A Vichy, une stèle pour se souvenir de Michel Crespin, bébé déporté et gazé à Auschwitz

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Un petit triangle de verdure, coincé à l’angle de l’avenue Gramont et du boulevard Gambetta. Une foule compacte. Parmi elle, Serge et Beate Klarsfeld, infatigables combattants de la mémoire. Visages graves, regards tournés vers une petite stèle. Dessus, ce message : « À la mémoire de Michel Crespin, âgé de cinq mois et né à Vichy, où ses parents Abraham et Esther, sa grand-mère Golda et lui-même furent arrêtés. Leur déportation sans retour eut lieu le 20 mai 1944 par le convoi n° 74 vers le camp d’extermination d’Auschwitz. Souvenons-nous de ces victimes de la haine raciale ».

Matricule 21665

Quelques phrases, gravées dans le marbre de la postérité. Pour ne pas oublier que nombre de matinées souriantes, comme celle de ce mercredi, à Vichy, ont dû s’incliner, quand sont arrivés la nuit et le brouillard.

Un square inauguré là, pas par hasard. À quelques pas du domicile de Michel Crespin, au 32, rue Gambetta. Un bébé. Cinq mois. À peine le temps d’apprendre à sourire à une vie qui n’en vaudra pas la peine. Suffisamment pour recevoir le matricule 21665.

« À Vichy, la mémoire doit être vivante, sans aucune honte »

SERGE KLARSFELD Historien, avocat et président de l’association des Fils et filles de déportés juifs de France (FFDJF)

Des notes s’élèvent dans l’air vichyssois. Violoncelle et clarinette. Trois airs traditionnels d’Europe de l’Est, d’une éclatante justesse. Un ange passe, et s’arrête pour écouter. Place aux dépôts de gerbe, puis direction la salle des fêtes, pour un temps de discours. Figures imposées souvent. Poignantes, cette fois. D’abord Michèle London, président de l’Association culturelle israélite de Vichy et sa région, portée par « une immense émotion ». Avec ce message : « Vous les jeunes, soyez vigilants, la bête immonde n’est pas morte. » Cette inquiétude, enfin : « Quand les derniers survivants nous auront quittés, que deviendrons-nous ? » Vient le tour de Liliane Fauroux, une petite-cousine d’Antibes de Michel Crespin. Émotion, encore.

« Le combat sans fin » de Serge Klarsfeld contre l’antisémitisme

Puis ce moment où François Demaegdt prend le micro. Impossible de retenir ses larmes, pour le président de l’association des Amis de la fondation pour la mémoire de l’Allier. « Ce qui unit aujourd’hui, c’est l’humanité. » Et de s’adresser, avec une force poignante, aux négationnistes de tout poil. À ceux qui préfèrent nier pour ne pas avoir à assumer, il brandit l’acte de naissance de Michel Crespin.

Serge Klarsfled, à son tour, évoque ses précédentes escales vichyssoises. Notamment le 26 août 1993, quand il appose une plaque sur l’hôtel du Parc, « siège du gouvernement collaborationniste ». « Ce bébé rappellera, grâce à ce square, qu’il fut un temps où la naissance juive vous condamnait à mort. »

Vient le temps de Frédéric Aguilera, maire de Vichy. Puis de Sylvaine Astic, sous-préfet, avec ces quelques mots de Jacques Chirac, en juillet 1995 : « Nous conservons à leur égard [des déportés juifs, ndlr], une dette imprescriptible. »

Questions à Serge Klarsfeld, historien, avocat, président des Fils et filles de déportés juifs de France (FFDJF)
• Pensez-vous qu’un lieu de mémoire sur les années noires de Vichy soit une bonne idée ?
La mairie trouve que c’est le bon moment pour le faire. Moi, c’est quelque chose que j’avais dit il y a 15 ou 20 ans, que Vichy, dès la Libération, aurait dû être un pôle d’histoire vivante, avec chaque année un colloque sur le sujet. Après, une sorte de chape de plomb s’est posée. La France entière n’a pas voulu étudier cette période. Il fallait que le temps passe.
• Le devoir de mémoire est d’autant plus d’actualité ?
Des stèles comme celle dédiée à Michel Crespin sont le dernier souvenir d’une époque où on tuait des enfants. Et le traumatisme vient du fait que ces crimes ont été commis avec le concours d’hommes glorieux avant la guerre, et qui ont connu une fin ignominieuse. À Vichy, la mémoire doit être vivante, sans aucune honte.

Frédéric Aguilera, maire de Vichy : « Trois évidences »

Pour Frédéric Aguilera, maire de Vichy, le vote unanime du conseil municipal, quant à la dénomination du square, « répondait à trois évidences ».

D’abord, « donner le nom de Michel Crespin à un square, c’est une façon pour nous, Vichyssois de 2018, de rappeler son terrible martyre. […] Les noms des barbares ne sont pas sur les murs de nos villes. Celui de Michel Crespin, si. »

Et l’édile en a profité pour fustiger, une fois encore, l’étiquette nauséabonde collée à l’image de la cité thermale. « Cette stèle vient aussi rappeler que partout, à Vichy comme ailleurs, des Français ont été ostracisés, brimés, blessés, déportés, lâchement assassinés. Oui, le gouvernement du maréchal Pétain avait choisi de s’installer ici, sans être invité. Mais non, les Vichyssois ne sont pas responsables des carnages causés par ces hommes politiques contraints de fuir Paris. La présence du gouvernement de l’État français à Vichy a dégradé de manière profonde l’image de notre ville. L’utilisation inappropriée de “Vichy” pour désigner un régime politique infamant est blessante pour tous les Vichyssois. […] Une manière de dire “Ce n’était pas Paris, donc ce n’était pas la France”. »

Enfin, Frédéric Aguilera a rappelé que Vichy « travaille désormais à la création d’un centre d’interprétation historique dans le cadre de notre candidature au patrimoine mondial de l’Unesco […] et bien sûr, nous n’occulterons pas les années durant lesquelles le gouvernement a occupé notre cité. »

Texte : Matthieu Perrinaud
Source www.lamontagne.fr

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