Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps
L’économie russe subit un tel choc économique, en raison des sanctions, que Bachar el-Assad aura beaucoup de mal à poursuivre sa politique de reconstruction de la Syrie. Si l’invasion de l’Ukraine est un élément positif pour la Syrie, qui soude ainsi ses relations avec la Russie, elle peut entraîner des conséquences négatives sur l’avenir. Assad, faisant preuve d’une indéfectible solidarité avec Poutine, il confirme la politique syrienne vis-à-vis des provinces séparatistes et la décision de les annexer.
En effet, la Syrie a été la première à soutenir la reconnaissance par la Russie des régions sécessionnistes de l’est de l’Ukraine. Le ministre des Affaires étrangères Faisal Mekdad avait déclaré que le gouvernement syrien «coopérera» avec les deux régions tenues par les séparatistes soutenus par Moscou. Cela n’était pas étonnant dès lors que Poutine avait de son côté soutenu la répression des manifestations anti-gouvernementales en 2011. Le gouvernement syrien a soutenu la décision du président russe de reconnaître comme indépendantes deux régions séparatistes à la solde de Moscou, dans l’est de l’Ukraine. Assad avait annoncé que «la Syrie serait prête à les reconnaître comme elle l’avait fait pour les régions sécessionnistes géorgiennes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie après la guerre russo-géorgienne de 2008». C’était le moins qu’il puisse faire sachant que la Russie maintient deux bases militaires en Syrie. L’installation navale russe dans la ville portuaire de Tartous, base logistique de la Marine russe et la base aérienne de Hmeimim (gouvernorat de Lattaquié) en Méditerranée orientale sont une arène-clé de compétition entre le Kremlin et l’Occident. L’armée russe y a déployé des bombardiers à longue portée à capacité nucléaire et des avions de chasse transportant des missiles hypersoniques de pointe vers sa base aérienne en Syrie pour des exercices navals massifs dans la région.
Grâce à ce soutien, le président russe a donné son feu vert pour recruter 16.000 combattants syriens afin d’aider à l’invasion de l’Ukraine qui semble connaitre des difficultés. Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou (notre photo, face à Poutine), a confirmé qu’il y avait des milliers de combattants au Moyen-Orient qui étaient prêts à prendre les armes et à combattre avec les forces russes dans la région du Donbass. En Occident, on se pose la question sur l’origine de ces volontaires car l’information pourrait être seulement une opération d’intoxication en réponse aux mercenaires russes engagés aux côtés des Syriens. Poutine avait déclaré à propos des combattants volontaires lors de la réunion télévisée du Conseil de sécurité : «Si vous voyez qu’il y a ces gens qui veulent être là de leur plein gré, pas pour de l’argent, pour venir aider les gens qui vivent dans le Donbass, alors nous devons leur donner ce qu’ils veulent et les aider à se rendre dans la zone de conflit». Ces mercenaires seraient la preuve que les forces russes font face à une opposition plus forte que prévu.
Il n’en reste pas moins que la tâche du président syrien Bachar el-Assad de reconstruire son pays serait sérieusement entravée tandis que la perspective d’un règlement pacifique, même à long terme, en Syrie serait à nouveau repoussée. L’Union européenne qui finance depuis 2011 l’aide humanitaire à la Syrie pour un montant de plus de 25 milliards de dollars pourrait réorienter une partie de ces fonds vers l’afflux de plus de trois millions de réfugiés ukrainiens dans les pays de l’UE.
La Russie est intervenue militairement dans la guerre en Syrie et a sauvé Assad en neutralisant son opposition rebelle. Cela avait un but qui a permis à Poutine d’afficher sa puissance militaire auprès de l’Occident. Mais avec l’invasion de l’Ukraine qui piétine, il pourrait être contraint de réduire une partie de ses forces en Syrie avec un risque que sa présence en Méditerranée soit menacée. D’ailleurs la Turquie a fermé ses détroits du Bosphore et des Dardanelles aux navires de guerre russes avec des implications pour la présence navale de Moscou en Syrie.
Les problèmes de l’Ukraine influent sur les efforts d’Assad de normaliser ses relations avec les pays arabes et même l’Occident. La Syrie était sur le point de réintégrer la Ligue Arabe dont les liens ont été rompus en 2011. Assad avait demandé au roi Abdallah de Jordanie d’intercéder en sa faveur pour alléger les sanctions américaines tandis que le ministre des Affaires étrangères des Émirats arabes unis s’était rendu en Syrie pour discuter des investissements pour les reconstructions.
Même les États-Unis qui s’étaient engagés à ne pas normaliser avec la Syrie s’étaient trouvés contraints de revoir leur position après l’accord entre les pays arabes et la Syrie pour un transfert de gaz aux Égyptiens vis le gazoduc qui traverse la Syrie. Mais avec l’invasion de l’Ukraine, tout rapprochement avec la Russie est impopulaire ce qui bloque les tentatives de reprise des relations entreprises par la Syrie.