Un Juste pour le Japon
Peu de japonais le connaissent mais il est honoré aux Etats-Unis et en Israël à l’égal d’Oskar Schindler comme l’un des Juste parmi les nations. Parcs, rues et monuments lui sont dédiés, et pourtant, c’est seulement en passant par sa ville natale Yaotsu (dans la préfecture de Gifu), que vous retrouverez les traces de ce héros discret.
La discrétion était l’un des traits de ce Juste qui déclarait n’avoir agi que par gentillesse et qui ne fut reconnu qu’en 1985, à la veille de son décès. Chiune Sugihara était un diplomate en poste en Lituanie qui, face au désespoir des réfugiés polonais affluant en 1940, tenta de convaincre ses supérieurs d’émettre des visas pour raisons humanitaires, demande généreuse qui resta lettre morte.
Cet homme banal pris donc la décision, surprenante pour un fonctionnaire japonais, de se passer de l’autorisation de ses supérieurs en rédigeant des milliers de visas et en négociant les transferts en Transsibérien auprès de ses contacts soviétiques. En septembre 1940, le Japon signa le Pacte Tripartite avec l’Allemagne et Chiune Sugihara ne fut plus le bienvenu en Lituanie. Il continua à écrire des visas jusque sur le quai de la gare qu’il jeta de son train en s’excusant de ne pouvoir faire plus.
La communauté de Kobe
On estime que 6 000 Juifs polonais et lituaniens furent ainsi sauvés. Le Japon les accueillit à Kobe, où se vivait une communauté juive prospère. La plupart des réfugiés ne firent que passer et furent transférés dans des pays sûrs. 2 000 personnes restèrent à Kobe où les Japonais firent preuve d’une grande curiosité polie pour leurs invités. Accueillis et nourris, ces rescapés eurent la surprise d’être traités aimablement et de passer selon leurs propres mots du statut de réfugiés à celui de touristes.
C’est que jusque-là, les tentatives de l’Allemagne nazie pour convertir le Japon à l’antisémitisme étaient bloquées par un sentiment d’incompréhension pour cette haine inexplicable. Le Japon refusa de transcrire les lois antisémites et les visas furent prolongés. A partir de l’entrée en guerre du Japon, les réfugiés de Kobe furent transférés à Shanghai où le confort était bien moindre mais où ils ne subirent pas la moindre persécution.
Et Chiune Sugihara ? Il quitta volontairement son poste en 1947 et ne fut ni blâmé ni récompensé pour son action. Son rôle ne fut mis en lumière par les autorités israéliennes que dans les années 60, avant d’être reconnu comme un Juste. Les Japonais apprirent avec surprise cet épisode grâce au récit rédigé par la veuve de Chiune Sugihara. Il reste encore largement inconnu même si les Japonais savent qu’ils n’eurent pas de rôle dans l’entreprise d’extermination.
Une mémoire entretenue
Que reste-t-il aujourd’hui de cette aventure ? Tout d’abord les dernières traces de la communauté de Kobe, la synagogue Ohel Chelomo, datant de 1912, et son centre culturel qui propose encore une collection de photos des réfugiés arrivés à Kobe. A Yaotsu, le Sugihara Chiune Memorial Hall, bien que de taille réduite, réussit à transmettre au visiteur la mémoire et l’émotion de cet épisode malgré le manque de matériel authentique.
Non loin de là, deux monuments célèbrent le Juste. L’un d’eux fut offert par les habitants tandis que l’autre est le témoignage de la reconnaissance des Israéliens. Ils se situent dans un parc verdoyant, propre à apporter la sérénité qui convient aux lieux de souvenir. Le lieu est visité chaque année par un grand nombre de descendants de réfugiés, estimés à plus de 40 000 personnes et par des Japonais fiers de compter un Juste parmi eux.
Source http://hassidout.org/sj/component/content/article/239-israel/51017-le-japon-et-les-juifs-durant-la-guerre
Signalons que deux livres ont paru en français à cet égard, et que Kountrass a consacré son numéro… 2 au miracle de la fuite vers Shanghai, où la mémoire de ce « juste » a été évoquée.