Comment l’histoire se rappellera-t-elle de Benjamin Nétanyahou, le dirigeant dont la longévité politique a déjà dépassé celle de David Ben Gourion, et dont le nom suscite une haine irrationnelle et quasiment religieuse ? Il est évidemment trop tôt pour répondre pleinement à cette question et pour dresser un bilan de l’ère Nétanyahou. Je me contenterai donc ici de donner quelques indications en vue d’un futur bilan, qui ne pourra être établi qu’après la guerre.
1.
Tout d’abord, si notre petit pays est capable aujourd’hui de subir sans flancher la guerre terrible déclenchée le 7 octobre par le Hamas, le Hezbollah et l’Iran, c’est parce que nous avons une économie forte et résiliente. Rien que pour cela, il faut être reconnaissants à B. Netanyahou, le Premier ministre qui a libéralisé l’économie d’Israël et en a fait une véritable puissance économique (Menahem Begin avait en son temps, tenté lui aussi de libéraliser l’économie, mais son bilan a été bien plus mitigé en la matière). La doctrine militaire de la guerre courte, développée à l’époque de Ben Gourion, tenait aussi aux contraintes imposées par la petitesse du pays et par ses ressources financières limitées. Face à la “guerre longue” imposée par l’Iran (selon sa théorie mise en pratique à l’époque de la guerre Iran-Irak par l’ayatollah Khomeiny), seul un Israël économiquement fort, tel qu’il est devenu sous les mandats de Netanyahou, avait une chance de résister.
2.
Les qualités d’un dirigeant politique se mesurent dans l’épreuve. Churchill n’était pas encore Churchill avant le blitz sur Londres. Nous avons tendance à croire que son destin était tracé d’avance, du palais de Blenheim où il est né en 1874, jusqu’au palais de Westminster et au 10 Downing Street… Cette illusion rétrospective, propre à celui qui contemple l’histoire, nous fait oublier qu’aucun homme n’est d’emblée lui-même ; le drame de la vie est précisément, comme le dit lumineusement Ortega Y Gasset, cette “lutte frénétique avec les choses pour obtenir d’être effectivement celui que nous sommes en projet” (1).
A cet égard, Netanyahou vit aujourd’hui ce qu’Albert Cohen appelait la “grande heure de sa vie” (“Tout homme naît et se forme pour une grande heure de sa vie”, écrivait Cohen dans son beau livre Churchill d’Angleterre). Est-il à la hauteur de cette heure dramatique ? Je le crois fermement. Comme de nombreux électeurs de droite, j’ai souvent été déçu par Netanyahou et j’ai parfois manifesté contre lui (au moment des accords d’Hébron notamment). Mais dans l’heure très difficile que traverse Israël, Netanyahou est l’homme de la situation et on frémit à imaginer ce que deviendrait notre pays s’il était dirigé aujourd’hui par un Lapid, ou même par un Gantz.
3.
Dans l’interview qu’il a donnée hier soir à la 14e chaîne, Netanyahou est apparu dans toute sa grandeur de dirigeant politique, confronté aux moments les plus difficiles qu’Israël a traversés depuis 1973, et peut-être depuis 1948. Il a répondu avec sincérité aux questions d’Ynon Magal, sans se dérober et sans se complaire dans des formules toutes faites. Son visage impassible et ses propos fermes mais mesurés traduisaient la gravité de l’heure, à la veille de l’affrontement au Nord qui s’annonce difficile. Face aux cris haineux des manifestations de Kaplan et de Césarée, face aux discours défaitistes des chefs de l’opposition et des écrivains pacifistes, Netanyahou a reconnu être atteint par les insultes contre sa famille (“je suis un être de chair et de sang”) tout en étant renforcé par la mission qui l’anime.
Oui, malgré les erreurs tragiques et malgré la “Conceptsia”, dont il a partagé les présupposés illusoires (sans doute nourris par un establishment militaire et sécuritaire dont la responsabilité reste encore à déterminer), Netanyahou est bien aujourd’hui le dirigeant qu’il faut pour Israël, dans ses heures sombres. Il incarne – quoi qu’en pensent ses détracteurs – la force et la résilience de notre petit et grand peuple. Son nom ne sera pas, comme l’a prétendu un manifestant haineux, effacé de l’histoire d’Israël, mais bien au contraire, inscrit au fronton de notre Panthéon national.
Pierre Lurçat
(Article publié initialement sur Israël Magazine)
1. José Ortega y Gasset, Le Spectateur, Rivages Poche 1992.