Avec « l’attaque contre l’hôpital de Gaza », nous venons d’assister à l’une des plus « belles » manipulations de l’histoire récente. Reprenons. Immédiatement après l’impact, la presse du monde entier, qui ne dispose d’aucune information directe et d’aucun correspondant sur place reprend « l’info » de cette attaque. Les plus prudents, comme le New York Times, qui changera trois fois son titre par la suite, parlent d’une « une frappe israélienne tuant des centaines de personnes dans un hôpital selon les Palestiniens », sans préciser qu’ici il s’agit du Hamas. La plupart des médias ne mentionnent aucune source. Lorsqu’elle est citée pour évoquer le nombre de morts, il s’agit du « ministère de la santé de Gaza », sans jamais, à quelques exceptions près, mentionner le Hamas.
Les fantasmes de la rue arabe
Aussitôt, « la rue arabe » s’enflamme. Il faut évidemment un peu de temps à l’armée israélienne pour analyser l’événement, d’autant plus qu’elle n’est pas à l’origine de la frappe mortelle. Au fil des heures, les preuves s’accumulent : une vidéo d’un tir du Hamas, l’absence de cratère au lieu de l’impact, une conversation enregistrée entre membres du Hamas, aucune image des « au moins 500 morts » dont on ne voit pas pourquoi le Hamas se serait privé de les montrer, des voitures calcinées mais un hôpital qui semble intact, ou du moins pas du tout effondré comme les immeubles touchés par les frappes israéliennes dont on voit quotidiennement les images à la télévision.
En visite en Israël, Joe Biden cautionne l’analyse du gouvernement israélien et le renseignement européen croit savoir qu’il n’y aurait « que » 10 à 50 morts, ce qui est beaucoup plus conforme aux images que chacun peut voir. Fin de l’histoire, mais pas plus qu’elle n’a été convaincue que le 11 septembre 2001 n’était pas un complot juif, la « rue arabe » ne croira jamais à la culpabilité du Hamas. Tous les journalistes et médias qui ont relayé cette fake news de la responsabilité israélienne ont fait le jeu du Hamas. Au passage, l’absurdité de la directive européenne sur les services digitaux chère au commissaire Thierry Breton se confirme. Dans le monde actuel, il est utopique de vouloir contrôler par la loi ce qu’il appelle la « désinformation ». Dans ce cas, la presse du monde entier est tombée dans la fake news. A qui va-t-il infliger une amende ?
Syndrome de Stockholm ?
Le plus interpellant reste le fait que des organisations humanitaires relaient le discours du Hamas. Ainsi dans un tweet toujours visible, Médecins Sans Frontières déclare « Nous sommes horrifiés par le bombardement israélien (je souligne) de l’hôpital Ahli Arab dans la ville de Gaza ». « Des centaines de personnes ont été tuées selon les autorités locales », mais MSF ne précise pas qu’il s’agit du Hamas. Cette prise de position pose problème pour une organisation dont les principes de base sont la neutralité et l’impartialité, de même que la reprise du nombre de victimes selon le Hamas, mais sans mentionner ce dernier. Enfin, selon les déclarations de ses responsables, MSF aurait du personnel sur place dans l’hôpital, et devrait ainsi avoir une meilleure évaluation que le Hamas du nombre de morts, ce qui pourrait donner un sens au rôle de témoignage de l’organisation. Dans une interview, la coordinatrice de MSF à Paris affirme que « le toit de l’hôpital s’est effondré sur un de ses chirurgiens pendant qu’il opérait ». Peut-être, mais on aimerait en savoir davantage puisque le toit de l’hôpital semble intact. À ce jour, aucun tweet ne vient corriger l’erreur (la faute?) initiale de MSF, attribuant la frappe à Israël. Et un journaliste un peu consciencieux aurait pu interroger l’organisation, encore présente dans l’émission Quotidien hier, à ce sujet.
Depuis le début de cette guerre, MSF n’a fait aucun tweet pour dénoncer les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis par le Hamas en Israël, pas plus que la prise d’otages de dizaines d’Israéliens qui viole le droit humanitaire auquel l’organisation fait si souvent appel. Longuement interrogée il y a quelques jours sur France 24, Sarah Chateau, la responsable du programme, se voit tendre une perche en fin d’interview par la journaliste qui l’interroge sur le sort des otages. Or, Madame Chateau se contente de répondre laconiquement qu’elle est « désolée » pour ces otages, sans prononcer la moindre condamnation.
Le syndrome de Stockholm est assez fréquent dans le monde de l’humanitaire où, focalisé sur une situation particulière souvent dramatique, les acteurs ne sont pas conscients d’autres aspects pourtant tout aussi visibles d’une crise humanitaire. Souvent, inconsciemment, ils en viennent à se faire complice des bourreaux des victimes qu’ils cherchent à aider. On l’a vu en Ethiopie (1984-1985), lors du génocide des Tutsis au Rwanda (1994) et en Bosnie (1992-1995). À Gaza, sans aucunement jeter la pierre à ceux qui sont sur place et font ce qu’ils peuvent, MSF fait le jeu du Hamas, qui ne peut que se réjouir des déclarations de la prestigieuse organisation humanitaire. Afin de tenter de rendre leur discours plus « objectif » (ou plus neutre, ou simplement plus honnête), les médias ont besoin de témoins sur place qui ne soient pas palestiniens. Dans ce jeu de rôle, une organisation renommée comme Médecins sans Frontières est l’acteur idéal pour « crédibiliser » la description de la situation.
Avant l’attaque contre l’hôpital, j’ai expliqué dans le Figaro pourquoi l’aide humanitaire à Gaza faisait le jeu du Hamas et ne pouvait que le renforcer. Cela ne veut, évidemment, pas dire qu’il ne faut pas soigner, nourrir et aider les Gazaouis victimes des bombardements ou contraints de se déplacer. Ce rôle devrait être laissé aux pays arabes qui ne manquent ni de médecins, ni de volontaires, ni de moyens financiers. En voulant à tout prix être sur place (pourquoi ?), les organisations humanitaires occidentales, dont on voit à travers cet exemple qu’elles n’apportent aucune valeur ajoutée même en temps que « témoin sur place », deviennent involontairement les complices du Hamas.
Alain Destexhe est médecin, sénateur honoraire belge et ex-secrétaire général de Médecins Sans Frontières. Il est l’auteur de nombreux livres et articles sur l’humanitaire en situation de conflits dont L’humanitaire impossible ou deux siècles d’ambiguïtés (Armand Collin) et de Rwanda : essai sur le génocide (Complexe).