Au-dessus du peuple…

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Editorial du Yated Nééman, 6 septembre 2023.

Le président de la commission constitutionnelle de la Knesset, Simcha Rotman, n’est pas un novice en politique. Quand il s’est tourné vers la présidente du tribunal de la Cour suprême ‘Hayouth, afin qu’elle se disqualifie de discuter de la question du caractère raisonnable, il n’attendait certainement pas au moment de déposer sa demande qu’il recevrait une réponse affirmative. Il connait bien le « sens de l’humour » de la présidente Hayouth, qui se sent placée « au-dessus du peuple » – à l’image de la plupart de ses collègues au travail – et elle croit sincèrement qu’elle est en mesure de juger objectivement d’un sujet dans lequel elle a déjà exprimé sa position ferme et fixe au préalable.

La raison de la démarche de Rothman est l’attaque féroce de la présidente d’il y a quelques mois, lorsqu’elle a réagi au programme du ministre de la Justice Levin. Elle l’a qualifié de d’« attaque sans limites contre l’establishment juridique du pays, comme s’il s’agissait d’un ennemi contre lequel il faut se précipiter ». Dans ses paroles dites lors d’une réunion de juges, elle a parlé ouvertement de la question d’annulation de la cause de raisonnabilité (par laquelle la Cour suprême se permet d’annuler grand nombre de lois décidées par la Knesseth, simplement parce qu’elles ne sont pas « raisonnables » aux yeux des juges tout puissants) et a attaqué avec virulence la loi proposée. Dans tout système juridique qui fonctionne selon les normes acceptées, un juge qui rend son avis sur la question concrètement, avant même que toutes les parties se soient présentées à lui, est censé être disqualifié pour en discuter. Après tout, son opinion est connue d’avance et il n’est plus nécessaire de mener une discussion de fond sur le sujet. Dans ce contexte, Rotman a demandé à ‘Hayouth de se disqualifier.

Mais, comme prévu, et probablement Rothman le savait d’avance, ‘Hayouth a rejeté la demande de se disqualifier. Elle n’a pas amené cette question devant d’autres juges pour en discuter et pour l’examiner, comme on aurait pu s’attendre à ce qu’elle fasse, mais elle décidé d’elle-même, après avoir soigneusement frotté ses cavités et ses cellules cérébrales,
pour arriver à la conclusion évidente qu’il n’y avait aucun obstacle à ce qu’elle siège lors de la discussion sur le même sujet au cours de laquelle elle a exprimé son opinion.

‘Hayout a justifié son refus en disant : « Mes paroles lors de la réunion de l’association ont été dites dans le cadre des devoirs qui m’étaient imposés en tant que chef de la Cour suprême et ils ont reflété ma profonde préoccupation quant au préjudice dans l’indépendance du pouvoir judiciaire émanant du plan présenté par le ministre ». En d’autres termes, elle a la responsabilité en tant que présidente de la Cour suprême de prendre position à l’égard d’une question très vivement controversée, même si des juges « normaux » n’ont pas à s’exprimer à un tel égard.

Elle a ajouté : « Dans ce que j’ai dit, j’ai fait allusion entre autres à la question de l’annulation du motif raisonnable qui était inclus dans le plan présenté par le ministre et les difficultés qu’il comporte. A l’époque, aucun projet de loi n’avait été déposé sur la table de la Knesset sur le sujet, et de toute façon il n’y avait aucune procédure pendante devant moi ». ‘Hayout admet qu’elle a exprimé sa ferme opinion contre l’annulation de la cause de la raisonnabilité mais comme cela était avant que la loi ne soit acceptée et qu’aucune plainte n’avait été présentée, sa position personnelle ne la rend pas inadaptée à s’occuper de ce dossier de manière objective et pesée, comme il convient à une personne qui porte le fardeau du système judiciaire sur ses épaules.

Comme mentionné, Rothman ne pensait pas un seul instant que le juge Hayout, sur le point de se retirer de la cour, va se priver du plaisir de siéger dans le débat sur une loi fondamentale, et peut-être songe-t-elle aussi à œuvrer pour perpétuer son héritage
pour les générations futures, faisant que même une loi fondamentale édictée également par la Knesset peut être jugée et éventuellement rejetée. Même si le président à la retraite
Aharon Barak a qualifié une loi fondamentale d’inébranlable et a déclaré
que le tribunal n’est pas autorisé à le disqualifier mais seulement à juger selon les critères qu’il prévoit, ‘Hayout va vouloir obtenir le privilège de fixer que dorénavant ce sera aux juges de déterminer quelle loi fondamentale a le statut de « constitution » et quelle loi fondatrice est possible de disqualifier, comme une des lois les plus insignifiantes que la Knesset a promulguées…

La situation actuelle selon laquelle il n’y a pas de contrôle judiciaire sur les juges est une situation inacceptable, dont on n’a d’exemple dans aucun autre pays démocratique au monde. Le principe de la séparation des pouvoirs est conçu précisément dans ce but, pour permettre qu’une autorité peut contrôler l’autorité correspondante : un juge peut superviser la Knesset, mais dans la même mesure la Knesset peut superviser l’autorité responsable et entraver tout écart des pouvoirs établis par la loi. Ce principe a été violé et malmené par le tribunal et ouvre le chemin vers un chaos constitutionnel total. Quand une juge, aussi haute soit-elle, pense qu’elle est au-dessus de la loi et qu’aucun organisme ne peut juger de son droit de participer à une discussion juridique, elle fait que la discussion juridique n’a aucune signification juridique et que l’organisme qu’elle dirige représente un système dictatorial qui vide de sens la démarche démocratique appelée « élections ».

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