Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps
Assassinat de Manar Hajaj et de sa fille Hadra
Il ne se passe pratiquement pas de semaine, voire de jour, sans que la presse ne relate un nouveau meurtre dans l’une des villes arabes de l’État d’Israël. En 2021, il y a eu plus de 100 morts tombés dans des attentats. Depuis le début de l’année, on déplore au moins 75 assassinats d’Arabes en Israël, victimes d’un homicide. Règlements de compte entre familles rivales, trafic de drogue ou d’armes, mais aussi assassinats pour préserver l’honneur de la famille, la violence est de mise dans les rues des localités arabes israéliennes. Le 6 septembre, une mère israélo-arabe et sa fille de 14 ans ont été assassinées à Lod. Manar Hajaj et sa fille Hadra ont été abattues sous l’immeuble résidentiel où elles habitent après être revenues de courses au supermarché. L’époux, exilé à l’étranger, a des liens avérés avec la pègre. Par ailleurs, le journaliste arabo-israélien indépendant Nidal Agbaria, a été abattu le 4 septembre 2022 à Um al-Fahm.
Ces flambées de violence perdurent depuis plusieurs mois pour deux raisons essentielles. D’une part, par une action très active et avec des moyens énormes, la police israélienne, aidée d’unités d’élite de l’armée, a pratiquement éradiqué les organisations mafieuses juives dans les villes d’Israël. Les mafieux ont été soient emprisonnés soit contraints à l’exil à l’étranger. Mais quelques irréductibles tueurs se sont installés dans les villages arabes où ils se sont sentis en sécurité mais en dérangeant les mafieux déjà établis pour rendre les villages en zones de non-droit. S’ensuivit une guerre des gangs qui a fait des ravages parmi les truands. D’autre part, selon un rapport de la Knesset de 2020, quelque 400.000 armes illégales circulent dans les communautés arabes.
Les assassinats sont le fait du crime organisé qui s’attaque soit aux mafieux eux-mêmes soit à leurs familles comme cela se fait en Sicile, en faisant souvent des morts, victimes de balles perdues. Les villes arabes les plus concernées sont Tamra, Um al-Fahm et Jisr az-Zarqa dont les habitants se sont habitués à entendre les balles siffler, notamment la nuit. Toutefois, des assassinats commandités ont lieu en plein jour, montrant à quel point la situation s’est dégradée.
Mais en restant optimiste, la situation peut évoluer dans le bon sens si la population arabe accepte de collaborer avec la police. Elle n’ose le faire car elle est soumise à des pressions et surtout à des menaces. Pourtant quand elle collabore dans le cadre d’opérations, la police a réussi à confisquer d’énormes arsenaux dans les villes arabes, et à appréhender 65 suspects sans que la population ne réagisse négativement. La présence policière a également été sensiblement renforcée dans de nombreuses villes arabes. La confiance de nombreux citoyens arabes dans la police israélienne est extrêmement faible mais le député Mansour Abbas veut éradiquer le mal et mettre fin aux zones de non-droit sachant qu’aucun motif politique ne peut être attribué à ces assassinats.
La police israélienne est mal reçue dans les villages arabes et sa présence reste suspecte pour la population. Elle subit des attaques de la part des habitants quand elle cherche à intervenir ce qui la pousse à laisser les Arabes régler leurs problèmes en cercle limité. Par ailleurs, la loi du silence règne qui interdit toute résolution des meurtres. Les villages arabes sont soumis aux lois des gangs alors que paradoxalement les populations se plaignent que les forces de l’ordre soient incapables d’éradiquer ces puissantes organisations. Deux clans de mafieux règnent sur les villages arabes, dont les chefs Mabrouk Abdel Khader et Malek al Hariri, alias cheikh Malek.
La police n’a pas les moyens d’intervenir contre des éléments lourdement armés qui n’hésitent pas à user du feu en pleine rue et qui bénéficient de la complicité d’une population apeurée. Alors elle laisse les affaires se régler entre clans. Pourtant près de 700 policiers musulmans ont été recrutés et de nombreux nouveaux postes de police ont été construits dans les villages arabes. Mais, par crainte de représailles, la population arabe ne collabore pas quand elle ne protège pas les tueurs. Avec l’aide de l’armée, la police doit utiliser les grands moyens comme elle l’avait fait au cours de la dernière décennie pour neutraliser tous les grands truands juifs israéliens. Les policiers avaient reçu des armes lourdes, obtenu le renfort de recrues issues des commandos d’élite de l’armée, et avaient développé des méthodes d’information semblables à celles des terroristes. Cela avait poussé le crime organisé lourdement armé mais vaincu, à se déplacer dans les zones arabes pour continuer à organiser les rackets et faire chanter les gens.
L’actuel gouvernement de coalition israélien, qui est soutenu par un parti arabe islamiste, a promis d’agir. C’est d’ailleurs l’un des objets de la participation du parti Ra’am au gouvernement. Son leader Mansour Abbas a exigé des moyens car les crimes violents ont atteint des niveaux records dans les communautés arabes. Il a obtenu un budget quinquennal doublé pour le secteur arabe d’Israël, près de 35 milliards de shekels (10 milliards d’euros). Les investissements dans les infrastructures arabes, la santé, le bien-être, l’emploi, l’éducation, l’enseignement supérieur, l’aménagement des logements et des quartiers, le renforcement des collectivités locales, l’innovation et la haute technologie, l’encouragement de l’emploi et de l’entrepreneuriat, le tourisme et les infrastructures d’eau, d’assainissement et la police, détourneraient la population arabe des mafieux qui économiquement s’étaient substitués aux autorités locales en octroyant des prêts à la population. Ra’am veut dorénavant que la population arabe se tourne vers les banques pour obtenir des prêts avec garanties gouvernementales.
Par ailleurs, l’accord de coalition allouera 2,5 milliards de shekels à la lutte contre le crime et la violence dans la société arabe israélienne. Pour Aida Touma Suleiman, députée arabe israélienne : «Nous voulons que le gouvernement israélien et les personnes responsables combattent économiquement ces groupes organisés, car s’ils ne détruisent pas l’infrastructure économique sur laquelle ils se construisent, rien ne changera ». D’autres activistes arabes appellent les Juifs et les citoyens arabes à s’unir pour lutter contre le crime et les meurtres : « C’est très important pour nous, parce que nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’un problème de la société arabe ou palestinienne à l’intérieur d’Israël. C’est tout le problème israélien. Toute la société israélienne doit être engagée. Nous avons tout le temps dit que si vous pensez que la violence et les meurtres ne seront qu’à l’intérieur de la société arabe, vous vous trompez : ce sera bientôt aussi dans la société juive ».
Aujourd’hui les Arabes sont demandeurs. Ils demandent d’impliquer le Shin Bet dans l’action contre les mafieux. La police est la seule à pouvoir endiguer la violence qui sévit dans la communauté arabe à condition que des actions soient d’abord entreprises pour mettre fin aux trafics d’armes illégales. Si Israël a réussi à éradiquer la mafia juive, elle est aussi en mesure de neutraliser les caïds arabes s’il y a une volonté politique parmi les dirigeants arabes qui souhaitent aujourd’hui ramener le calme dans leurs villages. La police, avec l’aide de Tsahal, a décidé d’utiliser des drones armés pour combattre la mafia.
1 commentaire:
Georges Kabi a dit…
La violence meurtrière arabe a deux sources principales: les conflits intercommunautaires, ou inter-familiaux ou inter-bandes de brigands. Mais il y a aussi une violence intrinsèque qui a sa source dans une sphère traditionnelle, la razzia. Les tribus bédouines sont naturellement en guerre les unes avec les autres, mais elles vivent littéralement sur le dos des habitants de villes, et sur l’économie israélienne dans sa totalité.
Jacques, tu as cité la ville de Jisr el Zarka, sur la cote méditerranéenne à coté d’une agglomération juive somptueuse, Césarée (où Bibi possède une villa). Jisr el Zarka a une population bédouine d’origine soudanaise et vivait sur le dos des agriculteurs juifs de Zikhron Ya’acov, mais comme tout le monde y trouvait son compte, Jisr el Zarka est restée neutre pendant la Guerre d’Indépendance. Pour les remercier, le gouvernement de l’époque y abattit sa main de fer et limita les frontières du village, l’un des plus denses et des plus pauvres d’Israël. Ainsi Jisr el Zarka est coincée entre l’un des kibboutzim les plus riches d’Israël, Maagan Mikhaël, et la cite ultra-luxueuse de Césarée. Je ne sais pas comment cela est supportable, à part le fait qu’étant Bédouins, ils sont engagés dans l’armée et dans la police, principales sources de revenus. Des villages comme celui-là, il y en a d’autres, dans le nord, le centre et surtout dans le sud d’Israël, à peu près perdu par l’Etat d’Israël. La bas, il faudrait y mettre toute l’armée et les services spéciaux pour reconquérir le Néguev perdu. Quel politicien se risquerait-il à l’entreprendre ?