Avec l’EI au bord de la défaite, comment empêcher un néo-Daesh?

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L’auteure s’interroge sur les moyens pour réhabiliter les personnes radicalisées par l’EI après sa chute

 

Au cours des derniers mois, l’État islamique (l’EI) a perdu du terrain en Syrie et en Irak. En Irak, les forces militaires bénéficient de l’aide de la coalition à Mossoul, alors qu’en Syrie, les forces kurdes progressent vers Raqqa. Des témoins affirment que de nombreux combattants de l’EI ainsi que les femmes djihadistes de la brigade Al-Khansaa ont quitté la ville. Quelque 200.000 Syriens sont encore sur place, et nombre d’entre eux serviront de boucliers humains comme à Mossoul.

La victoire sur le califat autoproclamé semble imminente. Mais qu’arrivera-t-il demain, lorsque les forces militaires reprendront Mossoul, Raqqa et Deir al-Zour? Est-il possible d’éliminer ce cancer sans laisser de métastases? Que deviendront les milliers de fidèles et combattants de l’EI, où iront-ils? Et comment les personnes radicalisées par l’EI, surtout les plus jeunes, devront-elles être réhabilitées pour ne plus représenter de menace contre leur société?

La force du vide est une menace

Ceux qui ont suivi les différents évènements après la guerre d’Irak en 2003 qui a conduit à la capture et l’exécution de Saddam Hussein, se souviennent de la façon dont l’EI est née. Ce n’est qu’en comprenant ces étapes et le comportement de l’EI qu’il sera possible de stopper ce phénomène.

L’alliance impie entre les ex-baathistes, ces milliers d’officiers (la plupart sunnites) qui travaillaient pour l’immense système de répression de Saddam Hussein, ses six services de renseignements et la terrifiante Garde républicaine, et les djihadistes d’al-Qaïda a eu lieu au moment même où l’Irak a plongé dans le chaos et l’anarchie.

Ni l’administration américaine, ni le nouveau régime irakien n’ont été capables d’assurer la sécurité ou la stabilité. Les mosquées chiites ont brûlé, les voitures piégées ont explosé et les kamikazes ont terrifié les foules des marchés ainsi que les pèlerins.

Ceux qui ont craint l’hégémonie chiite et ressenti la présence des Occidentaux en Irak ont suivi.

L’un des fondateurs du groupe islamiste était Samir al-Khilfawi, colonel d’état-major de l’armée irakienne au moment de l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en 2003, plus connu sous son nom-de-guerre Haji Bakr. Il a travaillé en étroite collaboration avec un autre groupe d’officiers ex-baathistes devenus parias après la chute de Saddam, ainsi qu’avec d’importants djihadistes, tels qu’Abou Moussab al-Zarqaoui, le chef irakien d’al-Qaïda rencontré en 2003.

Non seulement Haji Bakr a-t-il désigné le chef de l’EI, Abou Bakr al-Baghdadi, détenu dans une prison américaine en Irak et connu pour être un idéologiste, mais il a également établi un plan, étape par étape, pour implanter le groupe Etat islamique au cœur des sociétés syriennes et irakiennes.

Il est facile de se débarrasser de tout ce qui est étranger, mais comment éradiquer une organisation implantée au sein de centres sociaux et religieux, en charge de conseils locaux, qui recrute au sein de la jeunesse locale et qui travaille sans cesse pour promouvoir son idéologie toxique?

Etant donné l’état fragile du régime irakien, il était facile d’atteindre cet objectif dans le triangle sunnite du pays, compte tenu qui plus est, du soulèvement civil en Syrie en mars 2011.

Raqqa, une ville qui n’avait jamais été un bastion d’islamistes auparavant, est un exemple classique du succès de l’EI.

Immédiatement après l’insurrection, la ville fut gouvernée par le conseil révolutionnaire. Les femmes participaient aux prises de décisions, et les jeunes nettoyaient les rues et aidaient les personnes âgées.

Mais ce cadre n’était pas assez stable, et bientôt des membres de Jabhat al-Nosra s’installèrent dans la ville pour y faire régner la charia.

Peu à peu, de plus en plus de djihadistes de Jabhat al-Nosra, alignés avec l’EI, se sont installés au cœur de la ville.

Des jeunes Syriens membres de la « police islamique », le 2 septembre 2013 à Raqa
MEZAR MATAR (MEZAR MATAR/AFP/Archives)

 

Ils ont d’abord créé un centre social pour les jeunes, ont identifié les plus ambitieux et les ont engagés pour récolter des informations sur leurs voisins, les cheiks, les amis et les ennemis.

Peu à peu s’est installée, une armée de loyalistes de l’Etat islamique, prête à prendre le contrôle de la ville, sans efforts.

Aujourd’hui, la question la plus sensible n’est pas de savoir s’il sera possible de reconquérir Mossoul et Raqqa des griffes de l’EI, mais si la réalité sur le terrain sera différente après leur chute.

En Irak, les revendications sunnites doivent être entendues et des règles de base doivent être rétablies. Sans cela, un nouvel Abou Bakr al-Baghdadi ou Abou Moussab al-Zarqaoui fera surface rapidement, en profitant d’une énergie latente.

En Syrie, la guerre civile n’est pas terminée, même si le régime d’Assad s’est renforcé, et pourrait paraître à présent, aux yeux des Américains ou de certains pays de l’Union européenne, comme le seul pouvoir possible pour gouverner la Syrie après la guerre.

Malgré un flux massif de civils ayant fui la Syrie ces six dernières années, la majorité des Syriens sont encore sunnites, et eux, ainsi que beaucoup d’autres – tels que les Kurdes syriens – vont devoir être pris en compte, quel que soit le dénouement final.

Dans le cas contraire, des poches de résistance se formeront. Et compte tenu de la méfiance, de la haine et des dommages causés au tissu social syrien, il est difficile d’imaginer la police ou l’armée reprendre sa place à Hama, Homs, Deir al-Zour ou à Raqqa. Ainsi, la stabilité, le partage du pouvoir et la justice sont les facteurs clés pouvant empêcher l’EI de réapparaître.

Éducation, information et réadaptation

Lorsque Mossoul et Raqqa seront libérées, les hommes et les femmes de l’EI disparaîtront. Certains sont même déjà partis. Les combattants étrangers retourneront dans leur pays d’origine, portant la menace de l’islamisme radical, fort de leur expérience du combat.

Des milliers de Tchétchènes, de Tunisiens, de Saoudiens, d’Occidentaux et d’autres se raseront la barbe et tenteront de revenir à une vie quotidienne comme si rien ne s’était passé, ou bien formeront des cellules dormantes en Europe, aux États-Unis et au Moyen-Orient. D’autres iront se battre ailleurs, en Libye, dans le Sinaï ou au Yémen. D’autres encore échapperont au vaste désert syrien et essaieront d’établir des camps militaires semblables à ceux d’Al-Qaïda.

Mais il y aura aussi de nombreux Syriens et Irakiens ayant pris part aux atrocités et partagé l’idéologie de l’EI.

Ils rejoindront leur communauté en Irak et en Syrie, et dans le meilleur des cas, seront placés dans des centres de détention.

De telles installations sont déjà opérationnelles en Arabie saoudite. Contrairement aux prisons régulières, qui deviennent rapidement un terrain fertile à une nouvelle radicalisation et à la création de réseaux de criminels, les centres de dé-radicalisation tentent de palier au problème par l’éducation, en engageant des chefs religieux.

Des civils fuient Mossoul, en Irak, le 30 mars 2017
AHMAD GHARABLI (AFP)

 

Mais ces installations coûtent cher, et ce qui est possible en Arabie saoudite, riche en pétrole, ne sera guère faisable dans une Syrie dévastée, ni en Irak où l’économie est paralysée. Mais surtout, la plus grande question concerne l’avenir de l’islam politique, son rôle et son impact sur la société.

Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a fait valoir l’année dernière, lors d’un discours remarquable, la nécessité d’une réforme de l’islam que l’Université Al-Azhar du Caire – la plus ancienne université islamique au monde – pourrait mener à bien.

Nombre d’Orientaux aujourd’hui s’accordent à dire que la région a besoin d’un nouveau souffle afin de redonner espoir en un avenir meilleur à ceux qui ont connu des décennies de frustration, et qui ont été trahis par leurs dirigeants.

Le monde arabe, autrefois précurseur de modernité, trouvera-t-il le bon chemin, tout en évitant le totalitarisme et l’extrémisme religieux?

Dans le cas contraire, de nouvelles formes de résurgence islamique pourraient à nouveau faire surface en Syrie, en Irak et dans d’autres endroits au Moyen-Orient.

L’Etat islamique, avec son obsession de conquête territoriale, peut disparaître, mais son idéologie et ses croyants survivront. Une stratégie globale au Moyen-Orient, une sorte de plan Marshall du Moyen-Orient, est nécessaire pour éviter l’effondrement d’autres nations et sociétés arabes et pour faire ressusciter celles détruites par la guerre.

La question est de savoir s’il existe aujourd’hui la volonté politique d’un changement substantiel et d’une réforme tant en Occident, qu’au Moyen-Orient.

Ksenia Svetlova est une experte du monde arabe, analyste au « Mitvim » Institut israélien de Politique Etrangère, et députée de l’Union sioniste (centre gauche) à la Knesset.

Source I24

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