Des années plus tard, devenu l’heureux « aba » – papa – de sept enfants puis l’heureux « saba » – grand-père – de petits-enfants « qu’il ne compte plus » comme il s’amuse à le dire, sa guitare est de nouveau sa meilleure amie : paroles et musique rythment sa vie – pour le plaisir des notes, du partage, et par désir de transmission.
Paroles et musique riment avec Tora, comme une respiration vitale.
Alors comment expliquer cet itinéraire étonnant ? Et comment comprendre ce retour aux sources, mâtiné de spiritualité ?
La Tunisie en l’occurrence, où le petit Gilbert – Aharon naît au sein d’une famille traditionaliste : la fratrie comporte en tout huit frères et sœurs.
« Mes parents n’étaient pas «religieux» : on se réunissait pour le Chabbath bien sûr, on faisait les fêtes de Pessa’h, Roch Hachana, Kippour – mon papa allait à la synagogue, on jeûnait -, mais nous n’étions pas de grands pratiquants », se souvient Aharon Sitbon.
Âgé de 12 ans lorsque sa famille émigre de Tunisie vers la France, il découvre l’ambiance hexagonale via une escale à Marseille de deux ou trois mois, avant que Paris ne devienne leur nouveau point d’ancrage.
« Je suis allé à l’école laïque [comme la grande majorité des jeunes Juifs à l’époque*, ndlr]. Pour mes parents, ce qui comptait c’est que je passe le brevet, le bac… En réalité, j’ai été influencé très tôt par la musique, la guitare, la chanson : à l’âge de 17-18 ans, je ne pensais qu’à ça [rires] ! Au grand dam de mes parents… ».
Jouant de la guitare et essayant de composer, Gilbert – Aharon rêve de devenir chanteur *: « C’était les années 60, une période fascinante ! Le lancement du yé-yé, Eddy Mitchell, Johnny Halliday, à l’époque Richard Antony… Nous étions éblouis ! De la « musique pure », extrêmement spontanée : il y avait quelque chose de vrai » …
Gilbert participe à plusieurs concours, jusqu’à ce qu’il en remporte un : il peut ainsi enregistrer son premier 45-tours, chez Barclay !
Le jeune chanteur se produit en tournée et sa présence scénique lui permet de vendre de nombreux disques après les concerts. « J’avais un bon impresario, Roland Bismuth, qui s’occupait également d’Yves Duteil ou de Michel Fugain ». Juste avant que « Les bals populaires » ne le propulsent au firmament, Michel Sardou lui écrit même une chanson.
En 1977, Gilbert – Aharon est invité par Philippe Bouvard à la télévision et passe à l’Olympia avec six chansons, en première partie d’Herbert Pagani *.
Mais, à mesure que les 45-tours – et un 33-tours -, s’enchaînent, ses pseudonymes changent : Gilbert Mathis ; Gilbert Sainroch ; Gilles d’Avray ; Gilbert Sitbon. Le jeune homme se perd un peu dans ce tourbillon d’identités et dans un univers qu’il qualifie aujourd’hui de « monde du mensonge ».
Vers 30 ans, il croise sur son chemin des Loubavitch, qui lui demandent de mettre les tefilines. Il commence à s’interroger… et en conclut que le Créateur, Qui a agencé le règne minéral, végétal, animal et humain, ne peut avoir mis les hommes et les femmes au monde, « uniquement pour gagner leur vie, partir en vacances et acheter de belles voitures ! ».
Prenant conscience de la nechama juive et du don de la Tora, il se consacre à l’étude et ponctue ses journées « de travail et de Tefila » comme l’enseigne le Rabbi de Loubavitch.
Il se lance alors dans la vente de « tout ce qui a trait à la pratique : les tableaux, les mezouzoth, les tefiline », en provenance d’Israël, tandis que sa femme travaille dans une banque.
Gilbert devient pleinement Aharon. Et cesse totalement de chanter et de jouer de la guitare… durant 30 ans !
Mais une mélodie, ne le quitte pas : celle de la chanson de Michel Fugain, « Comme un soleil ». Une mélodie envoûtante, « magique ». A l’instar d’autres artistes, Nana Mouskouri l’a reprise.
« J’ai cherché partout des paroles qui puissent correspondre à cette musique, sans rien trouver. Jusqu’à ce qu’une nuit à Paris, je me réveille à 3 h du matin après avoir entendu en rêve une voix me dire : « Adon ‘Olam ». J’ai pris ma guitare, ai ouvert la page où figure Adon ‘Olam et me suis mis à chanter : toutes les paroles correspondaient à chaque note de musique ».
Aharon s’envole en Israël et y rencontre l’un des arrangeurs du grand chanteur ‘hassidique Avraham Fried : à l’écoute du morceau, celui-ci est conquis ! Il trouve quelqu’un pour faire le clip et Aharon enregistre le single, qui est produit par un autre grand, le musicien Yuval Stoppel. Le « résultat » est magnifique…
Des qualités vocales incroyablement préservées. Une expression revient régulièrement chez Aharon Sitbon : « C’est un cadeau de D’ ».
« Cadeaux de D’ », le fait de se sentir, à 70 ans, comme s’il en avait 40 de moins, ou que ses capacités vocales de jeune homme se soient miraculeusement conservées.
« Je n’avais pas réalisé que ma voix n’avait pas changé », avoue le chanteur et homme pieux. S’il s’est efforcé de ne pas fumer, de ne pas boire d’alcool et de ne pas « veiller des nuits entières », cela n’a jamais été dans cette perspective.
Sa manière d’interpréter a indéniablement évolué, gagnant en nuances, en émotion et puissance conjuguées – même si le jeune Gilbert Sitbon était loin d’être dépourvu de sensibilité.
Autre privilège, celui de voir son fils David, devenir chanteur : « Il a repris le flambeau pour mon plus grand bonheur », confie son père. Se produisant lors d’événements ou de fêtes, David Sitbon est un interprète connu dans le monde ‘hassidique.
Galvanisé par le succès d’Adon ‘Olam, mais aussi par ses retrouvailles avec les musiciens, les arrangeurs et les studios d’enregistrement, Aharon Sitbon enregistre un deuxième single, puis un troisième, qui finissent par constituer un album : Shéhéchiyanou.
Les paroles des chansons – qu’il a majoritairement composées -, sont issues des Tehilim ; écrites par les arrangeurs Yitsy Barry et Eli Klein (déjà présents pour Adon ‘Olam), d’autres chansons sont également inspirées des livres et de la liturgie. Le duo Barry – Klein produit par ailleurs l’album*.
On peut y découvrir – entre autres – les titres Shomer Israël (poignant), l’entraînant A’hacké Lo en duo avec son fils David (dans une ambiance musicale et visuelle proche du « peace and love »), ou encore Ani Maamin, beau et épuré.
Le sentiment d’harmonie qui en émane, est sans doute lié à deux plénitudes : celle du monde et de l’être humain « habités » par le Créateur, telle qu’elle est célébrée dans les prières juives ; celle de l’artiste Aharon Sitbon, accomplissant la ’avodath Hachem (service de D’).
Ce qui explique l’excellent accueil qui lui est réservé : Aharon Sitbon a déjà « refait quelques scènes par-ci par-là, en Israël et en France », participant également à des émissions de radio.
« Je reconnais avoir eu tendance à minimiser l’importance de la musique. Or elle apporte la joie – et D’ nous veut ainsi ! Mon but est désormais de chanter pour toucher les « nechamoth », les âmes juives : en écoutant ces chansons, avec ma voix, les gens ressentent la foi. C’est extraordinaire comme mission ».
Aharon Sitbon dispose d’un don rare : celui de relier notre âme, à une dimension qui dépasse l’être humain. Il suffit de se laisser emporter par sa voix…
Lecteur vidéo
Source hassidout.org