Albert Richter, le coureur qui osait tenir tête à Hitler

Albert Richter, le coureur qui osait tenir tête à Hitler

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Meilleur coureur allemand de l’entre-deux-guerres, Albert Richter s’est toujours opposé au régime nazi, refusant de devenir le modèle du sportif aryen. Une liberté de conscience qui lui coûtera la vie, le 3 janvier 1940, à la frontière germano-suisse.

Nous sommes en juillet 1934, à la fin du championnat d’Allemagne de vitesse sur piste, au cœur du vélodrome d’Hanovre. Sur la photo un peu effacée par le temps, issue de la presse sportive allemande, on distingue le vainqueur, Albert Richter, qui vient de remporter pour la seconde fois le titre national.

Tout sourire, le coureur, vêtu d’un maillot blanc floqué de l’aigle de la République de Weimar, refuse de faire le salut nazi, contrairement aux officiels de la fédération allemande de cyclisme qui ont tous le bras droit levé, et dont certains arborent même la croix gammée. Albert Richter marque ainsi publiquement son opposition au régime hitlérien. Un geste courageux pour celui qui est considéré comme le meilleur coureur allemand de l’entre-deux-guerres.

La rencontre avec son mentor

Né en 1912 à Ehrenfeld près de Cologne, Albert Richter quitte l’école à 15 ans pour rejoindre son père et son frère dans l’entreprise familiale, qui fabrique des figurines. S’il a grandi dans une famille modeste mais mélomane – ses parents et ses frères sont tous musiciens – le jeune garçon se rêve plutôt en sportif. Il admire les pistards qui enflamment le vélodrome de Cologne, lors des Six jours ou lors des meetings dominicaux.

Albert Richter. (Photo : Collection privée GD)

Avec ses premiers salaires, il s’achète un vélo et s’entraîne en cachette, le soir après le travail, malgré le veto paternel. « Ses pointes de vitesses impressionnent tous les spectateurs. Il bat régulièrement les professionnels à l’entraînement et en compétition », explique Michel Viotte, auteur du documentaire Albert Richter, le champion qui a dit non. Son talent attire rapidement l’attention d’Ernst Berliner, un ancien champion cycliste, tapissier à Cologne et également entraîneur réputé à ses heures perdues. Berliner est juif et son entreprise est régulièrement saccagée par la Sturmabteilung, les SA ou sections d’assaut du parti national-socialiste. La combinaison Richter/Berliner fait des étincelles, le jeune coureur suit les conseils de son mentor à la lettre.

En 1932, il remporte le Grand Prix de Paris amateurs, et a toutes les chances de devenir champion olympique à Los Angeles, quelques semaines plus tard. Malheureusement pour Richter, son pays est en pleine crise économique, et la fédération allemande n’a pas les moyens d’envoyer ses représentants de l’autre côté de l’Atlantique. Qu’à cela ne tienne, Richter se réserve pour les Mondiaux qui doivent se dérouler à Rome. Le 3 septembre 1932, Albert Richter, âgé seulement de 19 ans, devient champion du monde de vitesse amateurs ; il est accueilli triomphalement à son retour par la population de Cologne.

Une star internationale

Suite à ce succès, Richter passe professionnel, et Ernst Berliner envoie son poulain vivre à Paris. À l’époque, la capitale française est considérée comme la Mecque du cyclisme sur piste. « Il y a des courses tout au long de l’année sur les quatre vélodromes parisiens, explique la documentaliste Agnès Granjon dans une notice biographique publiée sur le site des éditions Anovi. Albert Richter apprend le français en fréquentant les cinémas et, après des débuts difficiles, triomphe au Vélodrome d’Hiver, le Saint des saints, en remportant le Prix du sprinter étranger. En quelques mois, il devient l’idole du public qui apprécie son style fluide et puissant et le surnomme « la 8-cylindres allemande », une référence aux puissants moteurs de voitures de l’époque. »

Carte postale-caricature d’Albert Richter, « la 8 cylindres allemande », distribué aux supporters du Vélodrome d’Hiver à Paris, lors des venues du coureur allemand en France. (Photo : Collection privée GD)

En Allemagne, Adolf Hitler devient chancelier le 30 janvier 1933. Quelques jours seulement après l’accession du leader nazi au pouvoir, une première loi de discrimination envers la population juive est promulguée, et Ernst Berliner est de nouveau inquiété.

De son côté, Albert Richter fait dorénavant partie de l’équipe professionnelle itinérante Sprinter Wandergruppe internationale, et est sans cesse en déplacement. « Le jeune homme ne passe plus que quelques semaines par an dans son pays pour rendre visite à sa famille ou dans le cadre de manifestations cyclistes. Il s’éloigne peu à peu de l’Allemagne et adopte une mentalité très ouverte sur le monde, à l’opposé de l’idéologie nationale-socialiste qui s’impose alors dans le pays. Doté d’une grande force de caractère, Richter ne se laissera jamais influencer par le nazisme, envers lequel il fait preuve, très tôt, d’une profonde aversion. Incarnation idéale de cette race aryenne prônée par les nazis, le jeune homme exècre pourtant Hitler et « sa bande de criminels ». L’antisémitisme lui est totalement étranger », poursuit Agnès Granjon. De 1934 à 1939, Richter remporte tous les titres de champion d’Allemagne de vitesse, et truste les podiums aux championnats du Monde.

Albert Richter devant un marchand de vélos, dans Cologne. (Photo : CCDB/Wikicommons)

Refus de servir le régime nazi

Mais le contexte politique de son pays le rattrape : en septembre 1937, alors que les persécutions envers les Juifs deviennent systématiques, Ernst Berliner est informé par un ami de son arrestation imminente par la Gestapo. Il parvient à fuir l’Allemagne avec sa famille. « Quand il apprend ce qu’il s’est passé, c’est un choc pour Albert, explique Renate Frantz, auteur d’une biographie sur le coureur, dans le documentaire de Michel Viotte. Mais il reste fidèle à son ami et refuse la demande des Nazis d’accepter un entraîneur aryen. Il continue à collaborer avec Berliner, même après que ce dernier eut émigré aux Pays-Bas, et je pense que cela a pesé très lourd contre lui ! »

Albert Richter avec son maillot de champion du monde amateur, en 1932. (Photo : Collection privée GD)

Richter continue pourtant sa carrière internationale, parcourant l’Europe pour courir. Il continue même de s’afficher publiquement sur les vélodromes avec son entraîneur. Ernst Berliner lui conseille d’ailleurs de rester le plus possible en dehors d’Allemagne. Le danger se précise cependant en 1938, lorsqu’un officier SS est affecté à la direction de la DRV, la fédération allemande de cyclisme. Désormais, le champion cycliste est placé sous surveillance.

« Sur les conseils de Berliner, Richter nuance quelque peu ses déclarations en public à l’égard du régime, et fait à plusieurs reprises le salut hitlérien, raconte Agnès Granjon. Pour échapper aux pressions et aux menaces, il se réfugie le plus souvent dans les Alpes suisses, dans la station de ski d’Engelberg. Il envisage de plus en plus sérieusement de changer de nationalité. » À la déclaration de guerre, en septembre 1939, la star du sprint allemand refuse de combattre : « Je ne peux pas devenir soldat. Je ne peux pas tirer sur des Français, ce sont mes amis! », avoue-t-il. Dès le début du conflit, la Gestapo se rend à plusieurs reprises chez ses parents, pour tenter de le convaincre d’espionner à l’étranger pour le compte du Reich. Richter refuse, et comprend qu’il doit quitter son pays, sa vie étant désormais en danger.

Tombe d’Albert Richter, dans le cimetière d’Ehrenfeld. (Photo : Factumquintus/Wikicommons)

Dénoncé par un concurrent

Après avoir remporté le Grand Prix de Berlin, il décide de partir pour la Suisse, le 31 décembre 1939. Avec pour seuls bagages une petite valise et son vélo, il se fait arrêter dans le train qui l’emmène à Bâle, lors d’un contrôle à la frontière suisse. Deux sprinteurs néerlandais se trouvent dans le même train que Richter. Ils racontent au Het Volk, un journal belge, que « les soldats allemands marchant dans la neige sur le quai de la gare, bien informés, sont allés directement au compartiment de Richter. La porte s’ouvrit et Richter est tombé inconscient du train. Les Allemands ont alors sorti le vélosans s’intéresser à la valise de Richteret ont directement ouvert les pneus. À l’intérieur, ils découvrent 12 700 marks cachés. »

Le vélodrome de Cologne, baptisé en 1977 du nom d’Albert Richter. (Photo : Magnus Manske/Wikicommons)

Cet argent, que Richter transportait pour un ami juif, réfugié à l’étranger, sert de prétexte à l’arrestation du coureur. Dénoncé par un autre coureur allemand, Richter est incarcéré pour trafic de devises à la prison de Lörrach, près de la frontière. Le 3 janvier 1940, la Gestapo annonce qu’Albert Richter « s’est suicidé, de honte, au cours de la nuit en se pendant dans sa cellule ». Une mort bien étrange, surtout que le corps porte des traces de sang. Un cercueil scellé est remis à la famille, avec défense de l’ouvrir, et d’annoncer la mort du coureur.

Vraisemblablement exécuté, à l’âge de 27 ans, Albert Richter est inhumé dans le cimetière de son village natal en présence d’une foule nombreuse, informée par le bouche-à-oreille de la disparition de son champion. Mais pour le IIIe Reich, le nom de Richter est à faire oublier. Sa mort n’a pas été officiellement enregistrée, et la fédération allemande de cyclisme déclare que « son nom a été effacé de nos rangs, de nos mémoires, à jamais ». En 1977, le vélodrome de Cologne porte son nom et, depuis 2008, Albert Richter a été intronisé au « Hall of Fame des deutschen Sports », le panthéon du sport allemand. Un juste retour des choses pour l’un des seuls sportifs allemands qui a osé dire non au régime nazi…

Timbre commémoratif d’Albert Richter, édité dans les années 1960 par la République démocratique allemande. (Photo : Nightflyer/Wikicommons)

Source www.ouest-france.fr

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