Un régime démocratique ?

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Par Me Rozenbaum

Ce qui caractérise un régime démocratique est une série de caractéristiques qui jusqu’à présent semblaient aller de soi et sont très bien définies dans tous les manuels d’instruction civique :
– La tenue d’élections périodiques ouvertes à tous les citoyens ;
– La constitution d’un gouvernement selon le résultat de ces élections, constituant le pouvoir exécutif, sur la base d’un parti majoritaire ou d’une coalition de partis qui se sont mis d’accord sur un programme de gouvernement au sein du parlement ;
– L’acceptation par la minorité devenue l’« opposition » des règles du jeu démocratique en exprimant au parlement leurs oppositions ou leurs suggestions, notamment dans les commissions où s’élaborent les projets et propositions de lois, et dans le cadre de manifestations de rues sur la base du respect des libertés publiques, donc dans un cadre légal bien défini, et en conséquence, n’entravant pas la libre circulation des personnes, et sans remettre en cause l’unité nationale et les intérêts communs de la nation et de l’Etat ;
– Le respect de la « séparation des pouvoirs » entre le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et ce qu’il est convenu d’appeler le « pouvoir judiciaire » c’est-à-dire l’appareil judiciaire du pays dont l’indépendance à l’égard des autres institutions est garantie ;
– De nos jours, s’ajoute à cette liste une autre caractéristique devenue capitale : une presse écrite et électronique libre et tenue à une droiture morale et professionnelle en respectant l’obligation d’interroger des personnes représentatives des différents points de vue en présence, avec égalité du temps de parole, une modération dans le ton, la distinction entre la description des différents points de vue, et la prise de position personnelle du journaliste, de l’observateur ou du spécialiste, sans jamais perdre de vue un souci d’objectivité. Cela n’interdit nullement à l’organe de diffusion d’avoir une « ligne éditoriale » définie et clairement annoncée qui reste cependant soumise à l’honnêteté intellectuelle.

Or, dans l’Etat d’Israël de 2023, absolument tous ces éléments sont violés un par un, de la pire façon, par l’opposition, la presse et les médias, plusieurs magistrats de la Cour suprême, certaines unités de l’armée nationale, et de nombreuses institutions devenues les « places fortes » d’une certaine idéologie que les dernières élections de novembre 2022 ont prouvées comme minoritaire.

Il faut d’abord rappeler qu’existe en Israël une anomalie non démocratique comme suite à ce que le président de la Cour suprême, il y a une trentaine d’années, le juge Aharon Barak, a lui-même nommé la « révolution constitutionnelle ». En effet, en s’appuyant de façon contestable sur deux lois censées défendre les libertés individuelles, dont le principe fait, depuis toujours, l’unanimité au sein du peuple en Israël, et par simple décision jurisprudentielle, donc sans intervention des représentants élus du peuple souverain, la Cour s’est donnée elle-même une autorité supérieure à celle du parlement et à celle du gouvernement, en se donnant le droit d’annuler une loi ordinaire, un décret, une ordonnance, une circulaire, en bref, toute la hiérarchie des normes, violant gravement le principe de séparation des pouvoirs. S’il est vrai que le contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois s’est développé dans certaines démocraties dans le monde, celui-ci est infiniment plus limité par l’exigence de la preuve de l’intérêt à agir, la charge publique (en France, le président de la République, du Sénat, de l’Assemblée nationale) de la personne autorisée à déclencher la procédure.

Rien n’est comparable, nulle part, à la situation créée en Israël où n’importe quelle association fantôme – y compris financée par des pays ennemis – sans n’avoir à prouver aucun intérêt spécial à agir, peut lancer un recours contre un vote du parlement souverain de l’Etat juif, et souvent obtenir gain de cause, au bénéfice d’une idéologie discutable du point de vue de l’intérêt de l’Etat et de la nation !

Cette tendance s’est progressivement accentuée au cours des années, donnant aussi au conseiller juridique du gouvernement, et aux conseillers juridiques des ministres, un pouvoir démesuré, sans aucun fondement démocratique, au point d’entraver de plus en plus le fonctionnement normal des institutions démocratiques. Par toutes sortes de subterfuges, jamais fondés sur une loi, la Cour suprême statuant comme Bagatz, est devenue le pouvoir absolu dans le pays, remettant souvent en cause l’autorité du gouvernement et celle du parlement ou dans une démocratie normale s’élabore, à la majorité des voix, la définition du « bien public ».

De nombreux juristes éminents ont très vite préconisé un retour à la doctrine antérieure de la Cour suprême qui consistait au respect de la séparation démocratique des pouvoirs, par l’abstention de la Cour de prétendre régenter le domaine politique qui est celui des élus de la Nation. Mais il a fallu attendre novembre 2022 pour que soit élaboré un projet de législation minimal pour ce retour à la normale.

C’est là le prétexte à un déchaînement sans précédent en Israël, de calomnies, de manipulations, de mensonges, travestissant la réalité du projet comme « antichambre de la dictature », justifiant des mois de manifestations monstres financées de manière suspecte notamment de l’étranger, des campagnes de presse, des matériels colossaux, une logistique très couteuse, tout cela produisant un effet de perte de contrôle, avec obstructions systématiques des grandes artères de circulation du pays, violences, y compris le pillage de maisons particulières afin de bloquer les routes, une autosuggestion de plus en plus pathologique et devenue inaccessible au raisonnement et au dialogue. Pire, certains sont prêts à mettre en péril la sécurité nationale en préconisant le désarmement d’unités sensibles de l’armée et le refus de servir à la défense du pays. D’autres tentent de saboter l’économie nationale en œuvrant pour abaisser le rang d’Israël dans le crédit bancaire international ou lancent des appels à l’intervention étrangère, ou souhaitent saboter les services de santé. Rien n’exclut que certains appels à l’étranger n’aient d’ailleurs été couronnés de succès face aux moyens mis en œuvre.

Ce qui est le plus frappant dans la situation actuelle en Israël, c’est l’incroyable inconscience des « opposants à la réforme judiciaire » qui, soi-disant pour « défendre la démocratie », trouvent totalement justifié de piétiner tous les principes élémentaires d’un régime démocratique quelconque, en toute bonne conscience.

L’opposition ne conteste pas formellement le résultat des élections, mais affirme sur tous les tons avec une audace innommable que la majorité sortie des élections régulières ne serait pas légitime. Ce mensonge répété mille fois comme une incantation n’est nullement devenu vérité, même si quelques milliers de gens s’en sont persuadés.

La plupart des médias se livrent à des attaques permanentes, sans aucun frein ni limite, contre cette majorité, en violant systématiquement les règles élémentaires de l’honnêteté intellectuelle, donnant micros et caméras sans relâche aux leaders de l’opposition ou à des quidams dont le discours est inlassablement le même, d’ailleurs sans arguments, faisant état surtout de peurs, de sensations, de haine gratuite, et d’accusations sans fondement. Mais d’autre part, ni les ministres en exercice, ni le Premier ministre lui-même, ne parviennent à transmettre leur pensée et leurs positions au peuple d’Israël, car les rares interventions qui parviennent à passer sont écourtées, truquées, tronquées et aussitôt objet d’« interprétations » tendancieuses, par lesquelles les journalistes devenus militants, leur font dire souvent le contraire de ce qu’ils ont dit.

Après des mois de tentatives du gouvernement d’obtenir, après d’éventuels aménagements du projet de loi destiné à rétablir la situation antérieure à la « révolution constitutionnelle » du juge Barak, notamment dans le cadre des commissions de la Knesset, ou même, selon une procédure totalement dérogatoire, sous les auspices du président de l’Etat, mobilisé pour la circonstance au-delà de ses compétences légales, le ministre de la Justice, principal auteur du projet, s’est heurté, au blocage systématique, irrationnel et maladif, de toute l’opposition.

Face à cette réalité, la Knesset est passée au vote et a adopté avec une majorité de 64 voix sur 120 membres, un premier train de mesures limitant la capacité de la Cour à interférer dans certaines décisions du parlement souverain, en modifiant une loi fondamentale, par application de son droit constituant reconnu par la doctrine et la jurisprudence de la Cour suprême elle-même.

Aussitôt, l’opposition, en violation de la loi, a présenté un recours devant la Cour suprême en annulation de cette loi. La Cour, aurait dû reconnaître immédiatement son incompétence à traiter cette question positivement ou négativement, puis qu’elle n’a, elle, aucune compétence constituante.

Or il n’en a rien été et la Cour a donné un premier aval temporaire à la demande d’annulation tout en convoquant une assemblée plénière sans précédent des 15 magistrats de la Cour suprême dans un délai particulièrement court, plaçant le pays face à une crise politique et constitutionnelle d’une extrême gravité.

Le président de la Knesset vient de déclarer qu’ «  il ne faut pas s’attendre à ce que la Knesset se laisse évincer sans réagir ».

Lorsque l’on considère en outre que d’anciennes grandes figures politiques, administratives et militaires de l’Etat ont pris publiquement fait et cause pour la subversion, contre le respect dû à la volonté du peuple clairement exprimée par un vote démocratique, force est donc de constater que cette question a mis en lumière une césure de la société, au-delà des manipulations, des exagérations, des malentendus et des mensonges que bien des politiques ont tenté et tentent encore d’exploiter.

Il est clair que la principale césure est celle qui a trait à la place de la tradition juive dans l’Etat juif souverain. Il y a ceux qui lui souhaitent une place exclusive, ceux qui lui souhaitent une place importante, ceux qui lui veulent une place modeste et ceux qui ne lui veulent aucune place et se voient comme l’un des fleurons de la civilisation d’Occident. C’est surtout cette dernière catégorie qui est prise dans le maëlstrom du refus irrationnel, prise d’une peur panique que soudain des extrémistes barbus puissent leur imposer un mode de vie dont ils ne veulent pas. Les immenses défilés de femmes en rouge, persuadées que le retour à la norme judiciaire allait les transformer en « esclaves sexuelles » montrent l’ignorance, la peur, la manipulation dont cette population est victime. La vraie question est comment a pu se développer, en 75 ans d’indépendance de l’Etat juif, une telle contradiction avec le contenu authentique de l’espérance juive qui est une théologie de la liberté.

La réalité est qu’il existe dans notre peuple un large consensus pour aimer et défendre l’Etat d’Israël comme l’Etat souverain du peuple Juif de retour d’exil, dans une atmosphère de liberté politique, religieuse, de pensée et d’action. Il s’agit d’accorder à chaque tendance, à chaque nuance dans le cadre de ce consensus, les conditions de son épanouissement. Il faut donc, d’urgence, rétablir le respect réciproque et pour commencer, le respect de la règle légale, du droit positif qui doit s’imposer à tous, y compris aux magistrats de la Cour suprême. On est en droit d’espérer qu’une majorité de ces derniers, sauront voir l’immense péril où la perpétuation d’un sentiment de supériorité, qui s’est notamment exprimé par la fameuse expression de « public éclairé » risque de mettre la nation tout entière.

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