Alors que le ton monte entre Riyad et Téhéran, la conjonction d’intérêt entre l’État hébreu et le royaume wahhabite se confirme.
« Lorsque les Israéliens et les Arabes sont d’accord sur une chose, il faut que le monde soit attentif », déclarait Benjamin Netanyahu, Premier ministre israélien, le 5 novembre. Prononcée dans le cadre des débats suscités par le centenaire de la déclaration Balfour, cette phrase traduit un changement géopolitique majeur dans la région.
C’est l’une des premières fois, dans l’histoire, qu’un dirigeant israélien vante une prétendue « alliance » avec des pays du Golfe, comme l’Arabie saoudite. La cause de ce rapprochement n’est pas nouvelle : car c’est bien l’Iran chiite, ennemi à la fois de l’État hébreu et du royaume sunnite, qui en est la cible.
La démission surprise, annoncée samedi dernier depuis Riyad, du Premier ministre libanais Saad Hariri a été comme un détonateur de plus dans ce conflit, entraînant une dangereuse escalade verbale entre les deux puissances régionales. M. Netanyahu, allié fortuit voire potentiel du prince héritier Mohammad ben Salmane (MBS) dans ce bras de fer, ne peut que profiter du conflit entre Téhéran et Riyad.
Ce dégel officieux entre Israël et l’Arabie saoudite n’est pas nouveau. Car si les deux pays n’ont pas d’ambassades ou de liens diplomatiques, ils partagent une (courte) histoire de coopérations secrètes autour de dossiers précis.
L’Arabie saoudite a souvent tenu une position ambivalente quant au conflit israélo-palestinien : elle n’a jamais participé aux guerres arabes contre Israël, tout en soutenant la cause palestinienne. Riyad a longtemps été l’un des principaux soutiens de l’OLP et par la suite de l’Autorité palestinienne, et a souvent critiqué les interventions militaires israéliennes à Gaza. Toutefois, les années 1990-2000 ont vu un changement de paradigme, surtout après l’arrivée au pouvoir d’Abdallah ben Abdelaziz al-Saoud. Menant une politique de réformes modérées, il établit des liens officieux avec Israël.
En 2002, Abdallah, alors prince héritier et homme fort du royaume, propose une « initiative de paix arabe », adoptée lors du sommet arabe de Beyrouth, et qui est toujours de mise. Ce texte, qui prévoit la reconnaissance de l’État hébreu par les Arabes en échange du retour aux frontières de 1967, aurait permis un début de normalisation des relations, si Israël avait accepté le plan.
Une décennie plus tard, Riyad aurait donné son feu vert tacite à l’opération Bordure protectrice de l’été 2014 à Gaza contre le Hamas. Il a même été accusé de financer une partie de l’armement israélien. Selon David Hearst, journaliste au Guardian, le Mossad et les services secrets saoudiens se seraient souvent rencontrés afin de coopérer autour de la destitution des Frères musulmans en Égypte un peu auparavant.
Quoi qu’il en soit, les signes d’une coopération entre les deux pays se sont multipliés depuis que MBS est devenu l’homme fort du royaume. L’ancien général saoudien Anwar Eshki aurait rendu visite à l’ex-ambassadeur Dore Gold, proche de Benjamin Netanyahu, à plusieurs reprises en 2015 et 2016 à Jérusalem. À l’occasion, il aurait rencontré le général israélien Yoav Mordechai, soulignant la convergence d’intérêts stratégiques entre Israël et le royaume wahhabite. Et en mai dernier, l’Arabie saoudite proposait une normalisation des relations avec Israël en échange d’avancées sur le dossier palestinien.
Pousser l’Iran à la faute
L’escalade des tensions entre l’Arabie saoudite et l’Iran a grandement favorisé ce rapprochement en coulisse. Les deux puissances régionales s’accusent mutuellement de nourrir le terrorisme et de déstabiliser la région, et se livrent une guerre par procuration en Syrie, au Yémen et au Liban. À chaque fois que les tensions s’accroissent, l’alliance tacite se renforce davantage.
Face à l’Iran, une coopération est tout à fait plausible, selon Olivier da Lage, journaliste et professeur à l’Institut de relations internationales et stratégiques à Paris : « Israël et l’Arabie saoudite coordonnent leurs stratégies afin de plonger l’Iran et ses alliés dans le piège de l’escalade. La démission de Hariri, accompagnée d’une violente rhétorique anti-Iran, en fait partie. L’Arabie saoudite cherche à pousser l’Iran à la faute. En provoquant Téhéran, les Saoudiens espèrent le rendre responsable d’une réaction démesurée qui justifierait une intervention militaire ou un isolement diplomatique. »
La publication, lundi, d’un câble diplomatique par la chaîne israélienne Channel 10 semblerait mettre en évidence cette coordination. Le ministère israélien des Affaires étrangères aurait demandé à ses ambassadeurs de « démarcher les pays hôtes afin de souligner le danger que posent l’Iran et le Hezbollah au Liban » et à « faire du lobbying pour l’Arabie saoudite ».
La nature d’une telle coopération reste floue, mais l’ancien ambassadeur américain en Israël Daniel B. Shapiro a écrit mardi dernier, dans un article paru dans le quotidien israélien Haaretz, que l’Arabie saoudite cherche à provoquer une guerre au Liban : « Les dirigeants israéliens préparent la prochaine guerre contre le Hezbollah depuis 2006. Le renforcement de l’influence iranienne en Syrie et au Liban indique qu’elle sera menée pour diminuer la menace iranienne aux frontières israéliennes. Israël et l’Arabie saoudite sont pleinement alignés à ce sujet, et les Saoudiens veulent profiter de la volonté israélienne de cibler les troupes pro-iraniennes. » Étant donné qu’il serait exclu que l’Arabie saoudite frappe directement le Hezbollah au Liban, c’est l’État hébreu qui pourrait se charger de le faire.
Plus nuancé, Ali Nejad, associé à l’école Kennedy de l’Université de Harvard, juge une guerre improbable. « À la fois le Hezbollah et Israël ont, depuis la dernière guerre de 2006, perfectionné leurs armements, rendant une confrontation militaire bien plus coûteuse. Israël, ayant tiré les leçons de sa défaite en 2006, n’agira pas de manière prématurée, même si l’Arabie saoudite le lui demandait. »
Si une alliance militaire israélo-saoudienne contre l’Iran n’est donc pas imminente, nul doute que les relations entre les deux pays sont tonifiées par la crise. Mais une prise de contacts officielle reste improbable, du fait de l’impopularité d’Israël parmi la population saoudienne. Olivier da Lage résume : « La volonté américaine, véhiculée par les présidents Bush et Trump, de voir une alliance naître entre ses deux meilleurs alliés au Moyen-Orient reste un rêve éveillé. Ce n’est pas demain que le drapeau israélien flottera à Riyad. »
Source www.lorientlejour.com