Analyse de l’influence du Qatar, par Daniel Pipes

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Au milieu des années 1990, on plaisantait déjà dans les milieux diplomatiques américains sur la question de savoir quelles étaient, depuis l’effondrement de l’Union soviétique, les deux grandes puissances mondiales ? Réponse : les États-Unis et le Qatar. En d’autres termes, les ambitions démesurées d’un pays dont la population native s’élève à environ 150.000 habitants apparaissent clairement depuis longtemps.

Paul Gauguin, Quand te maries-tu ?

 

Aujourd’hui, l’influence du Qatar n’a plus rien d’une plaisanterie. Elle se ressent partout, depuis le Claridge’s Hotel à la toile de Gauguin Quand te maries-tu ?, en passant par Al-Jazeera et la coupe du monde de football en 2022, sans oublier les tentatives de piratage informatique et les scandales de corruption. Sur le plan des relations extérieures, le gouvernement qatari a brillamment réussi à garder un équilibre illustré par, d’un côté de la balance, la base aérienne géante Al-Udeid utilisée principalement par les forces armées américaines et de l’autre, le commandement interarmées conjoint entre le Qatar et la Turquie.

Si toutes ces prouesses ont pu être possibles, c’est en partie grâce aux richesses qui arrosent la toute petite population nationale (on compte aujourd’hui un peu plus de 300.000 Qataris, soit l’équivalent de 1% de la population d’une ville comme Shanghai). Le gisement de gaz gigantesque appelé North Dome procure aux sujets du pays (contrairement aux étrangers bien plus nombreux) un revenu par habitant d’environ 500.000 dollars américains soit cinq fois plus que celui du deuxième État le plus riche du monde qu’est le Luxembourg.

Pour partie aussi, le poids énorme acquis par le Qatar est une conséquence de l’identité du pays et de son régime. À l’instar de l’Arabie saoudite, le Qatar est dominé par l’idéologie extrémiste appelée wahhabisme. Cette idéologie confère aux Qataris une détermination et une ambition sans commune mesure avec leur nombre et la taille du pays. Les dirigeants qataris de ces dernières années, d’abord l’émir Hamad (1995-2013) et désormais son fils Tamim (depuis 2013) ainsi que leurs proches et leurs soutiens, se livrent à des extravagances dont le caractère fugace est on ne peut mieux illustré par ce nom Hamad que l’émir du même nom a fait graver (en caractères latins) sur un kilomètre de haut et trois de long, de façon aussi mystérieuse que soudaine, dans les sables d’une île, en 2010, et qu’il a fait effacer tout aussi mystérieusement deux ans plus tard.

La plage estampillée HAMAD dans toute sa splendeur.

Mais s’il est un domaine où l’influence du Qatar se fait particulièrement sentir, c’est bien dans le soutien fourni à des groupes djihadistes d’horizons aussi divers que l’Irak (Al-Qaïda), la Syrie (Ahrar al-Sham, Jabhat al-Nusra), Gaza (Hamas) ou encore la Libye (Brigades de Défense de Benghazi). Par ailleurs, le Qatar soutient des réseaux islamistes de premier plan partout dans le monde – notamment les Frères musulmans en Égypte, l’AKP en Turquie et le Jamaat-e-Islami au Bangladesh.

À Doha, le gouvernement fournit des espaces de bureaux aux Taliban. La capitale qatarie est également le lieu où depuis des dizaines d’années, des sommités de l’islamisme comme le leader spirituel des Frères musulmans, Youssouf Al-Qaradawi, et le chef du Hamas, Khaled Meshaal, ont élu domicile.

En Occident, la puissance du Qatar, certes plus discrète, prospère en toute liberté. Le pays finance des mosquées et d’autres institutions islamiques qui, en signe de gratitude, organisent des protestations devant les ambassades saoudiennes à Londres et Washington.

Toutefois Doha ne compte pas sur la diaspora islamiste pour réaliser ses objectifs en Occident, mais agit de façon à exercer une influence directe sur les autorités politiques et les opinions publiques occidentales.

L’imposante chaîne de télévision Al-Jazeera est devenue l’un des plus grands et des plus célèbres diffuseurs au monde. Sa section anglophone diffuse contre les ennemis du Qatar une propagande lissée et habillée d’une rhétorique libérale de type occidental. La dernière invention en date d’Al-Jazeera s’appelle AJ+, une chaîne de réseau social dont le public cible est la jeunesse progressiste américaine. Elle diffuse à propos des maux commis par Israël, l’Arabie saoudite et l’administration Trump, des documentaires qu’elle insère en sandwichs entre des reportages bigarrés sur les campagnes pour les droits des transgenres et des appels émouvants face à la détresse des demandeurs d’asile à la frontière sud des États-Unis – programmes pour le moins incongrus de la part d’un diffuseur contrôlé par un régime wahhabite.

Doha cherche aussi à étendre son influence sur l’Occident dans le secteur de l’enseignement. Ainsi la Qatar Foundation, contrôlée par le régime, verse des dizaines de millions de dollars à des écoles, universités et autres établissements d’enseignement à travers l’Europe et l’Amérique du Nord au point que le Qatar est devenu le plus grand donateur étranger des universités américaines. Les fonds versés servent à financer des cours de langue arabe et des cours sur la culture du Moyen-Orient, programmes dont certains portent sans fard une marque idéologique, comme ce plan de cours destiné aux écoles américaines et intitulé : « Exprimez votre loyauté envers le Qatar. »

Maintenant que les Saoudiens, les Émiratis, les Égyptiens et d’autres gouvernements arabes ont pris conscience de la menace posée par le Qatar, ne serait-il pas temps que les Occidentaux en fassent autant ? La conférence organisée le 6 février par le Middle East Forum et dont le but est de faire la lumière sur l’un des États les plus petits, les plus riches, les plus puissants mais aussi les plus sinistres au monde, se concentre sur deux questions en rapport avec le gouvernement qatari : qu’est-il en train de faire ? Et quel est son objectif ?

Source fr.danielpipes.org

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