Le président Emmanuel Macron a souhaité, mercredi soir au dîner du Crif, que des mesures soient prises contre des associations appelant à «la haine», «la discrimination» et «l’action violente». Il a nommément visé le Bastion social, le Bood & Honor Hexagone et Combat 18.
En visitant le cimetière profané de Quatzenheim, Emmanuel Macron avait promis des «actes» contre l’antisémitisme. Plus que des mots, le président souhaitait «punir». Mercredi soir, au dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), il a appelé à tracer des «nouvelles lignes rouges par des mesures concrètes et des décisions que la loi permet aujourd’hui de prendre». Comme premier exemple d’action, Emmanuel Macron a proposé de dissoudre le «Bastion social, Blood & Honor Hexagone et Combat 18 pour commencer».
• Qui sont ces trois groupes visés?
Le Bastion social a été fondé en 2017 à l’initiative d’anciens membres du syndicat étudiant d’extrême droite GUD, aidés de quelques militants royalistes. Il s’inspire d’un exemple italien, la CasaPound, dont les membres se présentent comme les fascistes du IIIe millénaire, assumant ouvertement une partie de la politique menée par Mussolini.
Ce qui distingue la CasaPound d’autres groupuscules néofascistes, c’est sa volonté d’utiliser des méthodes jusqu’alors réservées à l’extrême gauche, telles que l’ouverture de squats, l’aide sociale ou l’investissement dans le champ culturel. C’est ce que tente de reproduire en France le Bastion social qui, idéologiquement, se réclame du nationalisme révolutionnaire, c’est-à-dire de la grande famille des néofascismes, militant pour une troisième voie hors du communisme et du capitalisme.
Le Bastion social a ouvert des locaux dans une grande moitié est du pays: Aix-en-Provence, Angers, Chambéry, Clermont-Ferrand, Lyon, Marseille et Strasbourg. Il pratique des actions d’aide aux sans-abri en appliquant la ‘‘préférence nationale » ou des nettoyages de lieux publics. Plusieurs de ses membres ont été impliqués et parfois condamnés pour des actions violentes et des bagarres.
Blood & Honor et Combat 18 répondent à une tout autre radicalité. Le Blood & Honor concerne un mouvement international de skinheads néonazis, fondé au Royaume-Uni dans les années 1980. Le nom s’inspire directement de l’une des devises des Jeunesses hitlériennes, «Blut und Ehre». Le B&H a été fondé afin de promouvoir la musique d’extrême droite, le Rock against communism (RAC) par la diffusion d’un magazine éponyme et l’organisation de concerts. Il a peu à peu étendu son influence à travers les différents pays occidentaux, dont la France. Outre son idéologie, le mouvement fait régulièrement parler de lui à la rubrique faits divers, notamment en raison de la violence inhérente au mouvement skinhead. Aujourd’hui, il organise un ou deux concerts en France, fédérant un faible nombre d’individus.
Combat 18 est le bras armé du Blood & Honor. Le chiffre 18 fait ici référence aux initiales d’Adolf Hitler (A étant la première lettre de l’alphabet et 8, la huitième). Au moment où cette section était active, elle se revendiquait comme une organisation terroriste et prête à engager des actions violentes.
• Que leur reproche-t-on?
Interrogé sur les motivations de ces dissolutions, le ministère de l’Intérieur ne nous avait pas répondu au moment de la publication de cet article. Dans son discours, Emmanuel Macron a dénoncé «des associations ou groupements qui par leur comportement nourrissent la haine, promeuvent la discrimination ou appellent à l’action violente».
Stéphane François*, spécialiste des mouvements skinheads, s’interroge sur le bien-fondé de ces dissolutions. «Si dans les années 1990 le Blood & Honor fut l’un des groupes les plus violents qui soient, aujourd’hui il n’existe plus, ou quasiment plus, en France. Idem pour Combat 18. À ce niveau-là, ce n’est pas une perte de vitesse, c’est une disparition.» Notons que dans le passé, des profanations de cimetières juifs ont été le fait de skinheads: ce fut le cas à Carpentras, en 1990.
Quant au Bastion social, c’est au contraire l’organisation d’extrême droite qui a le vent en poupe en ce moment. Cependant, si leur discours est très axé sur les idées identitaires, il n’est en revanche pas du tout centré sur l’antisémitisme. Le Bastion s’était également engagé aux côtés des «gilets jaunes».
Dans les faits, le gouvernement devra justifier ces dissolutions avant de les prononcer. L’article L212-1 du code de la sécurité intérieure définit sept critères pouvant les justifier:
– Provoquer des manifestations armées dans la rue
– Former une milice privée ou un groupe de combat
– Porter atteinte au territoire national ou la forme républicaine du gouvernement
– Tenter de faire échec à la légalité républicaine
– Promouvoir la collaboration
– Provoquer à la discrimination et à la haine en fonction de critères raciaux ou religieux
– Se livrer ou organiser des attentats terroristes
• Pourquoi ces dissolutions ne seront pas efficaces
Comme à chaque fois, les dissolutions prononcées par le gouvernement servent avant tout à lancer un message politique à l’opinion publique. Il s’agit montrer par des actes concrets l’action de l’exécutif. En 2013, après le décès du militant antifasciste Clément Méric dans une bagarre avec des skinheads, le gouvernement Ayrault avait décidé de dissoudre le groupuscule Troisième voie, dont étaient issus les responsables du décès du jeune homme.
Une dissolution peut avoir un effet, même sur organisation non-officielle. Le nom, le logo, les comptes bancaires ne peuvent plus être utilisés. Dans le cas contraire les contrevenants risquent une peine de prison et une forte amende. Un militant dont l’organisation avait été dissoute nous confiait il y a quelques mois que ses activités politiques, auxquelles il n’avait pas renoncé, s’en trouvaient très perturbées pendant quelque temps.
Pourtant, sur le long terme, tous les observateurs des milieux radicaux doutent de l’efficacité de ce type de mesures. Il est impossible de dissoudre des liens d’amitié ou des idées politiques. Parmi les organisations dissoutes, certaines survivent depuis des dizaines d’années. L’Action française, qui a été dissoute en 1936, dans les faits, existe toujours. L’actuel Parti nationaliste français est l’héritier de l’Œuvre française, qui prenait la suite du Parti nationaliste, qui lui-même était la résurgence de Jeune nation, tous dissous.
* Stéphane François est spécialiste de l’extrême droite et des contre-cultures. Il a publié dernièrement Un XXIe siècle irrationnel?, analyse pluridisciplinaire des pensées «alternatives», aux éditiosn du CNRS. Il prépare actuellement ouvrage sur l’occultisme nazi, à paraître dans les prochains mois.
Source www.lefigaro.fr