Beyrouth : les victimes de l’infamie du 4 août 2020

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Chronique d’Albert NACCACHE  – Temps et Contre temps

Le 4 août 2020, Beyrouth est le théâtre d’une gigantesque déflagration qui fera 214 morts et plus de 6.500 blessés dévastant des quartiers entiers de la capitale libanaise. Les photos des victimes ont été fournies par Beirut 607, une base de données interactive qui a rassemblé toutes les photos des victimes et écrit leurs histoires pour qu’elles ne soient pas oubliées. Le 4 août 2021 à 18h07, heure locale, une marée humaine envahit le port de Beyrouth. Le pays tout entier se fige dans un silence de deuil et de recueillement en hommage aux victimes de la catastrophe.

Un an après l’explosion, le Liban reste paralysé par l’impunité et l’incurie. L’enquête est au point mort ou presque. Les coupables courent toujours. L’enquête piétine, obstruée par les interventions politiques.

Dans un éditorial de l’Orient-le Jour du 3 aout 2021, Michel Touma déplore «l’explosion de Beyrouth ou la banalisation du crime». «Si l’on pouvait établir une échelle (qualitative) de l’ignominie, à son degré le plus abject il y aurait pire que le crime. Il y aurait la banalisation du crime, amplifiée par l’impunité et l’indifférence poussée à son stade le plus infâme, équivalent à l’irresponsabilité la plus répugnante. … Car il y a bien eu une partie précise, une puissante « force de facto » dont l’autorité (crainte de tous) a court-circuité les filières de l’État et qui a été bel et bien à l’origine (qui est donc directement responsable) du détournement de la cargaison de nitrate d’ammonium, de son déchargement au port de Beyrouth, de son « exploitation » à des fins inavouables et de la couverture sécuritaire (illégale) qui lui a été assurée au hangar numéro 12 pendant près de six ans. Le Hezbollah et le régime Assad ont été clairement pointés du doigt sur ce plan par de nombreuses sources locales et occidentales, arguant du fait que le parti chiite exerçait son contrôle direct sur le port de Beyrouth. Mais parallèlement, il y avait aussi ceux qui, dans les plus hautes sphères de l’État, « savaient » mais qui n’ont rien fait pour éviter la catastrophe. Le président de la République a lui-même reconnu publiquement qu’il avait été averti du danger potentiel… En dépit des plaies et des profondes cicatrices – aussi bien physiques que psychologiques – qui sont loin d’avoir connu ne fut-ce qu’un début de cicatrisation, le Hezbollah se comporte comme s’il n’était nullement concerné, ni de près ni de loin, par la catastrophe. Et parallèlement, les plus hautes sphères de l’État, président de la République et anciens ministres inclus, affichent une attitude de quasi-indifférence, de détachement total, sans scrupules, à l’égard du drame»

La conférence de soutien à la population du 4 août 2021

Une conférence internationale de soutien à la population libanaise» se tient, mercredi 4 août 2021, sous l’égide d’Emmanuel Macron, et de la vice-secrétaire générale de l’ONU Amina Mohammed, en présence des représentants d’une quarantaine d’États et d’organisations internationales. En partenariat avec les Nations unies, Paris espère lever 350 millions de dollars lors de cette visioconférence à laquelle participeront les présidents libanais, Michel Aoun, américain, Joe Biden, égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, le roi Abdallah II de Jordanie ainsi que de nombreux ministres.

La conférence vise à répondre aux «nouveaux besoins» d’urgence de la population, estimés à 350 millions de dollars par les Nations unies, dans les domaines alimentaires, de la santé, de l’éducation et de l’assainissement de l’eau,

Les visites du président français à Beyrouth sont diversement appréciées :

– Daher Joseph d’ESSF «Macron en visite impériale au Liban», «Emmanuel Macron a effectué une nouvelle visite au Liban, pour chercher à consolider le rôle de la puissance impérialiste française dans la région».

– Jean-Pierre Pélaez de bvoltaire.fr le traite de «Président Tartarin». «Tel n’est pas le cas de nos Présidents Tartarin qui parlent, parlent, discourent et lancent des messages de fermeté, déclarent avec leurs ministres qu’ils n’ont pas peur mais ne font strictement rien».

– René Backmann de Médiapart : «La diplomatie selon Macron, le coup d’éclat permanent» «Au Liban, il a fait l’humiliante démonstration d’une arrogance impuissante et d’une coupable ignorance de la géopolitique régionale».

Mais ne lui imputons pas tous les torts. Dans «une lettre au Président Macron», Hassan Hamadé, écrivain et chercheur libanais décrit, le 16 décembre 2020, le péché originel de la France.

Monsieur le Président, «c’est la France qui a grandement participé à l’élaboration de notre système politique, depuis que le comte Robert de Caix de Saint-Aymour a usé de son scalpel pour tailler dans la géographie levantine cette très belle carte de l’entité libanaise républicaine. Pour plus de clarté, permettez que je vous rappelle une vérité de l’époque en citant, mot pour mot, un extrait du rapport intitulé «L’IMBROGLIO SYRIEN» et rédigé par le diplomate et écrivain français Paul Bonardi, assistant de Robert de Caix, émissaire français au Levant dans l’entre-deux-guerres, délégué à la Commission permanente des Mandats de la SDN et Secrétaire général du général Henri Gouraud, le Haut-Commissaire de la France au Levant de 1919 à 1923 : «Robert de Caix, esprit subtil et délié mais trop enclin à faire des expériences sur les corps sociaux, conçut une organisation qui parut d’abord, et paraît encore à certains Français et aux maronites, assez adroite. Il bâtit le long de la Méditerranée un rempart inébranlable, ou prétendu tel, aux assauts du Panarabisme. Mais il donna au Liban des terres qui appartenaient à l’État de Damas. Dans l’État Libanais chrétien, il enferma des musulmans, des ennemis, et il en enferma tant que leur chiffre faillit passer en importance celui des Maronites. Il suscita ainsi un irrédentisme propice à toutes les effervescences.
Après la lune de miel apparaissait au ciel des épousailles la lune rousse…

Les Libanais du moins étaient satisfaits. Ils offrirent à Robert de Caix de donner son nom à une rue de Beyrouth.

– Mon nom à une rue, dit Robert de Caix. Donnez-le plutôt à une impasse !»

La conférence économique pour le développement du Liban ou CEDRE 2018  

Les visites du président Macron à Beyrouth, ont été faites dans le cadre de la conférence d’aide au Liban d’avril 2018. Les efforts du président Macron en faveur du Liban remontent à cette date, lorsqu’il avait réuni la «conférence économique pour le développement du Liban par les réformes et avec les entreprises» (la CEDRE).

La conférence s’était tenue en présence de responsables officiels de 50 États et organisations internationales, du chef du gouvernement libanais de l’époque Saad Hariri, d’une délégation ministérielle libanaise et de représentants du secteur privé et de la société civile libanaise. Un plan global de réformes et d’investissements pour le développement des infrastructures de base, préparé par les autorités libanaises, avait été présenté lors de cette conférence. La mise en application de ce plan (de 11 milliards de dollars) avait toutefois été conditionnée par l’adoption d’une série de réformes qui n’ont jamais vu le jour.

Le 1er septembre 2020, le chef de l’État français était retourné à Beyrouth et avait établi une feuille de route avec le président libanais et les chefs de file des principales formations politiques du pays, y compris un représentant haut placé du Hezbollah. La feuille de route soumise aux leaders présents, était axée sur les points suivants : formation d’un gouvernement de mission regroupant des ministres totalement indépendants des partis politiques ; mise en application par ce gouvernement d’une série de réformes structurelles qui permettraient de débloquer l’aide économique de 11 milliards de dollars.

Aucun chef de parti ne s’oppose à cette proposition. Le Hezbollah soutient l’initiative française mais souligne qu’il refuse trois points qui ne figurent pas dans la feuille de route :

– Toute éventuelle discussion autour de son arsenal militaire.

        – Toute enquête internationale sur l’explosion du 4 août.

        – L’organisation d’élections législatives anticipées.

Shraga Blum rappelle que la France veut «ménager le Hezbollah». «En clair, ne pas trop chatouiller l’organisation terroriste chiite qui verrouille le pays ni son suzerain iranien. Malheureusement, il apparait que pour Paris comme pour d’autres capitales, le Hezbollah fait toujours partie de la solution au Liban alors qu’il en est le principal problème».

Pour Rosana Boumonsef d’annahar.com.lb aussi «la ligne ouverte entre Paris et le Hezbollah est évidente, c’est ce qui a jusqu’à présent empêché le parti d’être unanimement classé au niveau de l’Union européenne comme organisation terroriste, avec ses aspects politiques et militaires, ainsi que la modération et le manque de sérieux des menaces françaises».

Pour conclure, donnons la parole à Michel Hajji Georgiou «Le Liban confronté à la terreur du Hezbollah» (Mondafrique 3 juillet 2021). «Or les problèmes du Liban sont effectivement légion, mais ils se résument tous à un problème de fond, l’absence de l’État… : État inachevé par le manque de solidarité citoyenne, lui-même rendu impossible par la persistance de relations de clientèle ancestrales entre l’individu et le chef politique communautaire local… État empêché par l’existence d’une milice relevant directement des Gardiens de la révolution en Iran, force d’occupation perverse car formée de citoyens libanais ayant prêté allégeance à un projet politique étranger, et qui a réussi en une vingtaine d’années à contrôler tous les leviers institutionnels du pays et à modifier son identité culturelle au point d’en faire rien de plus qu’une plaque tournante du blanchiment d’argent et du trafic en tous genres, y compris de drogue, un point d’ancrage milicien pour la déstabilisation de tous les pays arabes et un berceau du terrorisme international… le Hezbollah contrôle tous les rouages lui permettant de continuer à dominer le Liban et le pousser vers l’abîme, avec la complicité d’une classe politique démissionnaire ou rachitique».   

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