L’échec de Tsahal à anticiper et à empêcher l’attaque meurtrière du 7 octobre revêt une dimension bien plus profonde que la seule dimension des renseignements militaires… Cet échec interroge en réalité la capacité de notre armée et de nos dirigeants à comprendre qui sont nos ennemis et qui nous sommes. Premier volet d’une réflexion sur la dimension identitaire de la guerre actuelle.
« Notre deuxième guerre d’Indépendance » : cette expression a été entendue à maintes reprises depuis le 7 octobre. Hier matin, pourtant, un journaliste de Galé Tsahal, Rino Tsror, contestait sa pertinence et ironisait sur le fait que le Hamas n’était qu’un groupe terroriste primitif armé de bulldozers… Cette remarque atteste à la fois d’une totale incompréhension et de la condescendance que certains médias israéliens continuent d’exprimer, tant à l’égard de l’ennemi que des sentiments ressentis par une large partie de la population d’Israël. En réalité, si le Hamas a été capable de commettre ce massacre avec des moyens aussi primaires en apparence (mais avec le soutien de l’Iran, que le journaliste de Galé Tsahal avait apparemment oublié), cela atteste non pas de sa faiblesse, mais de la nôtre.
Mais l’expression de « Deuxième Guerre d’Indépendance » signifie quelque chose de bien plus profond, qui échappe de toute évidence à Rino Tsror, à Nahum Barnéa et à beaucoup de leurs confrères – hélas surtout occupés à poursuivre leur combat politique contre B. Netanyahou et contre le gouvernement. Ce que signifie cette expression, c’est que le peuple d’Israël – dans son immense majorité – a ressenti de nouveau, dans sa chair, le même sentiment d’un combat existentiel, qui l’animait en 1948. Ce combat existentiel peut se résumer à trois questions essentielles, que l’on croyait résolues depuis longtemps, et qui ressurgissent aujourd’hui dans toute leur acuité.
Contre qui combattons-nous ?
La première de ces questions est celle de savoir contre qui nous nous battons. Contre le seul Hamas et ses exactions ? Contre Gaza, ou contre l’axe du mal Iran-Hamas-Qatar (soutenu par la Russie de Poutine et la Turquie d’Erdogan) ? Contre le « mal absolu » et contre une nouvelle forme de nazisme ? Toutes ces réponses se valent apparemment et se rejoignent, mais elles ne sont pas entièrement équivalentes. De la réponse à cette question dépendent en effet les réponses à deux autres questions, tout aussi fondamentales. Il ne s’agit pas seulement en effet de terminologie, ni même de politique et de stratégie militaire.
Car derrière la question de la définition de l’ennemi se profile celle des objectifs de la guerre. Si notre ennemi n’est que le Hamas et ses infrastructures, alors il « suffit » de le détruire militairement, comme Tsahal s’apprête à le faire. Or, cela suffira-t-il ? Non, si l’on considère que le Hamas n’est qu’un élément de « l’axe du mal » et que le problème de Gaza n’est qu’un élément de la sécurité d’Israël. En d’autres termes : une fois le Hamas annihilé, il restera encore à détruire le Hezbollah, le Djihad islamique et sans doute aussi (même si le consensus est beaucoup moins large à son égard) le Fatah de Mahmoud Abbas (sans parler du régime iranien, pour la destruction duquel l’intervention militaire des Etats-Unis est indispensable).
Mais on peut également soutenir que notre combat ne vise pas seulement ces ennemis implacables, mais aussi, à travers eux, le nouveau visage de l’Ennemi éternel d’Israël, celui que la tradition juive désigne comme Amalek. Si nous désignons le Hamas comme Amalek, cela signifie qu’il convient non seulement de le détruire militairement, mais d’extirper aussi toute racine de son engeance qui cherche, à chaque génération (comme le dit la Haggadah de Pessah), à nous anéantir.
Pourquoi combattons-nous et dans quels buts ?
La question de la définition de l’ennemi n’est ainsi pas seulement militaire et politique ; elle entraîne des conséquences philosophiques et existentielles. D’aucuns affirment d’ores et déjà que le combat contre l’axe du mal et contre le Hamas est voué à l’échec, parce qu’on « ne peut pas faire disparaître une idéologie ». L’argument n’est pas infondé, mais il risque d’aboutir, si on le prend pour argent comptant, à ne rien faire. Or, le recours aux concepts de la tradition d’Israël permet d’apporter une réponse différente à cette question cruciale.
Si notre ennemi est la figure moderne d’Amalek (et je rappellerai ici que durant plusieurs décennies, des intellectuels et des rabbins israéliens se sont évertués à prétendre qu’Amalek n’avait plus aucune signification pour Israël aujourd’hui et qu’il ne désignait surtout pas l’ennemi palestinien…), alors l’injonction de le combattre doit être renouvelée à chaque génération. C’est sans doute l’oubli de cette injonction – pour des raisons multiples qu’il faudra d’analyser ailleurs[1] – qui a aussi permis au Hamas de mener son attaque et de surprendre Israël. Or, cette injonction vise précisément à nous rappeler à chaque instant que l’ennemi est là et que notre existence n’est nullement garantie, quelle que soit notre puissance militaire et technologique.
Et si l’on accepte que le Hamas est la figure contemporaine d’Amalek, cela veut dire que notre combat est aussi d’essence religieuse, morale et spirituelle, et point seulement militaire. Cette précision est capitale, car elle seule permet d’armer Israël pour affronter un ennemi qui, lui, définit son combat dans des termes religieux. Une des erreurs fondamentales de l’establishment sécuritaire d’Israël depuis des décennies est justement d’avoir cru qu’on pouvait affronter l’ennemi arabe en se définissant uniquement comme un Etat occidental et non comme l’incarnation politique du peuple d’Israël, c’est-à-dire le peuple élu par D’ pour appliquer sa Tora.
Qui sommes-nous et au nom de quoi combattons-nous ?
Ainsi, la définition de l’ennemi est liée non seulement à celle de nos objectifs de guerre, mais aussi à celle de notre identité propre et de ce à quoi nous aspirons. Nous touchons ici à un point crucial, qui permet de comprendre (sans prétendre évidemment entrer dans les calculs de la Providence…) pourquoi la guerre de Sim’hat Tora intervient précisément après des mois d’une lutte fratricide, dont l’enjeu essentiel était précisément de savoir qui nous sommes et quelle est l’essence profonde de l’Etat d’Israël !
L’échec de Tsahal à anticiper et à empêcher l’attaque meurtrière du 7 octobre revêt ainsi une dimension bien plus profonde que la seule dimension des renseignements militaires… Cet échec touche en réalité à l’incapacité presque congénitale de notre armée à comprendre qui sont nos ennemis et qui nous sommes. (J’ajoute immédiatement que cette incapacité concerne en fait les échelons les plus élevés, car au niveau du simple soldat et des officiers de terrain, beaucoup ont compris depuis longtemps ce dont il est ici question).
Face à un ennemi qui veut nous annihiler au nom de sa religion (l’islam) et qui veut nous annihiler en tant que peuple Juif, porteur de la parole divine (qu’il prétend que nous avons falsifiée), la riposte véritable n’est pas – comme l’ont cru et affirmé des générations de « clercs » israéliens – de dire que nous ne sommes pas animés d’un projet religieux et que nous sommes venus ici uniquement pour créer un Etat refuge, afin d’échapper à l’antisémitisme…
La réponse consiste bien au contraire à revendiquer notre identité véritable et à affirmer haut et fort que nous avons, nous, pour objectif, non seulement de détruire le Hamas et tous les autres représentants d’Amalek qui se trouvent à nos frontières et au sein même de notre pays[2], mais aussi d’édifier un Etat juif qui sera, selon l’expression du rav Abraham Itshak Hacohen Kook, le « siège de la royauté divine », Kissé Malkhout Chamayim. Seule une telle affirmation nous permettra d’asseoir à long terme notre présence sur cette petite portion de terre que le monde entier nous dispute et que D’ nous a confiée pour y faire régner Sa Parole (à suivre…).
P. Lurçat
NB Je donnerai une conférence en ligne sous l’égide du centre Menahem Begin, à l’occasion du centième anniversaire de la parution du « Mur de Fer », le mardi 7 novembre à 20h30, sur le thème « Dôme d’acier ou Mur de Fer ? » Comment assurer la sécurité d’Israël selon Jabotinsky.
[1] Une hypothèse est que nous avons cultivé l’injonction de nous souvenir de la Shoah, mais n’avons pas su l’actualiser, en croyant que le nazisme en tant que mal absolu relevait d’un passé aboli.
[2] Précisons sur ce point que selon les informations les plus récentes, les Arabes israéliens n’ont pas pris fait et cause pour le Hamas à ce jour.
NDLR : La démarche est intéressante, sans doute aucun, mais il nous semble qu’elle ne correspond pas à celle du monde orthodoxe ! Celui-ci conçoit que le peuple juif devait suivre la mitsva d’habiter en Terre sainte qui lui incombe, sans que nul ne lui ait garanti que cela sera facile, surtout quand lui-même porte flanc sur le plan du respect des mitsvoth et des messages fondamentaux du Judaïsme (d’autant plus que tout Israël est garant l’un de l’autre – et que donc toute personne religieuse se doit de tente d’influencer ceux qui ne le sont pas à revenir à la pratique).
Définir l’ennemi, et lui donner le titre de Amaleck ? Qui peut-il se permettre de le faire, même si sa conduite ressemble à celle des membres de ce peuple, mais de là à éliminer tout le monde chez eux à ce titre… En revanche, si effectivement c’est la seule solution (attaquer le Hamas jusqu’à sa destruction, ce qu’Israël n’a jamais eu l’audace de réaliser), il ne fait pas de doute que c’est ce qu’il faut réaliser, jusqu’au bout, et là nous sommes d’accord.