« Et tout ustensile ouvert, sur lequel il n’y a pas de couvercle attaché, est impur. » (Bamidbar 19,15)
Rachi : « Et tout ustensile ouvert » – Le texte parle ici d’un récipient en terre cuite, lequel ne peut pas devenir impur par une cause extérieure, mais seulement intérieure. Si la fermeture de son couvercle n’est pas parfaitement ajustée, il peut devenir impur. Si en revanche il porte un « couvercle attaché », il reste pur (‘Houlin 25a).
Le rav Sofèr (Ouba’harta ba ‘haïm), explique par allusion que cet ustensile en question fait référence à la bouche de l’homme.
Comme le dit Rachi, si « la fermeture de son couvercle n’est pas parfaitement ajustée, il peut devenir impur. » En d’autres termes notre bouche, ne pas peut dire ce qu’elle veut, quand elle le veut, elle doit être mise sous contrôle. Mis à part l’interdit notoire et gravissime du lachone hara’ que la Tora nous défend explicitement, nous allons plutôt nous pencher sur la manière de parler et de s’exprimer. Nous devons nous efforcer à parler avec honneur et distinction, et non pas de manière grossière ou familière.
Rachi nous enseigne (Beréchith 2,7) que ce qui va différencier l’homme de l’animal, ce sera la « parole ». Cette faculté de s’exprimer verbalement élève l’homme au-dessus de l’animal et lui impose la responsabilité d’employer son intelligence au service d’Hachem.
L’homme est obligé pour exister de s’exprimer. C’est en parlant qu’il arrive à créer un contact avec le monde extérieur et avec Hachem. Tandis que l’animal n’a aucun problème existentiel.
Il n’est pas préoccupé de savoir ce que la vache ou le mouton d’à côté pense de lui. C’est pour cela qu’il ne produit que des sons. À son niveau, c’est amplement suffisant.
Le Rambam (Hilkhoth Déot 2;4) écrit : « Il faut cultiver constamment le silence et éviter de parler, sauf de la connaissance ou des choses nécessaires pour le bien-être physique… On ne doit pas parler longuement, même des [sujets concernant ses] besoins physiques. C’est à ce propos que nos Sages nous instruisent: « Quiconque parle abondamment amène la faute ». Ils dirent également : « Je n’ai rien trouvé de mieux pour l’homme que le silence. »
Il est bon de souligner que le « Michné Tora » du Rambam n’est pas un livre de Moussar, mais un véritable ouvrage de Halakha, de lois à appliquer dans la pratique.
Dans son commentaire sur la Michna (Avoth 1 ;16), le Rambam classe la parole en cinq catégories:
1) la parole relative à la mitsva (discussion de sujets de Tora ou Tefila);
2) la parole interdite (le faux-témoignage, les commérages, les malédictions […]);
3) celle qui doit être méprisée (les discussions inutiles et les qu’en-dira-t-on);
4) celle qui est désirable (la discussion des valeurs morales ou intellectuelles);
5) la parole permise (les sujets nécessaires à notre vie quotidienne).
Le Ari zal enseigne que la parole est la vitalité de l’homme pour son corps et son âme, et qu’en parlant des paroles futiles on réduit son séjour sur terre. En effet, le ‘Hida (Péta’h ‘énayim Nedarim 20a ; Maryit Ayin ‘Houlin 79a) nous enseigne que la vie d’un homme est déterminée par un nombre de mots qu’il prononcera au cours de sa vie, un peu comme le principe de la carte prépayée, où l’on sait exactement combien de temps on pourra parler. Chaque homme reçoit un crédit de mots, et une fois ce crédit épuisé, il sera rappelé dans le monde de Vérité. C’est pour cela que l’on doit être prudent dans nos paroles, multiplier les paroles futiles abrège la vie !
Cependant, cela n’est vrai que pour les paroles vaines et futiles, car notre compteur ne se verra pas diminué pour les paroles de Tora prononcées. Au contraire, ces paroles nous rajouteront de la vie, comme il est dit « Qui augmente l’étude de la Tora, augmente le nombre de ses années » (Avoth 2;7) ; ou encore « C’est grâce à moi [la Tora] que se multiplieront tes jours et que te seront dispensées de longues années de vie » (Michlé 9,11), la Tora donne la vie, dans ce monde-ci et celui de l’au-delà. Ainsi l’homme sage fera attention de ne parler que lorsqu’il y a une nécessité (catégorie 5), car on peut perdre sa vie, pour avoir parlé pour ne rien dire.
Lorsque l’on prononce des paroles (catégorie 1) de Tora ou de prière avec notre bouche, notre âme se délecte. Tout le temps où l’on continue à multiplier des paroles pures, l’esprit de sainteté descend et s’imprègne en nous, comme nous l’enseigne l’écriture : « L’Esprit de D’ a parlé en moi alors qu’il plaçait ses mots sur ma langue » (Chemouel 11.23.2) Les lettres que l’on prononce s’associent les unes aux autres pour former des mots, qui s’associeront à leur tour pour former des versets… et des paroles de Tora. Par ce biais, toutes ces paroles deviennent investies de plus en plus de spiritualité à chaque instant. Ainsi, la forme de notre âme est sublimée par la forme des paroles prononcées.
Par contre, le Zohar Hakadoch (Tikouné Zohar 117b) nous enseigne que lorsqu’une personne exprime de mauvaises paroles (catégorie 2-3-4), telles que du Lachon Hara’, mensonges ou encore des grossièretés, elles déracinent les paroles pures qui forment son âme et détériorent le canal de communication avec Hachem. Cela crée une séparation entre la personne et son Créateur [que D’ nous en préserve]. Ce même canal de communication se constitue dorénavant de mauvaises paroles, qui intensifient l’impact des forces négatives et impures. L’âme se déracine peu à peu de sa source bénéfique et éternelle ; et se met au contraire à adhérer, à travers les mauvaises paroles, aux forces de l’impureté. Comme Rachi l’explique dans notre verset initialement cité, « Si par conséquent la fermeture de son couvercle n’est pas parfaitement ajustée, il peut devenir impur. »
Ainsi lorsque notre langage est parfait, c’est un signe que notre âme est parfaite. De bonnes paroles, qui sont issues de la sainteté et de la pureté, nous indiquent que notre âme est pure, façonnée à l’image de l’Éternel. Mais en proférant des mensonges ou des vulgarités, c’est un signe certain que nous avons transgressé son alliance. Ces propos injurieux sont l’expression des forces du mal qui se sont installées et s’expriment à travers notre bouche. Le ‘Hovoth Halevavoth fixe que « La bouche est la plume du cœur. »
La bouche teste, pour reconnaître l’homme, s’il est encore à l’image du Créateur. Le Ba’al Shem Tov pouvait voir toute la vie d’un homme, du début jusqu’à sa fin rien qu’en entendant sa voix. Les paroles de l’homme sont suffisantes pour indiquer à chaque instant son état mental et spirituel.
Soyons vigilant aux paroles qui sortent de notre bouche, comme nous le sommes pour les labels de cacherouth des aliments que l’ont fait rentrer dans notre bouche. Grâce à cela, un esprit de sainteté revêt celui qui s’efforce de garder sa langue, nous dit le Zohar (Parachat ‘Houkat). Le rav Israël Salanter zatsal disait à ce sujet : « Avant de dire quelque chose, l’homme est maître de ses paroles et il a la possibilité de les prononcer ou non. Mais une fois qu’il les a énoncées, il ne peut plus revenir dessus, même s’il regrette de les avoir émises. Elles sont déjà sorties de sa bouche et il ne peut plus se reprendre. »
En gardant notre langue, nous préservons notre vie, et nous perfectionnons le principal outil dont nous disposons pour servir Hachem.
En évitant de l’utiliser sans justification, nous assurons la qualité des mots que nous prononçons en étudiant, en priant, ainsi ils pourront s’élever vers Hachem.
Rav Mordékhai Bismuth
Extrait de la « Daf de Chabat », disponible sur http://www.ovdhm.com
Si « Chaque homme reçoit un crédit de mots, et une fois ce crédit épuisé, il sera rappelé dans le monde de Vérité. » alors « notre compteur ne se verra pas diminué pour les paroles de Tora prononcées. Au contraire, ces paroles nous rajouteront de la vie » contredit la notion d’un crédit initial qui va en s’épuisant.