives et campagnes fréquentes destinées à démontrer, avec un maximum de publicité, à quel point cette organisation est devenue corrompue?
Les dirigeants israéliens ont agi avec beaucoup d’intelligence dans la politique qui consiste à cultiver de bonnes relations avec les états qui font partie du Groupe de Visegrad, afin de neutraliser les menaces que représente aussi bien l’adoption par l’Union européenne de résolutions pleines de calomnies anti-israéliennes que l’organisation d’initiatives diplomatiques potentiellement dangereuses ou, tout au moins, lourdes de conséquences négatives. Des condamnations totalement injustes ont été prononcées par des représentants officiels de certains pays européens à l’encontre des soldats de Tsahal – obligés de se défendre et de protéger leurs concitoyens contre les «marches soi-disant du retour » et contre les nombreuses tentatives, accompagnées d’actions violentes et potentiellement meurtrières, destinées à rendre possible l’invasion en masse du territoire israélien. Au lieu de faire preuve d’une prudence peut-être excessive, le gouvernement israélien aurait-il dû réagir avec plus de combativité sur le plan diplomatique? N’aurait-il pas fallu convoquer les représentants diplomatiques de gouvernements qui réclamaient une enquête onusienne soi-disant indépendante et impartiale, pour faire des représentations vigoureuses, n’aurait-il pas fallu des protestations publiques? (Comment considérer que le traitement en persona non grata de Federica Mogherini, chef de la diplomatie européenne, ait représenté un geste de mécontentement suffisant?)
Par le Professeur Paul Leslie