Par Francis MORITZ – Temps et Contretemps
A l’heure où tous les médias et les hommes politiques occidentaux évoquent la guerre en Ukraine, les exactions du régime iranien, les évènements sur la planète semblent indiquer qu’il y a de bons dictateurs et d’autres qui ne le sont pas. Le maître de Damas n’aura pas à suivre un chemin de croix et ne sera pas crucifié. C’est la rumeur qui bruisse dans diverses chancelleries. En 2011, la plupart des pays arabes avaient rompu avec le régime, sauf quelques-uns (Oman, Qatar). Les signaux de reprise se font récemment moins rares à travers des contacts entre pays de la Ligue arabe, Turquie, Russie et le dirigeant syrien.
Malgré les protestations des organisations syriennes des Droits de l’homme, il semble que le retour du dictateur n’est plus qu’une question de temps et d’opportunité diplomatique ou politique. N’oublions pas que les combats font rage depuis 2011 et que les pays occidentaux si prompts à hausser le ton, à s’émouvoir et à mettre le président syrien au pilori diplomatique, n’ont rien fait de probant pour mettre fin au conflit, pour épargner la vie de milliers d’innocents. Des informations en provenance de Turquie et de pays du Golfe indiquent que le dirigeant syrien est sur le chemin d’une renaissance, malgré les crimes commis.
Des commentaires récents de dirigeants turcs et arabes indiquent que Bachar el Assad est en passe d’être réhabilité à petits pas. Malgré les accusations de crimes de guerre, les obstacles à l’acceptation internationale tombent. Nombreux sont les organisations ou responsables politiques qui voudraient voir les auteurs réels ou supposés de crime de guerre traduits devant la Cour pénale internationale de la Haye. L’autorité palestinienne à l’instar de divers médias a cru bon d’en faire partie, pour accuser Israël et détourner l’attention de son incurie et sa déliquescence.
Très officiellement le ministre Émirati des Affaires étrangères a rencontré le président syrien. Recep T. Erdogan, ennemi de longue date d’Assad, et a déclaré qu’il pourrait bientôt rencontrer le président syrien et ses alliés russes, après la récente réunion tripartite de Moscou avec participation turque.
L’évolution régionale
Pendant des années, la Syrie a bénéficié du soutien Émirati. Oman a maintenu des relations malgré la guerre. Fin décembre 2018, les Émirats et Bahreïn ont rouvert leur ambassade, fermée en 2011. Depuis fin 2018, le soutien au gouvernement d’Assad s’est progressivement renforcé. On notera au passage la grande amitié naissante d’Israël avec les Émirats et l’intérêt que cette relation pourrait avoir dans ses rapports futurs avec Damas.
Avant 2011, Erdogan et Assad se rencontraient régulièrement. En septembre 2021 les ministres de l’Energie d’Égypte, du Liban, de Syrie décidaient que le Liban importerait du gaz égyptien et de l’électricité jordanienne via la Syrie. C’est une réhabilitation de facto. Courant octobre 2021, le souverain jordanien, qui avait appelé Assad à démissionner en 2011, lui téléphone, or les deux pays avaient repris une collaboration sécuritaire et économique depuis quelques mois.
En vue de la dernière réunion de la Ligue arabe en Algérie, l’Irak, le Liban, Oman, l’Algérie demandaient la réintégration de la Syrie, mais sans obtenir satisfaction. Elle aurait eu valeur de blanchiment mais reste soumise au feu vert des États Unis, de l’Europe et de la Turquie l’allié caméléon, membre de l’Otan, très présente dans le conflit syrien. La récente réunion à Moscou, pourrait apporter un changement. La Russie fait pression pour une amélioration des relations turco-syrienne. La Turquie veut absolument maintenir sa position dans le nord, dans le secteur d’Idlib soumis à des bombardements incessants du régime et aux secteurs qualifiés de zones de sécurité par Ankara.
Les diplomates peuvent se rencontrer mais le dernier mot restera aux militaires en matière sécuritaire. Le régime d’Assad continue de bombarder des civils à Idlib, tenue par l’opposition. Ce dernier territoire contrôlé par les rebelles en Syrie, est protégé par la Turquie, tout comme d’autres zones plus petites du nord de la Syrie. Il est peu probable que la Turquie veuille abandonner ces secteurs de sitôt.
Les prochaines élections turques de juin
Erdogan veut utiliser la guerre en Syrie comme un argument sécuritaire qui renforcerait sa popularité mise à mal en raison de la crise économique que traverse le pays. Pour ce faire, il justifie sa position en arguant de la présence de groupes syro-kurdes considérés par son gouvernement comme terroristes. Or on ne peut imaginer une quelconque réconciliation entre la Turquie et ces groupes, quand on sait comment Ankara fait tout pour éliminer le parti kurde de la vie publique. Ce qui semble beaucoup moins perturber les opinions publiques et médias internationaux que les élections démocratiques israéliennes. Mais il y a aussi la question des 3,5 millions de réfugiés syriens en Turquie que de nombreux électeurs souhaitent voir repartir. Leur départ servirait la propagande turque.
Le monde libre voulait éliminer Assad. Il est toujours aux commandes dans un monde arabe en pleine évolution. Son opposition est inexistante. Reste qu’une très large partie du pays est détruite. N’avait-on jamais imaginé que l’Arabie Saoudite achèterait du pétrole russe pour ensuite le revendre ? C’est inédit et pourtant réel.
On peut imaginer deux niveaux de réconciliation, régional avec les pays arabes et l’autre plus complexe avec le monde occidental. Les pays de l’UE ne sont pas tous sur la même position. Certains ont des liens anciens avec Damas. De plus la question des migrants via ces pays est désormais une préoccupation majeure. L’exploration gazière a presque débouché sur un conflit armé. A moins de concessions syriennes importantes, les sanctions pourraient être levées. Mais on ne s’attend à rien de tel. L’impact de la guerre en Ukraine a rassemblé l’UE et Washington, donc pas de réconciliation possible avec un allié de la Russie. «Nous ne normaliserons pas et nous ne soutenons pas d’autres pays qui normalisent leurs relations avec le régime d’Assad», a déclaré le porte-parole du département d’État américain le 5 janvier.
Ce qui pourrait changer la situation
Le 9 janvier, le Conseil de sécurité de l’ONU a approuvé à l’unanimité la résolution 2672 prolongeant la fourniture d’aide humanitaire transfrontalière au nord-ouest de la Syrie pour six mois. Beaucoup ont été surpris par l’approbation de Moscou. Au fil des ans, la Russie a menacé à plusieurs reprises de mettre son veto aux résolutions précédentes, l’Occident a largement cédé à ses exigences. De ce point de vue, le vote de ce mois semble être un signe de la volonté de Joe Biden de maintenir sa position face à la Syrie malgré le défi russe en Ukraine. Moscou n’a même pas eu recours à sa tactique habituelle d’abstention lors du vote final pour signaler son mécontentement face au mécanisme. La volonté russe d’approuver cette nouvelle prolongation est plus en lien avec l’avancement de la normalisation entre la Turquie et le régime d’Assad qu’avec l’aide aux civils, qui resteront otages des exigences russes si rien n’est fait avant le prochain vote cet été (6 mois).
L’aide transfrontalière restera liée aux exigences politiques et sécuritaires croissantes de la Russie en Syrie, Cela résulte des efforts continus de Poutine pour réunir le président turc et le président syrien pour un sommet ce printemps. Moscou reste attaché à son objectif principal en Syrie : normaliser les relations internationales ou, au moins, régionales avec le régime syrien.
L’accord de la Russie est un bon exemple. À l’époque, certains ont salué le résultat comme une victoire significative de l’administration Biden. Pourtant, Moscou n’a approuvé le mécanisme qu’après avoir obtenu des concessions substantielles sur l’application des sanctions aux projets de «relèvement rapide» en Syrie et à d’autres initiatives qui profitent au régime d’Assad. On n’emploie pas encore le terme de réintégration. De fait, l’allégement des sanctions et une normalisation plus large restent aujourd’hui les priorités de la Russie. Contrairement à une opinion largement diffusée par les médias et les dirigeants politiques, Moscou est loin d’être mis hors-jeu. La partie n’est pas terminée et on comprend d’autant mieux l’extrême prudence du gouvernement israélien de ne pas créer de tension avec l’ours du Kremlin qui pourrait s’avérer contre-productive pour les intérêts supérieurs du pays.