Antisémitisme, brutalité à la Santé. Un ex-détenu juif témoigne

Antisémitisme, brutalité à la Santé. Un ex-détenu juif témoigne

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Yossef, 67 ans, accuse un surveillant de harcèlement à répétition. Alertée, la direction de la prison n’a rien fait.

Yossef a 67 ans et une lourde pathologie cardiaque. Ce Franco-Israélien a été incarcéré au centre pénitentiaire de la Santé (Paris) d’avril 2021 à septembre 2022 pour un délit d’ordre fiscal. Selon nos informations, jeudi 24 novembre, il a déposé une plainte contre X auprès du procureur de la République de Paris pour violences aggravées, harcèlement moral aggravé, vol aggravé, faux en écriture publique aggravé et injure non publique raciste pour des faits survenus lors de sa détention.

Le 8 août 2022, après des semaines de brimades, un surveillant en poste à la prison de la Santé aurait proféré des invectives antisémites à son encontre. Celles-ci ont été suivies de violences lors de son placement en quartier disciplinaire par les équipes locales d’appui et de contrôle (Élac), les unités d’élite de la pénitentiaire. Leur intervention sera motivée par un compte-rendu d’incident rédigé par ce même surveillant, qui se plaignait d’une agression physique perpétrée par Yossef.

Une assertion démentie par la vidéosurveillance diffusée lors de la commission de discipline qui a relaxé l’ancien détenu pour ces faits. « C’est un miracle si je suis vivant, témoigne Yossef, joint par « Les Jours ». Il y avait une volonté de me meurtrir dans ma chair. Ils voulaient me briser et m’humilier. L’une des choses qui m’a fait le plus mal, c’est la connotation antisémite. »

Nous avons eu accès à la plainte de Yossef, aux comptes-rendus d’incident et d’enquête de la pénitentiaire, aux courriers d’alertes, ainsi qu’à sept attestations de détenus. Les Jours se sont également entretenus avec d’autres, incarcérés à la Santé durant cette période. L’ensemble de ces éléments brossent le portrait d’un surveillant tout-puissant qui, dans ce quartier de la prison où il est en poste, aurait érigé le harcèlement en règle. Il aurait franchi un cap avec ce sexagénaire de confession juive en ajoutant une dimension antisémite à ces humiliations, qui se sont soldées par des violences.

Sans que jamais la direction de la prison de la Santé ne réagisse, malgré les alertes répétées de Yossef. « Ce qui s’est passé est gravissime, tonne maître Philippe Ohayon, son avocat. Il y a non seulement des propos antisémites mais aussi des actes de violences commises sur une personne vulnérable âgée de 67 ans. Les détenus sont des personnes sous-main de justice, pas sous le joug de la brutalité. Une enquête sérieuse doit être menée. »

D’autant qu’en prison, Yossef n’a longtemps rencontré aucun problème. Peu de temps après son incarcération au printemps 2021, il intègre le « Respecto ». Importé d’Espagne, ce programme mis en place dans une quarantaine d’établissements français est réservé aux détenus modèles qui y bénéficient d’un régime de détention moins strict. Dans ce quartier, appelé « QB1 » (Quartier bas 1) à la maison d’arrêt de la Santé, où il est réparti sur trois étages, plus de 80 détenus ont la clé de leur cellule en journée. Ce contrat de confiance entre l’administration pénitentiaire et le détenu prend fin au moindre écart. Calme et respecté, Yossef sera nommé médiateur de son étage, chargé de désamorcer les conflits. Tout va déraper en juillet 2022, lorsqu’un détenu est banni du Respecto sur le fondement d’un compte-rendu d’incident (CRI) rédigé par un surveillant. Au QB1, les prisonniers ne connaissent pas l’identité des personnels qui y sont affectés de façon permanente. Alors, là-bas, tout le monde surnomme cet agent « Nounours ». Pour ce dernier, le détenu mis en cause l’a injurié. Pour les autres, c’est un coup monté par Nounours. Yossef rédige une pétition qu’il fait passer dans les étages : « Les personnes témoins attestent que le détenu n’a pas manqué de respect au surveillant dont les détenus subissent l’humour déplacé à leur égard », lit-on sur la missive adressée à la direction et paraphée de nombreux matricules et signatures de détenus.

Un surveillant à l’entrée du QB1, quartier de la prison de la Santé réservé aux détenus modèles qui y bénéficient d’un régime de détention moins strict, le 12 avril 2019. Victor était incarcéré au QB1 à l’été 2022. Ce Parisien a quelques années de détention derrière lui et, comme il dit, connaît bien la musique. « En prison, il vaut mieux fermer les yeux, c’est la loi du silence », expose-t-il aux Jours.

Yossef, lui, ne l’appliquait absolument pas. Il n’a pas supporté cette injustice et a lancé la pétition. » De l’avis de tous les protagonistes, Nounours a la réputation de provoquer lourdement les détenus. Il aurait pour habitude de les réveiller bruyamment, de refuser les courriers ou les lessives, ou encore d’émettre des commentaires désobligeants sur les noms, les origines ou les compagnes des détenus. Objectif selon eux : pousser à la faute pour les exclure du Respecto. « Ça peut paraître anodin mais en détention, de façon répétée, son comportement pèse beaucoup. Il joue avec les nerfs, ça l’amuse. Sauf que ce n’est pas votre ami, il a un ascendant sur vous, relate Victor. Ça ressemble un peu à du harcèlement. J’ai rarement rencontré ça en prison. Si vous vous défendez, c’est la guerre. » Et un autre ancien du QB1 de compléter : « À partir de la pétition,  Nounours s’est mis à le harceler. » Yossef, primo-délinquant vulnérable de 67 ans, va devenir son  bouc-émissaire.

Peu à peu, les provocations de l’agent auraient dérivé sur le terrain de la confession de Yossef. « Il a commencé à lui faire des remarques sur tout et n’importe quoi, y compris sur son judaïsme, révèle Victor. Il jouait sur l’antisémitisme pour le faire réagir. C’était vraiment de la perversion pour toucher sa corde sensible. » De plus en plus de détenus remarquent la situation. L’un d’entre eux, qui précise être musulman, s’en émeut dans une attestation datée du début juillet et fournie au procureur : « Ce surveillant ne cesse de multiplier les provocations à son égard avec des insinuations indécentes et indignes qui flirtent de manière malsaine avec de l’antisémitisme qui n’est plus latent mais clairement visible. Il devient gênant d’observer cette humiliation incessante. »

Le 16 juillet au matin par exemple, Yossef, en claquettes, récite la prière de Chabbath et commémore les quatre-vingts ans de la rafle du Vel d’Hiv avec un autre détenu juif dans la cellule de celui-ci. Nounours l’interrompt pour lui dire qu’il est interdit de se déplacer en sandales en détention et l’enjoint de retourner se chausser dans sa cellule. « Il est entré comme ça, pour nous emmerder, affirme aux Jours le détenu qui pratiquait à ses côtés. C’était constamment ce genre de petites pressions. » Yossef écopera d’un CRI. Le premier depuis son entrée en détention un an auparavant. Il le conteste immédiatement dans une lettre à la direction, où il se plaint de « l’interruption de la prière » et du comportement « futile » du surveillant qui pourrait cacher « un motif plus délictuel ». S’il n’obtient pas de réponse, le CRI n’aura pas de conséquence immédiate.

La situation, elle, ne cesse de s’envenimer. Les matins, Nounours le réveille au cri de : « Salut le vieux ! Alors, toujours vivant ? » Les soirs, l’agent ne rouvre pas toujours la cellule de Yossef pour les repas, le privant ainsi de dîner. Pendant la journée, il cherche à lui imposer des fouilles intégrales, à nu et sans motif valable selon le Franco-Israélien, qui s’en plaint à l’administration dans un nouveau courrier.

Entre juillet et août 2022, il écrira six fois à la direction de prison de la Santé pour dénoncer l’ensemble des faits dont il s’estime victime. Sans aucune réponse. Dans une attestation obtenue par Les Jours, un détenu témoin de ce « harcèlement incessant » écrit avoir tenté l’apaisement, en vain : « Nous avons parlé avec le surveillant dans l’objectif d’une réconciliation, en insistant sur la vulnérabilité et la santé de Yossef. Il répondait “Je m’en fous”. »

 Le 8 août, Nounours force Yossef, inapte aux travaux physiques, à distribuer les repas. Et, à la fin du service, lui lance : « C’est un travail de Juif ! » Au Respecto, où, par définition, la bonne entente est censée être la règle, tout le monde est au courant des soucis cardiaques du sexagénaire. Quelques mois plus tôt, en mars 2022, il a subi deux opérations du cœur lors desquelles sept stents coronaires lui ont été posés. Un certificat médical transmis à l’administration pénitentiaire précise que son état « le rend définitivement inapte aux travaux physiques ».

Le 8 août, Nounours décide pourtant de l’assigner à la distribution de la gamelle, une charge dont Yossef devait logiquement être exempté. « Il m’a menacé d’un CRI si je refusais », se souvient-il.  Ce midi-là, il faut récupérer des chariots au rez-de-chaussée, les manœuvrer jusqu’au monte-charge et procéder à la distribution dans les  étages. « Les chariots pèsent 70 kg et c’est la canicule, il fait 40°C à la Santé, détaille-t-il. J’ai mis beaucoup de temps. » Dans les attestations consultées par Les Jours, un détenu décrit un « cauchemar » : « Il a été obligé de transporter les chariots malgré son essoufflement et ses problèmes cardiaques.»

Le surveillant a insisté pour qu’il le fasse seul. » « Le surveillant refusait qu’on l’aide pour remonter le chariot », rédige un autre. « Il m’a empêché de l’aider », témoigne un troisième. À la stupéfaction générale des témoins présents, à la fin de ce premier service laborieux, Nounours lance à Yossef : « C’est un travail de Juif ! » Six des sept détenus ayant fourni une attestation transmise au procureur – le septième n’étant plus au QB1 le 8 août –, comme ceux sollicités par Les Jours, confirment ces propos dénoncés dans la plainte au procureur de la République. « Les autres aussi ont été choqués, ce ne sont pas des choses que des agents en uniforme peuvent dire, murmure Yossef, qui accuse encore le coup plusieurs mois après.

« J’ai alors refusé d’aller chercher le deuxième chariot et j’ai réintégré ma cellule. » La suite, l’ancien détenu l’a écrite dans une lettre adressée peu après à la direction de la Santé et reproduite dans sa plainte au pénal : « Quelques instants plus tard, la porte s’ouvre à la volée, avec brutalité, et apparaît dans l’encadrement le surveillant harceleur, hilare, […] pour me crier qu’il a son CRI à mon encontre et que je suis viré du QB1. Je me dresse face à son attitude puérile et infantile et lui rappelle à voix haute ses propos antisémites pour lesquels il devra rendre des comptes. »

À partir de là, les versions divergent. Dans son CRI consulté par Les Jours, Nounours explique que Yossef l’a injurié : « Tu es un antisémite, et tu sais ce qu’on fait aux gens comme toi ? On les brûle. » L’intéressé réfute catégoriquement : « Je lui ai dit l’inverse : “C’est à cause d’antisémites comme vous qu’on a brûlé des Juifs.” » Le surveillant certifie ensuite que le détenu l’a frappé deux fois au torse. « J’ai dû demander des renforts », conclut-il.

Alerté, l’officier du QB1 prend la décision de faire appel aux Élac. « Le surveillant évoque des insultes et une agression physique », écrira ce lieutenant pour justifier l’intervention des colosses en armure noire. Dans le rapport d’enquête effectué après l’incident, un détenu assure que Yossef a simplement « montré du doigt » Nounours.

Une capitaine décidera toutefois du maintien des poursuites. Ils m’ont descendu très violemment de trois niveaux. Arrivé au mitard, ils me collent contre le mur. Là, l’un des Élac descend mon slip, me met des coups de botte pour m’écarter les jambes et vérifier si je ne cache rien dans mon anus. »

Le 12 septembre, lors de la commission de discipline relative à cet épisode, la version de Nounours est démentie par les images de vidéosurveillance. Yossef sera relaxé de l’accusation d’agression, pas pour les injures. Le CRI de Nounours est au cœur de la plainte pour faux en écriture publique. S’il est avéré, ce fait est constitutif d’un crime passible de quinze ans d’emprisonnement. « Les vidéosurveillances ont pu démontrer qu’aucune violence physique n’a été commise par Yossef et qu’à l’inverse, la violence avec laquelle il a été sorti de sa cellule par les Élac, courbé en deux, dos nu, bras bloqués dans le dos, menotté, était absolument disproportionnée et choquante », peut-on lire dans la plainte adressée au procureur de la République.

Il est 13 h 40 ce 8 août quand, sur la base du CRI litigieux, les trois surveillants d’élite, sous la supervision du lieutenant du QB1, se saisissent de Yossef pour le placer au quartier disciplinaire à titre préventif.

Dépêché sur place une heure plus tard, un médecin exige son transfert immédiat aux urgences hospitalières « en raison d’un début d’AVC », assure Yossef dans sa plainte. À 16 h 40, la directrice adjointe de l’établissement lève son placement au quartier disciplinaire. Un certificat médical ultérieur attestera du malaise et des douleurs de Yossef aux mains, poignets, épaules et dos.

« Au QB1, j’ai entendu Nounours se vanter et dire “Ça y est, on l’a eu !”, rapporte Victor aux Jours. Le lendemain, on a vu Yossef avec des bleus partout. Il s’était clairement fait casser la gueule. » Sa fille, qui le visite au parloir le 9 août, s’alarme de son état confus : « Mon père est blessé physiquement et moralement, il a été humilié. » Ce même jour, Yossef est exclu du Respecto pour intégrer le régime de détention normal, enfermé 22 heures sur 24. Au moment de « déménager », il découvre que ses objets de culte et sa kippa ont disparu depuis son passage au quartier disciplinaire. « Je m’en plains au lieutenant. Il me dit qu’il va me les faire suivre, retrace-t-il. Je ne les ai jamais récupérées. »

Il a déposé plainte pour vol. Le Franco-Israélien, qui obtiendra finalement une réduction de peine pour bonne conduite, est sorti de détention le 21 septembre. Ni le parquet de Paris, ni le ministère de la Justice, ni la direction de la prison de la Santé n’ont répondu à nos sollicitations.

Anonymat Son prénom a été modifié.

Centre pénitentiaire C’est une prison qui comprend au moins deux régimes de détention différents correspondant à des quartiers distincts et séparés. Par exemple, un quartier maison d’arrêt et un quartier centre de détention. Il y en a 59 en France.

Quartier disciplinaire Le QD, ou mitard, est une sanction disciplinaire appliquée, après passage devant une commission disciplinaire, à un détenu qui a commis une faute (trafic de stupéfiants, violences, etc.). Celle-ci ne peut excéder trente jours de placement en cellule disciplinaire. Le QD se trouve dans un quartier distinct de l’établissement. C’est la prison dans la prison.

Maisons d’arrêt Ce sont les prisons destinées aux prévenus en détention provisoire (en attente de jugement ou dont la condamnation n’est pas définitive), ceux condamnés à des peines n’excédant pas deux ans ou dont la fin de peine est inférieure à deux ans, ainsi que les personnes définitivement condamnées en attente de transfert. Il y a 81 maisons d’arrêt et 50 quartiers accueillant ce type de détention au sein de centres pénitentiaires.

En France, la surpopulation carcérale touche très majoritairement les maisons d’arrêt et quartiers maison d’arrêt. Le taux d’occupation y était de 142,8 % au 1 novembre 2022.

PDF généré le 30 novembre 2022 pour yossef.israel55@gmail.com

Texte Pierre Bafoil – Illustration : shutterstock

Divergence Édité par Lucile Sourdès-Cadiou

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