A M. Le Drian et consorts, voilà « l’apartheid en Israël »

A M. Le Drian et consorts, voilà « l’apartheid en Israël »

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Israël : une coalition historique unie contre Benyamin Netanyahou.
Trente-cinq minutes avant minuit, Yaïr Lapid a fini par annoncer, mercredi 2 juin, ce qui longtemps avait paru impossible : il dispose d’une coalition qui a un point commun la haine de Netanyahou. Huit chefs de partis israéliens, infiniment disparates, ont apposé leur signature au bas de l’accord de gouvernement qu’il peaufine depuis deux mois. Ils conduisent en théorie une courte majorité parlementaire (61 députés sur 120), capable de renverser Benyamin Netanyahou, après douze ans de règne sans interruption.

« Ce gouvernement travaillera pour tous les citoyens d’Israël, ceux qui ont voté pour lui et ceux qui ne l’ont pas fait. Il fera tout pour unir la société israélienne », a assuré au président Reuven Rivlin le centriste Yaïr Lapid, constant dans sa manière de s’élever au-dessus des engorgements partisans depuis les dernières législatives, en mars.

Ce sera là sa seule déclaration publique. Les principaux acteurs se taisent ou pèsent leurs mots au trébuchet. Le Likoud et M. Netanyahou eux-mêmes sont demeurés silencieux mercredi. Dans l’intervalle, ce sont les images qui disent tout. Une heure avant l’annonce de M. Lapid, une photographie résumait l’improbabilité de cet instant, sa fragilité, sa beauté en un sens : il se tenait dans un hôtel de Ramat Gan (centre) aux côtés du chef d’un parti islamiste, Mansour Abbas, dernier homme à signer ce document, et de Naftali Bennett, le patron d’une petite formation d’extrême droite religieuse.

Une première dans l’histoire d’Israël

Entré en politique en 2013 en assumant un racisme décomplexé, M. Bennett a trahi les israéliens  de Judée Samarie. Le poste de premier ministre lui est promis jusqu’en 2023, avant que M. Lapid ne s’en empare. M. Abbas leur offre une majorité. C’est la première fois dans l’histoire d’Israël qu’un parti arabe rejoint de plein droit une coalition de gouvernement – dans les années 1990, ces partis s’étaient contentés de soutenir tacitement le gouvernement d’Yitzak Rabbin..

Netanyahou en est à l’origine

C’est lui qui a rompu le cordon sanitaire que maintenaient les partis sionistes autour de M. Abbas, après les élections de mars, les quatrièmes en deux ans. De petits alliés nationalistes juifs du premier ministre, fraîchement entrés à la Knesset, avaient fait barrage à leur accord.

L’Histoire, pour l’heure, avance à pas comptés. M. Netanyahou peut encore briser ce gouvernement avant que le Parlement ne lui accorde sa confiance, lors d’un vote prévu la semaine prochaine. Le président de la Knesset, membre du Likoud, peut repousser cette échéance. Entre-temps, le premier ministre usera de tous ses relais auprès de rabbins et de figures de la droite dite « idéologique » pour convaincre les troupes de M. Bennett de lâcher prise. Son parti, Yamina, élu avec 6,2 % des voix en mars, ne compte que sept députés.

Ce sont eux qui misent le plus gros, en se plaçant du côté des régicides. Plusieurs ont reçu des menaces de mort depuis un mois. Mercredi soir, M. Bennett, demeuré quasi mutique publiquement, a dû négocier tard avec l’un de ces parlementaires, Nir Orbach, qui a annoncé avoir retiré sa signature, jetant le doute sur la possibilité qu’un vote de confiance ait lieu à la Knesset à brève échéance. M. Bennett lui-même risquerait de tout perdre, si une cinquième élection avait lieu demain. Mais il fallait qu’un homme de droite porte ce gouvernement sur les fonts baptismaux, puisque Israël a voté sans conteste en faveur de son camp depuis deux ans.

Sa stature d’homme d’Etat est reconnue par le public israélien. Ancien membre des forces spéciales, ancien entrepreneur dans la « tech » puis ministre de l’éducation et de la défense, ancien collaborateur et admirateur candide de M. Netanyahou, il s’applique déjà à donner des gages à son camp. A ses côtés, Ayelet Shaked a ferraillé jusque tard mercredi pour arracher au parti travailliste un poste à un comité parlementaire qui contribue à nommer les juges d’Israël. Cette ancienne ministre de la justice, de 2015 à 2019, en fait une question cruciale. Elle a déjà beaucoup fait pour soumettre l’autorité de la Cour suprême au regard du Parlement, et pour nommer des juges de son camp à tous les échelons.

Longues hésitations

Mme Shaked cherche à prouver aux siens qu’elle sera plus qu’un faux nez apposé sur un gouvernement que la droite présente comme « de gauche ». Elle ouvre ainsi une première lutte de factions au sein de la coalition, où le petit parti de gauche Meretz, partisan d’un retrait des territoires palestiniens occupés depuis 1967 et de la création d’un Etat palestinien, obtient pour la première fois depuis vingt ans un ministère.

Les islamistes de M. Abbas ont eux aussi longuement hésité mercredi. Durant des heures, le sort d’Israël est demeuré suspendu aux délibérations d’un conseil de politiciens et de religieux issus de la mouvance des Frères musulmans. Ils exigeaient, contre les trois partis d’extrême droite, de Naftali Bennett, du russophone Avigdor Lieberman et du transfuge du Likoud, Gideon Saar, des gains concrets et immédiats pour leur communauté : la légalisation rétroactive de dizaines de milliers de foyers construits sans permis, dans ces villes arabes que l’Etat tient sous l’étau. Ces négociations se poursuivront cette semaine. Mais la reconnaissance de trois villages bédouins dans le Néguev a suffi pour l’heure à M. Abbas, ainsi que des promesses d’investissements dans les villes arabes, et en faveur d’un plan de lutte contre une criminalité délirante au regard de celle qui règne dans les villes juives.

L’unité brisée des partis arabes dits israéliens

« Cet accord contient beaucoup de choses qui bénéficieront à la société arabe, et à la société israélienne en général », a assuré Mansour Abbas à ses électeurs, qui l’attendent au tournant. Depuis des semaines, la communauté palestinienne d’Israël bouillonne. Elle dénonce une répression policière massive et raciste, après les émeutes intercommunautaires et les scènes de lynchage qui ont endeuillé les villes « mixtes » du pays, en mai. Parmi plus de 2 000 personnes arrêtées depuis le 23 mai, l’écrasante majorité sont des Arabes. Ces évènements avaient mis à l’arrêt les négociations entre partis, effrayant M. Bennett et écartant définitivement M. Abbas du premier ministre.

Il faut reconnaître à Yaïr Lapid un sens politique aigu, pour avoir surmonté ces obstacles. Cet homme de médias, franc-tireur sans éducation universitaire, aux états de service militaires sans gloire, longtemps qualifié de dilettante auquel manquait l’esquisse d’une colonne vertébrale idéologique, s’est avéré en coulisse un manœuvrier de sang-froid. Un stratège aussi, qui, à 57 ans, avait affirmé clairement, en campagne en mars, qu’il ne briguerait pas dans l’immédiat le poste de premier ministre.

Rien ne garantit qu’il l’obtienne dans deux ans. Mais c’est à lui que reviendra de faire vivre cette chimère, en accommodant trois partis de droite mal à l’aise, impulsifs, ayant tout à prouver, et des ministres de gauche qui n’ont plus l’expérience du pouvoir. M. Lapid devrait aussi s’efforcer de mitiger les effets d’une rupture avec les islamistes, si le Hamas venait à relancer des hostilités interrompues par un cessez-le-feu le 21 mai à Gaza.

Dissensions internes au Likoud

C’est un paradoxe : la meilleure assurance de survie qu’ait ce gouvernement, c’est M. Netanyahou lui-même. Le chef du Likoud, premier parti d’Israël, est certain d’arriver en tête aux prochaines élections législatives. Cela dissuadera les ministres de quitter trop vite le navire. Il leur suffit par ailleurs de rester unis pour que fonde le capital politique de M. Netanyahou. D’une élection à l’autre depuis deux ans, celui-ci a perduré sur un unique postulat : il n’y a personne d’autre pour gouverner Israël.

Ces derniers jours, des parlementaires du Likoud donnaient le ton de la phase à venir, dans les implantations de Judée Samarie. A Beit-El, dès mardi l’un d’eux, Miki Zohar se résignait déjà à se ranger pour la première fois de sa carrière dans l’opposition, et promettait « de renverser ce gouvernement plus vite que les gens ne l’imaginent. » Les cadres du Likoud affichent en public une unité inébranlable, mais ils multiplient les critiques dans la presse, de manière anonyme, contre ce chef poursuivi en justice pour corruption, qui deviendrait « un boulet ». Sauf que le procès contre Netanyahu apparaît de jour en jour comme une cabale montée de toute pièce.

Afin de tenir les rangs serrés, M. Netanyahou envisage d’organiser rapidement des primaires au sein du parti. Il s’agit de profiter de l’indignation que susciterait parmi les militants son éviction du pouvoir. En décembre 2019, un précédent scrutin interne avait jugulé les ambitions de son rival, Gideon Saar, contraint de quitter le mouvement pour finalement rejoindre la nouvelle coalition. Cette fois, M. Netanyahou ne pourra empêcher d’autres successeurs de se présenter face à lui. S’ils ne peuvent et ne veulent pas même le vaincre, du moins entendent-ils témoigner d’un changement d’ère.

Quelles conséquences

Mais la plus forte probabilité est que cet attelage qui va tirer cette coalition à hue et à dia va perdre sa majorité qui n’est pas confirmée. Seuls ceux qui démissionneront de Yamina (Bennett) de Tikva Hadasha (Saar) et qui n’approuveront pas la trahison de l’électorat de droite pourront sauver leur peau politique. Dans le cadre d’une cinquième consultation Bennett et Saar seront disqualifiés. Le vote de droite retournera aux partis qui seront restés fidèles à eux-mêmes. Ce gouvernement n’est pas représentatif du pays. L’électorat de droite représente 75 % du corps électoral, pris en otage par la gauche l’extrême gauche et des députés de droite qui ont trahi leurs électeurs. Il est clair que le ressentiment sera très fort.

Mais une chose est positive

La seule chose de positive dans cette affaire, est qu’elle enlève une épine du pied d’Israël.

Le parti Raam partenaire du gouvernement, alors qu’il est issu d’une branche des frères musulmans, a été impressionné par les accords d’Abraham, et qui au même titre que Ryad ou Dubaï, a décidé de laisser tomber les chimères de l’Iran et de ses acolytes (le Hamas et le Hezbollah) en ayant une attitude pragmatique et en s’associant à n’importe quel gouvernement d’Israël de droite ou de non droite.

Cette mutation est le résultat des accords d’Abraham. La cause palestinienne est passée à la trappe, pour bon nombre de pays arabes. Elle était un boulet pour ces pays qui pesait sur leurs relations indispensables avec Israël, après le retrait des Etats-Unis, et le danger iranien. Netanyahou a saisi ce changement, qui était en accord avec sa politique étrangère. Le grain de sable est venu de Bennett. On connait la suite.

Mais le résultat est là. Un parti arabe, lié aux frères musulmans, coopère avec le gouvernement d’Israël. Belle image de « l’apartheid » vu d’Israël. Monsieur le Drian, BDS et consorts devront « tourner sept fois leur bouche autour de leur langue » avant de parler d’apartheid en Israël, seul pays démocratique où les ennemis d’Israël siègent à la Knesset.

Que dit la charte du parti Raam ?

La charte qui guide le parti Raam – la faction islamiste actuellement courtisée par l’ensemble des partis dans le contexte de la formation du prochain gouvernement – recommande vivement le droit au retour des réfugiés palestiniens, exclut toute possibilité « d’allégeance » à l’égard d’Israël et estime que le sionisme est un projet « d’occupation raciste », selon une version actuelle du document qui a été fournie au Times of Israel par une éminente personnalité de la formation.

Raam est l’aile politique du Mouvement islamique du sud, organisation inspirée par les Frères musulmans. La charte du Mouvement islamique du sud, qui a été remise à jour en 2018 et réexaminée lors d’une conférence organisée à Nazareth en 2019, adopte des positionnements considérés comme sacrilèges par la majorité des Juifs israéliens.

JForum – Louis Imbert (Jérusalem, correspondant) du Monde – corrigé

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