37 ans après l’attentat de la rue des Rosiers, à Paris, l’ancien patron du renseignement français a reconnu devant un juge avoir négocié un accord avec le groupe responsable de la tuerie.
« On a passé une sorte de deal verbal en leur disant : Je ne veux plus d’attentat sur le sol français et en contrepartie, je vous laisse venir en France, je vous garantis qu’il ne vous arrivera rien. » Cette phrase choc, lâchée le 30 janvier dernier, dans le bureau du juge chargé d’enquêter sur l’attentat de la rue des Rosiers, émane d’un octogénaire. Mais pas n’importe lequel. Visage cerclé de rides, mais mémoire intacte, Yves Bonnet, ancien patron de la Direction de la surveillance du territoire (DST), s’épanche sur l’attaque qui a ensanglanté un établissement juif au cœur du Marais en 1982, quelques mois avant sa prise de fonction à la tête du service secret.
Pour la première fois, l’ancien maître espion reconnaît devant la justice l’existence d’un accord secret entre la France et Abou Nidal, un groupe terroriste potentiellement responsable de la tuerie. Un pacte oral ignoré des nombreux enquêteurs et magistrats qui se sont succédé durant trois décennies sur ce dossier insoluble. Sur procès-verbal, Yves Bonnet confirme un « engagement donné aux représentants d’Abou Nidal de ne pas être poursuivis en France ».
Le groupe Abou Nidal est à l’époque un mouvement palestinien armé, dissident du Fatah de Yasser Arafat, qui commet des massacres en France et à l’étranger. Il y a 37 ans, le 9 août 1982, il est 13h15 lorsque au moins trois terroristes armés de pistolets-mitrailleurs sèment la mort dans le restaurant Jo Goldenberg, figure du quartier juif de Paris. Trois minutes plus tard, après avoir lancé une grenade et tiré en rafale, ils prennent la fuite. Six morts et 22 blessés gisent au sol. Très tôt dans l’enquête, la responsabilité du groupe Abou Nidal est évoquée. Les balles retrouvées sur place sont issues de modèles Maszynowy wz. 63, une signature de l’organisation extrémiste.
«Des attentats en Italie, ça ne me regardait pas»
Malgré ces fortes suspicions, l’ancien patron de la DST accepte d’organiser une rencontre clandestine avec le groupe Abou Nidal peu après l’attentat. « Ce sont mes collaborateurs qui les ont vus à l’époque, détaille Yves Bonnet devant le juge. Je ne vais pas les dénoncer. C’est moi qui prends la responsabilité de l’accord. » Le haut fonctionnaire retraité ne détaille pas l’identité des terroristes vus par ses collaborateurs mais, selon lui, il ne s’agissait pas des tueurs de la rue des Rosiers, mais de leurs « comparses ».
Le pacte est scellé : les membres d’Abou Nidal réfugiés à l’étranger sont autorisés à « venir en France, sans risque » d’être poursuivis ; en contrepartie, ils s’engagent « à ne se livrer à aucune action violente ». La DST aurait même permis à deux terroristes de l’organisation de rendre visite en prison, en France, aux deux auteurs du meurtre d’un représentant de l’Organisation de libération de la Palestine à Paris.
« Et ça a marché, il n’y a plus eu d’attentats à partir de fin 83, en 84 et jusqu’à fin 1985 », se satisfait Yves Bonnet en audition, qui réfute le terme de « collaboration » et préfère celui de « non-agression ». « Après qu’ils commettent des attentats en Italie, par exemple, ça ne me regardait pas tant qu’il n’y avait rien sur le sol français. »
Quel crédit accorder à cette confession tardive, 37 ans après ? Contacté par le Parisien, Yves Bonnet assume ce pacte, destiné selon lui à « assurer la sécurité des Français ». Pour tenter de se forger une opinion, le magistrat instructeur a également convoqué, les 6 et 14 février derniers, Jean-François Clair et Louis Caprioli, deux ex-responsables de la lutte antiterroriste à la DST. Mais tous deux se sont réfugiés derrière « le secret-défense » concernant l’accord. « Je ne nie pas qu’il y a eu des contacts [avec Abou Nidal], ce serait mentir », s’est contenté déclaré le premier. La présidence de la République était-elle au courant de cet accord secret ? Yves Bonnet affirme qu’il « disait tout » à Gilles Menages, alors directeur de cabinet de François Mitterrand, mais qu’officiellement « l’Elysée ne savait rien »…
«Cela devient une affaire d’Etat»
Les victimes, elles, se disent choquées que la France ait pu négocier avec les responsables de l’attentat de la rue des Rosiers. « Si un tel accord occulte a été passé, cela devient une affaire d’Etat, estime Me Avi Bitton, avocat de parties civiles. Il faut qu’une enquête parlementaire soit créée et pas uniquement sur le dossier de la rue des Rosiers. De tels pactes ont-ils été noués avec d’autres organisations ? C’est possible lorsqu’on voit les agissements de l’entreprise Lafarge en Syrie … » « C’est une honte, tonne aussi Yohann Taieb, proche d’une victime. Imagine-t-on les services secrets négocier aujourd’hui avec Daech ? »
Source www.leparisien.fr