ATTENTAT AU COUTEAU A PARIS – Khamzat Azimov, l’auteur de l’attaque au couteau perpétrée samedi 12 mai à Paris était un Français naturalisé, né en Tchétchénie, fiché S pour ses « relations », a-t-on appris ce dimanche. Une information qui interroge sur la présence d’une « filière » tchétchène supposée en France, où plusieurs personnes originaires de cette région du Caucase ont déjà été condamnées.
Khamzat Azimov a été naturalisé français en 2010. Sans antécédent judiciaire, il était cependant connu des services de renseignements pour avoir fréquenté le mari d’une femme partie en Syrie, selon France2. L’attentat a d’ailleurs été revendiqué par le groupe Etat Islamique, qui a présenté l’homme comme un de ses « soldats ».
Une revendication qui a poussé la présidente du Front National Marine Le Pen à réclamer un éclairage sur la « filière » par laquelle l’assaillant était arrivé en France.
Ce n’est pas la première fois que des Tchétchènes attirent l’attention des autorités françaises pour leurs liens avec le terrorisme. En 2006, vingt-sept membres, de ce qui était alors présentée comme « la filière tchétchène », ont été condamnés à des peines allant jusqu’à 10 ans d’emprisonnement pour des projets d’attentats sur le sol français. Et en 2015, moins d’un mois après l’attentat contre Charlie Hebdo, six hommes tchétchènes ont été écroués dans une enquête sur une filière d’envoi de jihadistes en Syrie.
Selon Charles Pellegrini, ancien chef de l’Office central de la répression du banditisme et consultant en analyse de risques, interrogé par franceinfo ce dimanche, ce n’est pourtant pas tant la « nationalité du terroriste » qui pose problème que le fait qu’il ait « rejoint un courant religieux radical qui s’oppose aux valeurs occidentales ».
« Il y a un communautarisme radicalisé en France. Qu’on soit Tchétchène ou d’ailleurs, l’important c’est d’appartenir à cette communauté », affirme ainsi le consultant pour qui « avec toutes les précautions d’usage, il n’y a pas de filière tchétchène. C’est un hasard ou un concours de circonstances qui a fait que c’est un Tchétchène qui a commis cet attentat ». En revanche, selon l’expert, de manière générale, « le nombre d’adeptes du salafisme augmente et c’est un sas théologique d’entrée dans le jihadisme ».
L’ennemi russe
Par ailleurs, en dehors des frontières françaises, le président de la Tchétchénie, le très autoritaire Ramzan Kadyrov, adoubé par Vladimir Poutine, n’a cessé depuis son arrivée au pouvoir en 2007 de promouvoir un islam de plus en plus radical et qui semble parfois contraire aux directives du Kremlin.
Et au-delà de l’islam rigoriste prôné par l’actuel président, cette radicalisation se fait également en opposition aux autorités russes. Après les deux guerres de Tchétchénie qui ont opposé les indépendantistes aux armées russes, de nombreux Tchétchènes se sont enrôlés dans des groupes terroristes du Moyen-Orient, y voyant l’occasion de prendre position contre le pouvoir russe. « Une mouvance tchétchène est séduite par le discours jihadiste. Certains nourrissent une telle détestation de Vladimir Poutine et de la Russie que tous les ennemis de ce pays sont les bienvenus », analysait ainsi dès 2015 pour franceinfo Louis Caprioli, ancien sous-directeur chargé de la lutte contre le terrorisme à la Direction de la surveillance du territoire (DST).
La « division caucasienne » de l’EI
Un temps aux côtés d’Al-Quaïda et de divers groupes terroristes du Moyen-Orient, les Tchétchènes radicalisés ont ainsi rejoint en masse le groupe Etat Islamique après la proclamation du califat en 2014, comme le soulignait déjà Slate en 2016. Fin 2015, Daech revendiquait ainsi entre 2000 et 3000 combattants du Caucase et d’Asie de l’Est dans ses rangs. Ces derniers constituaient d’ailleurs la part la plus importante des combattants étrangersvenus gonfler les rangs de l’organisation terroriste.
Au sein du groupe terroriste, ils occupent une place importante, à l’image d’Omar dit « le Tchétchène », un des principaux chefs militaires du groupe tué en Irak en 2016. Ancien militaire de l’armée russe, l’homme, reconnaissable à sa longue barbe rousse, était d’ailleurs devenu le symbole de l’arrivée des Caucasiens (région qui comprend la Tchétchénie) parmi les rangs de l’EI.
Si la Tchétchénie est donc devenue un des réservoirs des jihadistes depuis une dizaine d’années, il convient toutefois de préciser que les ressortissants tchétchènes sont essentiellement des combattants qui agissent sur les théâtres d’opération du Moyen-Orient. En 2015, Alain Chouet, ancien chef de service de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), affirmait ainsi à franceinfoque les jihadistes tchétchènes n’avaient « pas d’intérêt à projeter des attentats en dehors du terrain d’opération. » « La question se posera quand le groupe Etat islamique disposera de moins de ressources, et sera tenté de mener des actions à l’extérieur », affirmait-il à l’époque.
Un constat qui semble se confirmer avec l’attaque de Paris, bien que l’appartenance de Khamzat Azimov à l’EI n’ait pas encore été confirmée par les autorités françaises. Dimanche en fin de journée, l’État islamique a publié une vidéo sur laquelle un jeune homme présenté comme l’auteur de l’attentat prête allégeance à l’organisation jihadiste.
« La cible prioritaire des Tchétchènes ce n’est pas les Occidentaux. De ce point de vue là, il y a un petit tournant », a affirmé l’expert français Mathieu Guidère, ajoutant que cette nouveauté peut être liée « à leur incapacité aujourd’hui à mener des actions sérieuses contre les Russes en Syrie et en Russie ».
« Une place importante dans le jihad d’hier et d’aujourd’hui »
Selon l’experte française Anne Giudicelli, la directrice de la société de conseil Terrorisc, le profil de l’assaillant présumé de l’attaque de Paris a pu intéresser les recruteurs jihadistes justement par ce qu’il avait des racines tchétchènes. « La réputation des Tchétchènes, c’est d’être forts, fidèles et violents. Ils ont une place importante dans le jihad d’hier et d’aujourd’hui », a-t-elle expliqué.
« Les Tchétchènes en Syrie et en Irak sont globalement des cadres reconnus pour leur efficacité opérationnelle, en général bien formés », renchérit Mathieu Guidère, ajoutant que ces brigades tentaient notamment de recruter en France.
La Russie des années 2000 avait déjà payé un lourd tribut au moment des attentats perpétrés par des rebelles islamistes dans des métros, des trains, des aéroports ou des prises d’otages qui se sont soldées par des bains de sang comme dans un théâtre de Moscou en octobre 2002 et dans l’école de Beslan en septembre 2004 quand plus de 330 otages, dont 186 enfants, avaient péri.
Les autorités tchétchènes tentaient néanmoins dimanche de minimiser le lien entre l’instable Tchétchénie et l’attaque de Paris. De tels crimes « ne connaissent pas de nationalité, de religion, de patrie ou de drapeau », a ainsi déclaré le ministre de l’Information Djamboulat Oumarov. Le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov a cependant affirmé que « toute la responsabilité » de cette attaque, qui a fait un mort, revenait à la France, où a grandi l’assaillant présumé.
Source www.huffingtonpost.fr