A Gaza, une société «sans espoir» et «où la loi du plus fort l’emporte» : le message poignant d’une médecin française

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Le camp de réfugiés près de l’hôpital de Deir al-Balah à Gaza, où Aurélie Godard était en mission en novembre pour Médecin sans frontières. (Aurélie Godard)

Par Aurélie Godard, anesthésiste-réanimatrice à Médecins sans frontières (MSF)
publié aujourd’hui à 6h30
Depuis le 7 octobre 2023 et l’attaque terroriste du Hamas contre Israël, Aurélie Godard s’est rendue dans la bande de Gaza à trois reprises : en janvier 2024, en avril, et plus récemment en octobre. Ce dernier voyage, au cœur de l’enclave palestinienne, à Deir el-Balah, a été particulièrement éprouvant pour la médecin anesthésiste et réanimatrice. Les Palestiniens «ont perdu tout espoir que la guerre s’arrête bientôt», raconte cette humanitaire de 43 ans, qui partage son temps entre Médecins sans frontières et l’hôpital d’Annecy, en Haute-Savoie. Le 11 novembre, elle a adressé à ses amis et collègues un long message décrivant la lente dégradation de la situation dans la bande de Gaza. Elle a accepté que Libération publie ses mots.

«Bonjour à tous,

« Il m’a fallu encore près de six semaines pour prendre le temps d’écrire ces quelques lignes (qui, sans doute, comme les fois précédentes, deviendront un long pavé…).
«Je suis donc (toujours) à Gaza. A Deir el-Balah pour être précise, dans la zone centrale de Gaza. Là où la majorité des Palestiniens s’accumulent : l’ONU dit qu’ici, la surface par habitant est en moyenne de 1,5 m². Les enfants grouillent de partout (50 % de la population a moins de 18 ans, à 60 ans vous êtes très vieux ici). Ces enfants prennent certes moins de place, mais 1,5 m², ça ne fait quand même pas beaucoup pour vivre. Les champs de tentes s’étalent à perte de vue…

«L’hiver n’a pas encore commencé, le froid et la pluie ne sont donc pas encore de rigueur. Néanmoins, on imagine mal que les tentes déchiquetées par un an d’utilisation et moult déplacements fassent barrage aux intempéries. Ni que les organismes fatigués par les conditions de vie, la nourriture en boîte et la fatigue psychologique sauront trouver les ressources pour affronter l’hiver. La bronchiolite (ou son équivalent) a déjà commencé chez les bébés et se propage vite…

«Dans la longue litanie des misères qui sévissent ici, on range ensuite la santé mentale (la question n’étant pas qui est traumatisé, mais à quel point ils le sont), les violences (sexuelles, inter ou intra familiales, de groupes armés pillant les camions d’aide pour les revendre au marché noir…), les maladies chroniques décompensées et les blessés de guerre.

«On a heureusement des chirurgiens compétents, un radiologue virtuose, et l’équipe dans son ensemble a acquis une expérience dont peu peuvent se prévaloir», écrit Aurélie Godard.

«Encore beaucoup de ces derniers et que (ou presque) de l’explosif. Donc des blessures multiples (une jambe arrachée, des éclats dans le poumon et l’abdomen, un peu de brûlures…) : vous vous retrouvez vite avec un patient muni de plusieurs tuyaux en plastique qui drainent l’abdomen ou le thorax, un peu d’oxygène et des pansements partout… On a heureusement des chirurgiens compétents, un radiologue virtuose, et l’équipe dans son ensemble a acquis une expérience dont peu peuvent se prévaloir !

«A chacun de ces malades ou presque, des membres de la famille sont morts dans l’explosion. Pas un patient qui n’a pas une histoire tragique dans cet hôpital sous tente prenant en charge des blessés.

«Pour autant, les enfants jouent (je me suis donc surprise à avoir un niveau de football tout à fait correct ! Facile, quand on joue avec un gosse amputé du bras, un en fauteuil roulant, et deux en béquilles avec fixateur externe ou plâtre. Pour autant, les femmes accouchent (ici, on reste six heures après accouchement voie basse, vingt-quatre si c’est une césarienne). Ces bébés qui naissent ont tous été conçus pendant la guerre, à des moments où sans doute l’accès à de la santé primaire (et donc la contraception – pas culturellement très répandue) était limité. Et à un moment où il restait un peu d’espoir. Je suis curieuse de savoir ce que la courbe de natalité dira dans deux ou trois mois.

«Pour moi qui ai eu la chance de côtoyer les Palestiniens en janvier, février puis en avril et mai, et maintenant en octobre et novembre, la différence est flagrante : ils ont perdu l’espoir que la guerre s’arrête bientôt. L’hiver dernier, tous étaient encore dans la phase de sidération du début du massacre. Au printemps, toutes les discussions tournaient autour des négociations interminables et infructueuses pour un cessez-le-feu. Mais depuis quelques mois maintenant, il n’y a même plus l’espoir… L’élection de Trump les a laissés indifférents, tant ils savent que l’un ou l’autre des candidats aurait autorisé la poursuite du bain de sang. Beaucoup n’attendent qu’une chose : quitter Gaza dès que la frontière ouvre. Pour beaucoup, faire un enfant maintenant relève de la folie…

«Alors que dire de ce qu’il se passe ici ? Le Nord (qui n’est pas sur la Lune hein, c’est à 20 km d’ici…) est un enfer, et il semble assez clair que les Israéliens ne laisseront pas les Palestiniens retourner sur leurs terres. Dans le Nord donc, les attaques sur les hôpitaux n’ont jamais cessé. Les médias ont-ils fait mention des tanks tirant sur un hôpital rempli de malades ? Pas vraiment. Combien d’entre vous savent en revanche que des supporteurs de foot israéliens ont été pris à partie à Amsterdam ? Sans doute beaucoup plus…

«Rien ne rentre depuis des semaines : au Nord comme au Sud, que ce soit de l’alimentation ou du médical, tout passe au compte-goutte. Dix-sept jours fériés en Israël en octobre m’a-t-on dit (et moi qui pensais que notre mois de mai était le meilleur !). En tout cas, des limitations très importantes de tout ce qui traverse la frontière, et pour le peu qui passe, des pillages en règle du côté palestinien. En plus des violences de la guerre, il y a en effet une société palestinienne sans garde-fou (plus de police, pas de gouvernement) et où la loi du plus fort l’emporte… Tout est donc sous tension, au point que ça va devenir très compliqué de maintenir notre niveau d’activité. Il y a un marché noir de la nourriture, où la farine vaut de l’or. Grâce à nos réserves, nous parvenons encore à nourrir les malades et nous-mêmes, mais pour une énorme partie de la population, c’est très très très compliqué et le spectre de la famine devient très concret.

«Néanmoins, malgré le désastre environnant, la vie semble avoir retrouvé un cours “normal” : la vie dans les tentes et avec les bombardements est devenue la nouvelle norme pour la population. Nous, on habite dans un endroit assez éloigné de la ligne de front (tout est relatif vu la taille de la bande de Gaza), donc les bombardements sont un peu moins sonores (pluriquotidiens toutefois, réveils nocturnes multiples, mais le pire est au nord, et ces bombes-là, elles ne secouent pas nos murs). Et puis dans les tentes, définitivement, eh bien ça ne vibre pas du tout quand il y a des gros boums. Il faut voir le bon côté des choses.

«Bon, vous aurez compris, je reste choquée, enragée, frustrée, émue, mobilisée… Tour à tour par ce conflit. Je crois quand même qu’après cette troisième rotation (et donc ces moins de cinq mois à Gaza en 2024), j’aurai un peu plus le sentiment d’avoir fait ma part. Ou du moins de les avoir accompagnés jusqu’où je pouvais. Il reste maintenant à faire ouvrir la frontière pour qu’ils puissent fuir ce champ de ruines qu’est devenu Gaza et reconstruire leur vie ailleurs, même si je doute que nos sociétés occidentales se précipitent pour les accueillir.

«Je vous embrasse bien fort,

Aurélie»

NDRL : Nul doute que les gazaouis sont à plaindre, mais, finalement, n’ont-ils pas reçu ce qu’ils cherchaient depuis des décennies, s’en prendre à Israël puis espérer rejeter les Juifs à la mer. En voici le prix !

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