La Bible, le Coran et la Science n’est pas le genre de livre qu’on s’attend à voir cité dans un manuel destiné aux collégiens. C’est cette découverte surprenante qui a poussé Olivier B., père d’une jeune fille scolarisée en 6èmedans un établissement public d’Arles (Bouches-du-Rhône), à contacter Marianne.
En feuilletant Fleurs d’encre, le manuel de français de sa fille, il s’est arrêté sur le chapitre « Au commencement du monde », qui ambitionne d’introduire les collégiens à la manière dont les hommes ont cherché à expliquer la création de l’univers. La page 187 est consacrée à l’islam.
Y figurent plusieurs sourates du Coran, traduites en français. « Votre Seigneur est D’ Qui créa les cieux et la terre en six jours » ; « [D’] est celui qui créa la nuit, le jour, le Soleil et la Lune » ; « [D’] a créé deux éléments de couple, le mâle et la femelle, d’une petite quantité de liquide, quand elle est répandue« … Sur la base de ces extraits, les élèves de sixième sont invités à répondre à des questions, notamment à déterminer « quels éléments [leur] paraissent décrire la réalité« . Mais ce qui interpelle, c’est la source à partir de laquelle les auteures du manuel, Chantal Bertagna et Françoise Carrier, ont tiré les sourates du Coran : La Bible, le Coran et la Science, un ouvrage publié par un certain Maurice Bucaille aux éditions Seghers, en 1976.
La page 187 du manuel « Fleurs d’encre »
Un best-seller chez les islamistes
Peu connu du grand public, Bucaille est une véritable star dans une partie du monde musulman. « Quasiment toutes les bibliothèques des mosquées de Grande-Bretagne » possèdent son best-seller dans leur collection, rapporte par exemple le quotidien britannique The Telegraph. Ancien médecin de la famille du roi Fayçal d’Arabie, né en 1920 et décédé en 1998, Maurice Bucaille défend dans son livre-phare une thèse à même de séduire les islamistes de tout poil : selon lui, le Coran a anticipé toutes les découvertes scientifiques modernes et se trouve en conformité avec elles, tandis que la Bible chrétienne serait truffée d’erreurs flagrantes.
La position est farfelue : le Telegraph souligne ainsi que Bucaille, fasciné par la religion musulmane, a interprété les textes religieux de manière biaisée pour prouver ses dires. Par exemple, « la première ligne du Coran, ‘Louange à Allah, Seigneur des mondes’ (‘Lord of the worlds’ en anglais, ndlr), se réfère au royaume terrestre et au Paradis ; mais Bucaille utilise ‘mondes’ pour en conclure que le Coran parle des planètes et des galaxies ». D’après Bucaille, d’autres passages du livre saint de l’islam anticipent la découverte de l’embryon et même… l’arrivée de l’Homme sur la lune. « Sans surprise, de telles assertions ont été ridiculisées par les scientifiques et les théologiens sophistiqués », conclut le Telegraph.
Hachette Éducation plaide l’ignorance
Aux Etats-Unis, le Wall Street Journal partage l’analyse, évoquant une influence si phénoménale du médecin français qu’il a donné son nom à une doctrine : le « bucailléisme« , « équivalent musulman du créationnisme chrétien« . La thèse de Bucaille, censée prouver la supériorité de l’islam sur le christianisme en se basant sur la science, a logiquement conquis une certaine influence, y compris parmi les fidèles de l’islam vivant dans les pays occidentaux, et permis « d’attirer des convertis à l’islam tout en conservant la foi de jeunes musulmans attirés par l’Occident« . Même s’il a été accueilli « avec dédain par la plupart des universitaires« , le bucailléisme « réconcilie les conflits que les étudiants pouvaient ressentir entre leurs croyances religieuses et des carrières séculaires d’ingénieurs ou d’informaticiens« , souligne le quotidien. On retrouve en effet des citations du livre de Maurice Bucaille sur bon nombre de sites prosélytes de référence, comme Islamicity ou Oumma.com.
Alors, comment un auteur aussi controversé a-t-il pu se nicher dans les pages d’un manuel de français de collège ? Chez Hachette Éducation, qui édite le livre, on fait valoir que l’extrait reproduit à la page 187 de Fleurs d’encre constitue simplement une traduction en français de sourates du Coran. Il est vrai que la thèse fantaisiste de Maurice Bucaille n’est pas directement évoquée dans le manuel, qui se contente de référencer le livre dont elle est issue. La maison d’édition assure ne pas être au courant du caractère polémique de l’ouvrage de Maurice Bucaille, et avoir simplement crédité une source de traduction. Reste que parmi les nombreuses transcriptions disponibles du Coran en français, il en existait de bien moins sulfureuses à citer… Hachette Education a finalement précisé à Marianne que la référence de la traduction serait modifiée à l’occasion de la prochaine réimpression de l’ouvrage.
Source www.marianne.net